Une musique construite sur des boucles et des rythmes industriels obsédants. Des paroles qui sont autant de retranscriptions du flux sombre, parfois ordurier et souvent quasi-incohérent des pensées qui affleurent la conscience, le bruit noir qui siffle entre nos oreilles, l’unheimliche quotidien. Voilà le programme musical. Ne revenons pas sur l’histoire du groupe, issu de la formation post-punk Mendelson, ou sur les membres du groupe, leur histoire, leurs influences. Cela n’a que peu de sens, en l’occurrence. L’important, c’est d’écouter et de comprendre : quand Pascal, le chanteur, dit « tu », il parle autant à son auditeur qu’à lui-même – Bruit Noir, c’est la petite voix qui se synchronise avec votre état mental et, désolé, il ne va pas s’améliorer.
Deux singles ont annoncé l’album IV-III qui, comme son nom ne l’indique pas, est le troisième opus du duo parisien. On prend les mêmes et on recommence. L’un des singles parle de la vieillesse, vécue comme une déchéance qui n’empêche pas une forme de bravade un peu pathétique, et l’autre évoque les joies malsaines qui ponctuent notre vie et qui ne sont, finalement, que des leurres.
Un peu de lucidité ne fait pas de mal – et que cela n’empêche pas un peu de panache. Je ne soupçonne pas Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pires, les deux membres du Groupe, d’être de grands religieux, mais il y a du Qohélet dans le sang de Bruit Noir. « Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas remplie », même sur ces plages du nord où Jean-Michel (oui, ils sont quinquas… Comme tous les vrais punks, en fait) s’affiche en survêt rouge intégral avec une Wonder Woman de fête foraine.
J’ai adoré ce groupe dès leurs débuts. Le premier album (I – III) a été un marqueur. Les titres « La Province » et « L’Usine » sont des traumatismes musicaux et poétiques que tout le monde devrait subir avant d’avoir le droit de vote. Le deuxième album (II-III) confirmait ce goût pour l’exploration de l’intériorité de Pascal (et de la nôtre) face à notre monde, absurde bien sûr, et l’idée géniale des interludes dans le métro, lieu propice à l’émergence du bruit noir, faisait mouche. On a tous des envies d’insultes, de meurtres, dans le métro. Le troisième album creuse le même sillon mental et musical. Il y a un peu de changement, tout de même : la voix de Pascal Bouaziz se fait plus forte, plus énervée, la bouche pleine d’injures et de colère (« Tourette ») – parfois à mi-chemin entre Miossec et Daho. Les textes semblent plus directement ironiques, plus énervés contre le monde de la culture (« Chanteur engagé », « Artistes »), se moquant du blabla et des postures. Moins impressionnistes et plus crus, donc. Ça continue de secouer. C’est sombre, la Camarade n’est plus loin… Il y a de la tendresse, aussi, une tendresse teintée de tristesse, pour les enfants, les migrants, les femmes, pour Prince et François Ruffin (« Communiste », empreint de mélancolie pour un futur qui n’arrivera jamais).
Cette capacité qu’à le groupe à dire des choses simples et d’une terrible brutalité, devrait en faire l’un des fers de lance de la chanson poésie française. Leur approche musicale à la limite de l’expérimentation, et l’horreur simple de leurs textes a jusqu’ici limité leur succès à une estime critique. Mais quelle injustice …
Le titre de leur 3ème album (IV- III) pourrait sonner comme une énigme (ou est passé le III – III ?). Mais elle me parait plutôt simple à résoudre : Bruit Noir ne s’arrêtera pas à 3 albums, comme prévu au départ, parce que le flux obscur des pensées ne s’arrête qu’à la mort.
Album sorti le 15/09/2023, chez Ici, d’Ailleurs
.: Tracklist :.
1. Intro
2. Bruit noir IV
3. Coup d’état
4. Chanteur engagé
5. Petit Prince
6. Le visiteur
7. Tourette
8. Artistes
9. Calme ta joie
10. Communiste
11. Béatrice
12. Animaux
13. Deux enfants