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Entretien avec Christian Allex, directeur artistique et responsable de la programmation du festival le Cabaret Vert.

C’est demain que débute la 15e édition du Cabaret Vert à Charleville-Mézières. Mardi dernier, Vacarm a pu s’entretenir avec Christian Allex, directeur artistique et responsable de la programmation du festival.

La première question que j’ai envie de vous poser c’est comment vous vous sentez à 10 jours du festival ?
Je suis en forme puisque je vais aller marcher en montagne. Quand on fait la programmation d’un festival normalement tout le boulot se fait bien avant. Depuis juin, je commence à travailler sur les contacts et les premières offres pour  la programmation 2020 des festivals. Du coup, deux semaines avant, je suis plutôt sur le stress de la finalisation, sur le décorum, puisque je m’occupe de la programmation mais également de la direction artistique avec la charge de la déco du site.

Quelles sont justement les fonctions du directeur artistique en dehors de la programmation musicale ?
Programmation musicale ça veut dire aller chercher des groupes et les assembler sur les différentes scènes mais quand on met un groupe sur une scène il faut penser à l’environnement de la scène. On travaille donc à la fois le choix de la scène, le type de look un peu général qu’on va donner à l’environnement de la scène, la déco générale du site, l’atmosphère un peu particulière avec des liens de lieu à lieu et puis le suivi de la communication puisque le langage de la communication générale c’est un peu comment on écrit l’artistique.

C’est beaucoup de cumuler les trois fonctions !
Moi ça me semble absolument logique parce que faire un seul de ces trois paramètres m’emmerderait et je trouve que les trois sont tellement liés. Quand vous faites venir un groupe, vous voulez prolonger l’univers musical par l’univers scénique. Vous voulez également créer un univers graphique et linguistique pour la manière dont vous communiquez sur les réseaux sociaux etc

Vous n’êtes pas tout seul pour décider de tout ça ?
Comme je suis un programmateur indépendant, c’est à dire que je suis dans un système de travail indépendant, je fais quelque chose un peu solo au départ dans ma tête et après j’ai des équipes qui me suivent en interne des festivals, des gens en charge de la communication, des directeurs techniques, des régisseurs, sur lesquels je m’appuie pour le travail vraiment pratique mais j’ouvre les contacts, les premières discussions, je décide le cahier de route avec eux et après je les encadre un peu sur le développement des choses. Sinon dans ma boîte on est deux, moi je fais cinq, six festivals en programmation à l’année plus deux salles pour lesquelles je fais la direction artistique / programmation à l’année.

Ah oui quand même !
Quand on va discuter avec un agent d’artistes qui a dix ou quinze groupes dans son catalogue à développer à l’année on va trouver ça logique mais un programmateur ou un directeur artistique c’est toujours un peu bizarre qu’il fasse plusieurs projets à la fois. Moi je trouve bizarre au contraire de ne faire qu’un seul projet à l’année. Honnêtement il y a de quoi remplir beaucoup plus de temps et faire beaucoup plus qu’un seul festival à l’année.

Comment s’organise la programmation artistique d’un festival ?
Il y a des agents dans le monde entier qui représentent des artistes. Moi mon travail c’est de connaitre et d’avoir en lien permanent un réseau de ces agents, qu’ils me proposent des groupes. Je me ballade dans des festivals, j’écoute de la musique, je suis toujours un peu une sorte d’éponge à l’écoute de ce qui se fait musicalement aujourd’hui sans oublier ce qui s’est fait. A mon âge, j’ai une connaissance musicale qui remonte jusqu’aux années 70. Il faut savoir contacter les agents sur des groupes classiques comme actuels, négocier financièrement avec eux,  savoir à peu près quand des groupes tournent, connaître le contexte des festivals qui sont autour. Quand vous allez contacter un groupe, s’il est programmé sur un ou deux festivals pas trop éloignés vous avez peut-être une chance de le faire venir sur le Cabaret Vert, donc bien connaître ce contexte c’est important aussi.  Il faut aussi que les agents d’artistes et les artistes nous fassent confiance c’est à dire qu’il faut avoir la maîtrise sur les trois niveaux : communication, scénographie et programmation.  Quand un artiste vient, il veut aussi avoir un bon public, être dans un festival qui a une image, une façon de communiquer assez particulière, une identité et que l’accueil technique soit super. C’est un peu tout ça qui est réuni dans le boulot de programmateur.

C’est compliqué de choisir une direction artistique en respectant l’identité du festival ?
J’essaie de m’intégrer très fortement dans les équipes des festivals,  l’identité locale, l’identité de territoire, de l’équipe.  Le Cabaret Vert c’est une identité tout à fait particulière d’une équipe avec des bénévoles, un côté “intégriste” des Ardennes mais au bon sens du terme, des gens qui veulent défendre l’identité de ce que sont les Ardennes, ne veulent pas de produits industriels, veulent tout comprendre de ce qui se passe et de ce qu’on fait dans la programmation de leur événement. J’ai passé beaucoup de temps à m’intégrer et à faire partie d’eux mais en même temps, en étant à l’extérieur, je suis un peu leur poil à gratter, je leur mets des évidences sous le nez. Ça je le fais dans tous les festivals où je travaille et je pense que c’est pourquoi les gens veulent bosser avec moi. Je leur amène une analyse extérieure, je les dérange un peu de l’extérieur mais en même temps je les comprends de l’intérieur, je travaille dans le même sens. La programmation de tous ces festivals est donc forcément différente puisque je tiens compte de tous ces points là. Alors oui vous allez retrouver Orelsan par exemple au Cabaret Vert et sur d’autres festivals pour lesquels j’ai fait la programmation mais il a joué aussi aux Vieilles Charrues ou au Lollapaloozza et pourtant je ne faisais pas la programmation. Tous les festivals programment un artiste qui devient un peu “mode” et a du succès. La problématique pour moi n’est pas sur les têtes d’affiche mais en-dessous. C’est là qu’on doit trouver une différence. Dans les festivals pour lesquels je peux travailler, j’essaie toujours de trouver une différence dans le dessous de la programmation, d’avoir des identités, des groupes tout à fait particuliers. Au Cabaret Vert, on a une scène rock indé, la scène Razorback, avec une programmation vraiment intéressante sur des groupes qui sont à la fois rares mais représentent vraiment cette scène rock indé, on a le Greenfloor, un dance floor électronique avec une super programmation avec par exemple, Peggy Gou, les Black Madonna, Robert Hood ou Kenny Dope. C’est là que ça se joue après, sentir vraiment l’identité auprès de ce qu’on propose derrière. Des festivals comme Dour en Belgique notamment le font très bien. Avec les mastodontes aujourd’hui effectivement la problématique c’est la programmation parfois identique de a à z, elle est un peu sans risque.

La programmation du Cabaret Vert est très éclectique, ce n’est pas un peu risqué ?
Eclectique mais je ne veux pas non plus que ce soit racoleur. OK ça va de Bernard Lavilliers à Twenty One Pilots mais je ne veux pas non plus que ce soit la trop grosse racole. OK pour que la grande scène du festival soit éclectique et le lieu des grands rendez-vous, des grands concerts mais par contre que l’on sente bien une identité particulière sur les autres scènes. La scène des Illuminations au Cabaret Vert c’est Courtney Barnett, Israel Nash, Ghostemane par exemple, des trucs tout à fait particuliers qu’on ne voit pas forcément sur tous les festivals et qui se tiennent en même temps. Le dimanche on a des artistes de la folk song américaine qu’on ne voit pas sur beaucoup de festivals, comme Steve Gunn ou Dylan Leblanc. C’est une petite touche façon route du rock. J’ai envie d’avoir une certaine authenticité sur les scènes.

Quelle est la proportion de pass à la journée et 4 jours ?
Ça s’équilibre mais au Cabaret Vert, on a un truc particulier,  beaucoup d’habitués qui viennent et restent pendant les quatre jours du festival sur le camping où a lieu une fête dans la fête, comme au Hellfest ou au Garorock. Vous avez deux sociétés sur le Cabaret Vert, celle du camping peu présente la journée sur les concerts qui débarque un petit peu l’après-midi sur le Greenfloor et retourne ensuite au camping pour réapparaître à partir de 22 heures pour toute la partie un peu plus nocturne, énervée du festival. Et puis vous avez des familles, des adultes qui prennent des pass une journée ou parfois quatre jours mais qui viennent plus pour voir Patti Smith, Bernard Lavilliers, Angèle, des artistes un peu comme ça. Tout ce monde se croise et se mélange plutôt pas mal sur le festival. On n’a pas une proportion de pass qui déséquilibre trop, avoir trop de pass 4 jours n’est pas forcément très bien, on a l’impression que c’est une adhésion générale du festival mais en fait pas tant que ça parce qu’on ne sait pas, quand les gens viennent 4 jours, s’ils ont une totale curiosité sur l’événement. On ne peut pas dire que ceux qui restent au camping pendant quatre jours sont complètement curieux du festival en lui-même.

Des concerts, un festival BD, des artistes de rues, des conférences sur l’écologie, des séances de cinéma, ce n’est pas un peu trop ?
Notre boulot c’est de proposer plusieurs sociétés en une. C’est ce qui est intéressant. Quand vous partez d’une grande ville par exemple, sans avoir eu le temps de tout découvrir, vous avez envie de revenir. Un festival c’est pareil. Si vous avez eu l’impression d’avoir fait le tour de tout et que vous rentrez bien repus chez vous, je ne suis pas sûr que l’année d’après vous allez avoir envie de revenir. Vous aurez peut-être envie d’aller voir un autre “restaurant”. L’idée c’est d’avoir toujours l’impression de ne pas avoir fait le tour de tout. Quand les gens partent en disant qu’ils n’ont pas eu le temps de tout voir, je suis content. Pour nous c’est gagné. En tant que professionnel, quand je vais visiter des festivals à l’étranger ou en France, il y en certains dont j’ai fait le tour en quatre heures, au-delà des concerts, et je commence un peu à m’emmerder parce que j’ai vu à peu près les zones hors concerts qui m’importaient de voir, vu à peu près l’ambiance.  Je vois un peu comment ça vit la nuit et le jour mais je rentre en me disant que j’ai fait le tour alors qu’il y en a d’autres où je n’ai pas pu tout voir et j’ai envie d’y retourner. Nous c’est ce qu’on a envie de créer.

Quelles sont les nouveautés cette année dans la programmation artistique ?
La nouveauté principale c’est qu’on va essayer de faire un programme de trois ans où on va développer des collaborations avec des villes jumelles au passé industriel qui s’en sont sorties par la culture. On a ouvert le cycle cette année avec Charleroi et Liège, avec des collectifs dont Back in the Dayz qui est l’équipe de management de Romeo Elvis et Caballero et Jeanjass. Jeanjass vient de Charleroi, on leur a laissé carte blanche sur le Greenfloor avec une scène hip hop qui programme les nouveaux groupes hip hop qu’ils veulent soutenir. On fait une autre collaboration avec l’artiste Elzo Durt, un graphiste qui dessine, fait des posters plutôt esprit rock américain qui est assez connu maintenant dans l’univers du poster. Il est de Charleroi même s’il est sur Bruxelles maintenant. Il va nous faire des posters, un poster original pour le Razorback, la scène rock. On a demandé à Mathieu et Alex, qui sont en partie les deux programmateurs du festival de Dour, eux aussi de Liège, de venir programmer la soirée du samedi sur la scène rock du Razorback avec des groupes de Liège et le dimanche après-midi la programmation des artistes qui leur tiennent à coeur dans l’esprit de ce qu’ils feraient un peu à Dour. On est en train de rencontrer pour l’année prochaine des gens de Saint-Etienne, une ville avec laquelle on a envie d’ouvrir le même projet.

C’est difficile d’innover chaque année ?
J’essaie de ne pas forcer à innover. Il faut que ça me tombe dessus un peu par hasard. Quand on se ballade dans le monde pendant l’année, rencontre des gens, écoute des choses, il y a un moment où on se dit qu’une histoire d’amitié peut se créer avec telle ou telle personne à l’étranger,  qu’on travaillerait bien avec elle. C’est souvent un peu comme ça que ça marche pour moi, il faut que je tombe un peu en affection histoire d’être sur la même longueur d’ondes. Me dire qu’on pourrait développer des choses ensemble, que ce soit en graphisme, en vidéo, en musique ou autre et ces personnes là, c’est de la rencontre qui me permet d’innover, ça me dit quelque chose de nouveau. Mais je ne me l’impose pas, je me dis pas qu’il faut trouver une nouveauté chaque année sinon on peut amener quelque chose de bateau.

Vous avez le temps d’assister à des concerts pendant le festival ?
Oui je vais en voir plein déjà parce que j’ai besoin de faire des retours aux groupes, aux agents, voir où il y a eu le plus d’énergie, si tel groupe dans tel état d’esprit musical, programmé à 17 heures ça a bien fonctionné, si je peux faire un enchainement pareil pour l’année d’après donc j’essaie d’en voir un maximum. J’aime bien faire toutes les ouvertures des concerts sur la grande scène pour l’énergie qui se dégage au moment où il y a  25 000 personnes devant la scène et que le groupe arrive, je trouve qu’il y a une montée d’énergie hyper excitante au début de ces concerts là et après je me tire et je vais faire toutes les autres scènes.

Vous avez parlé de 25 000 personnes, c’est la jauge maximale ou le festival pourrait encore grossir ?
Si on veut grossir, il faut qu’on bouge de site ce qui n’est pas non plus impossible, on a des possibilités sur d’autres sites ça sera peut être une réflexion plus tard mais pour l’instant sur le site actuel on est contraints à 25 000 festivaliers par jour. 100 000 personnes sur quatre jours c’est pas mal, on est contents !

Quel est votre rôle pendant les quatre jours du festival ?
Je fais du relationnel. Il y a plein de gens qui viennent de l’extérieur à qui je fais visiter le festival, des partenaires potentiels, par exemple, j’ai invité cette année les gens de Saint-Etienne avec qui on veut développer un projet, je vais leur faire visiter le site, présenter un peu l’équipe, leur faire découvrir l’atmosphère du festival et s’ils l’aiment, ce que j’espère, ils seront ok pour collaborer avec moi. Mon boulot pendant le festival c’est plutôt ça. C’est aussi parer un peu à des impairs, par exemple il y a quelques années, il y a eu des coupures de son pendant le show des Chemicals Brothers parce que les blocs électrogènes sautaient. Il a fallu que je monte sur scène, prenne le micro et dise au public qu’on était désolés, qu’on avait des problèmes techniques  que le groupe allait reprendre, donc gérer des trucs comme ça mais aussi le relationnel avec les artistes et entre les artistes et le personnel. Comme il y a des bénévoles, parfois on doit s’excuser sur deux trois erreurs, en disant ce sont des bénévoles ils essaient d’être le plus sympas possible, ne soyez pas trop durs avec eux, des fois on explique à l’équipe qu’il faut être un peu plus souples et accepter qu’il y ait telle ou telle demande de tel ou tel groupe. Temporiser c’est un peu mon boulot aussi.

Quelle est votre principale crainte pendant le festival s’il y en a une !
Qu’il se passe des choses au niveau du public, une bousculade qui finirait mal, des jeunes qui boivent un peu trop ou qui prennent trop de produits, qu’on retrouve dans un état pitoyable et qu’on est obligés d’évacuer. J’ai entendu dire qu’il y avait eu des tentatives de viols ou des viols sur certains festivals, je trouve ça hyper dommageable que des filles se fassent embêter sur des festivals. Qu’on se fasse piquer son portable aussi je trouve ça lamentable. Sinon, par rapport aux groupes, ma principale crainte c’est qu’il y en ait un qui rencontre un problème technique et ne puisse pas jouer.

Vous avez une anecdote à ce sujet ?
Des anecdotes il y en a pas mal mais j’aime bien. Quand vous organisez un festival, vous apprenez à gérer l’imprévu. Vous essayez de régler au mieux pendant toute l’année et après, pendant la course, s’il y a des problématiques, apprendre à changer de stratégie je trouve ça vachement excitant aussi. C’est stressant mais trop tranquille c’est emmerdant. Il faut voir qu’au départ, quand on fait un festival, quand ils ont fait Woodstock par exemple, ils ne se disaient pas qu’il allait y avoir un deuxième Woodstock. Au Cabaret Vert on se dit toujours qu’il n y en aura peut-être pas un après. En fait, il faut toujours se dire que c’est la dernière fête.

Il y avait combien de festivaliers au début ?
La toute première édition je n’y étais pas mais je crois que c’était 5 000 à 10 000,  c’est passé à 35 000 et ensuite c’est monté à 90, 95, 100 000. C’est encore un jeune festival hein ! Il y en a plein qui disent que le Hellfest fait penser au Cabaret Vert pas sur la musique mais sur l’adhésion d’un public, avec un état d’esprit particulier, un côté communauté, hyper identitaire.

Le festival parisien Rock en Seine a lieu à la même date que le Cabaret Vert. C’est un concurrent ou bien vous ne visez pas du tout la même population de festivaliers ?
On n’est pas du tout sur le même public, le même projet, le gros des festivaliers de Rock en Seine sont des parisiens qui viennent en métro comme pour We Love Green. Très peu de gens viennent de l’extérieur. Au Cabaret Vert, beaucoup de festivaliers viennent de l’extérieur. Les prix des tickets jour et des forfaits à Rock en Seine ne sont pas du tout les prix du Cabaret Vert, on est moins chers.  On a donc un public peut être un peu moins fortuné.  On s’est toujours bien entendus avec Rock en Seine, l’équipe d’avant je m’entendais bien avec eux, on se partageait les offres des artistes et des têtes d’affiche parce qu’on savait que l’un ne gênait pas l’autre et la nouvelle équipe c’est pareil, je m’entends très bien avec eux, on n’est pas du tout à couteaux tirés

D’où viennent les festivaliers ?
Le local c’est entre 40 et 60 % mais y a beaucoup de gens qui viennent de l’extérieur, on a de plus en plus de belges qui viennent, Lille aussi, des parisiens, des gens du grand est, Strasbourg Metz Nancy tous ces environs là, des gens viennent de Bretagne aussi ainsi que de Montpellier, de Marseille, les gens viennent d’un peu partout. Le gros des festivaliers extérieurs c’est la région lilloise, la Belgique et Paris.

Merci pour cet échange, bonne randonnée et on se retrouve dans 10 jours sur le festival !

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