Avec son premier album solo, André 3000 réussit un tour de force : réunir harmonieusement nostalgie vintage, tendances musicales très actuelles et expérimentations jazz futuristes dans une ambiance à la fois exigeante et extrêmement cool.
J’aime bien le hip hop. J’en écoute depuis que je suis adolescent. Et il se trouve que j’ai toujours bien aimé OutKast et ses deux rappeurs du sud, Big Boi et André 3000. Les mecs ont toujours été cool.
Dès le milieu des années 90, le groupe d’Atlanta a su apporter un vrai vent de fraicheur sur la scène rap mondiale. Il faut se rappeler qu’à l’époque, du point de vue d’un auditeur français, cette scène se divisait grossièrement en trois mondes : les gardiens du temple de New York (East Coast), les galopins frimeurs et gangsters de L.A. (West Coast) et le rap conscient français. Big Boi et André 3000 sont arrivés et ont popularisé un quatrième pôle musical et géographique : le sud des Etats-Unis, vulgairement appelé « Dirty South ». Même si cette scène conservait par bien des aspects les thématiques « classiques » du rap, je découvrais un son beaucoup plus chill, avec un accent trainant et chantant, caractéristique du sud, mais aussi avec un goût prononcé pour l’expérimentation foutraque et le jazz. Le premier énorme tube international d’OutKast (« Hey Ya », extrait du double LP de 2003 : Speakerboxxx/The Love Below) allait même très loin dans la détente, avec un son très dansant et pop, avec une petite touche de soul et un clip qui a marqué l’histoire du rap. André 3000, dans ce contexte déjà très novateur sur le plan musical, représentait même physiquement un nouveau type de rappeur, qui fera beaucoup d’émules : cheveux longs, vêtements excentriques, attitude résolument non-gangsta…
Après de nombreuses expériences musicales et artistiques – et notamment une petite carrière dans le cinéma et dans la mode – André 3000 revient avec un projet extrêmement stylé, mais qui n’est vraiment pas ce qu’on peut appeler du hip hop. Ce premier album solo, New Blue Sun, nous offre 87 minutes de new age, de jazz ambient, fruit d’une collaboration avec Carlos Niño – percussionniste, producteur, DJ fondateur de l’influente station de radio Internet Dublab. André 3000 ne chante pas, ne rappe pas : il fait de la flûte. En plus de Carlos, André est accompagné du guitariste Nate Mercereau et de la claviériste Surya Botofasina. Un album 100% instrumental et expérimental, donc, mais qui n’est ni chiant, ni prise de tête. Même si on sent qu’il a poncé les classiques des genres ambient et jazz new age – on pense notamment à la scène japonaise, notamment à Midori Takada -, André garde vraiment son côté chill-out et même rigolo. Le morceau qui ouvre l’album est à ce titre révélateur…
Inutile de détailler les différents morceaux : comme toujours sur ce genre de disque, l’idée est de se laisser porter par le flot musical. Pas le genre de truc d’où émerge un tube ou un single en particulier. Les morceaux, comme leurs titres, sont longs et planants, avec une petite saveur nostalgique. Attention : ce n’est pas non plus une compile de sons new age / low-fi / zen interchangeables ; même si certains morceaux, comme par exemple “BuyPoloDisorder’s Daughter Wears A 3000® Shirt Embroidered”, sont marqué par le trope très actuel du son low-fi, avec un son volontairement dégradé pour évoquer les échos de lointains enregistrements, vous ne vous endormirez pas en écoutant New Blue Sun. L’envie d’expérimenter d’André, avec ses ruptures de ton, va parfois vous secouer – un peu, hein, je sais que je parle à des mecs et des meufs qui écoutent du Haggus sans broncher !
Bref, si vous avez envie de tenter un truc nouveau, exigeant et expérimental sans tomber dans des écoutes trop tarées, si vous avez envie d’un peu de douceur après avoir écouté le dernier Full of Hell* et de vous laisser porter par une ambiance à la fois délicatement surannée et, en même temps, très actuelle, New Blue Sun est fait pour vous.
Tracklist (c’est parti pour les titres à rallonge :D)
- I swear, I Really Wanted To Make A « Rap » Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time
- The Slang Word P(*)ssy Rolls Off The Tongue With Far Better Ease Than The Proper Word Vagina . Do You Agree?
- That Night In Hawaii When I Turned Into A Panther And Started Making These Low Register Purring Tones That I Couldn’t Control … Sh¥t Was Wild
- BuyPoloDisorder’s Daughter Wears A 3000® Button Down Embroidered
- Ninety Three ‘Til Infinity And Beyoncé
- Gandhi, Dalai Lama, Your Lord & Savior J.C. / Bundy, Jeffrey Dahmer, And John Wayne Gacy
- Ants To You, Gods To Who?
- Dreams Once Buried Beneath The Dungeon Floor Slowly Sprout Into Undying Gardens
* « Suffocating Hallucination », en feat avec le groupe préféré de notre rédac’ chef Erwan, Primitive Man