Reports Hellfest : Vendredi 20 juin / Samedi 21 juin
Le chemin de croix annuel de l’amateur de metal européen est long, difficile et fatiguant. Inconsciemment, on se lève en ayant à la tête que le dimanche représente la journée la plus difficile du week-end. Sale, fatigué, encore imbibé de la veille, chacun retourne pourtant aux premiers rangs dès les premières heures. Retour sur la dernière ligne droite de ce marathon musical Clissonais.
Eths – Main Stage
Remplaçants de dernière minute, les marseillais viennent occuper la place initialement réservée à Soilwork. Une position difficile d’autant plus qu’une petite partie du public ne semble que peu favorable à l’entrée du quintet sur la scène principale. Injustement catalogué dans la tranche néo du metal français (Tératologie aura prouvé de toute l’ingéniosité et du talent de la formation), les musiciens ne se laissent pourtant pas démonter et vont proposer une prestation de qualité, rythmée par une set-list écourtée mais néanmoins très efficace. Timides sur les premiers morceaux, chaque musicien prend de l’assurance et finit par se lâcher, qu’importe les détracteurs. Pour l’occasion, Eths a de plus recentré son show en omettant de façon quasi-complète les premiers EPs (seuls un « Samantha » désormais inévitable joué en ouverture et le torturé « Je Vous Hais » font de la résistance), histoire de démontrer à ceux qui avaient été effrayés par un succès médiatique mérité que le groupe n’a pas pour autant sombré dans la facilité. Impressionnante, Candice se démène sans sacrifier ses parties vocales, qui semblent encore prendre de l’ampleur au fur et à mesure des dates. Si les hurlements se sont montrés convaincants depuis les débuts du groupe, le chant clair s’avère de plus absolument irréprochable depuis la sortie de Tératologie. « Crucifère », « Infini » ou encore « Naocl » et son introduction a capela impressionent de justesse, le travail fourni par les musiciens en arrière-point étant tout aussi parfait. L’intensité grimpe en flèche sur les derniers morceaux, Candice rentrant en transe avec Stef (guitare) qui terminera en s’acharnant sur un malheureux clavier.
Year Of No Light – Discover Stage
Peut-on mieux porter son nom que les impressionnants Year Of No Light ? Difficile. Car c’est un ouragan de noirceur que le groupe bordelais va déclencher sous un chapiteau ou l’air se fait de plus en plus irrespirable au fil des jours. Quelque part entre The Ocean, Cult Of Luna et Isis, Year Of No Light se dresse quasiment en unique représentant du postcore à la Française, et vient présenter au public du Hellfest une musique d’une indiscutable qualité. A défaut d’une année sans lumière, c’est donc à trente minutes dans l’obscurité auxquelles nous sommes conviés. Lourds et ténébreux, les morceaux s’étirent dans le temps, alternant passades d’apocalypses sur accalmies salvatrices. Imperturbables et stoïques, les musiciens délivrent ces étendues de désolation sans broncher ni faire preuve d’un jeu de scène surexcité. De l’autre côté et de la même manière, le public prend tout de plein fouet sans entraîner de mouvements de foule. La communion est totale, et les trente minutes semblent filer comme s'il s'agissait des dernières parcelles de vie. Une révélation.
Dillinger Escape Plan – Second Stage
Publié en fin d’année dernière, Ire Works avait présenté quelques aspects surprenants. En affirmant son penchant mélodique, Dillinger Escape Plan était parvenu à poser sur bandes quelques mid-tempos aux caractères bien trempés. Pourtant ce dimanche 22 juin, les cinq américains vont laisser libre terrain à toute leur furie dévastratrice, délivrant de loin le set le plus excité du week-end. Et le tout démarre tambour battant avec « Panasonic Youth » littéralement survolté. Une paire de guitaristes sauterelles couplés à un chanteur fou furieux qui ne tiendra pas une seconde en place ne pouvait qu’amener à un véritable déferlement de violence. La musique de Dillinger Escape Plan demeure pourtant incroyablement technique malgré les guitares ne tenant guère plus de deux secondes sur les ventres de leurs détenteurs, le quintet servant sa sauce hardcore chaotique avec un entrain difficilement égalable (la terre Clissonaise tremble encore des assauts de « Fix Your Face »). Le bodybuildé Greg Puciato attaque à escalader le bord de scène, et si ce dernier n’effleure pas la performance du leader d’Airbourne, il aura bien manqué de ré-itérer l’exploit de VX69 de Punish Yourself. Baisse de régime pour la fin de la performance mais néanmoins pas de perte d’intérêt, Dillinger balance ses dernières obus avec les moins virulents « Milk Lizard » et « Black Bubblegum », redoutables singles mélodiques qui passent avec brio dans des conditions de direct. Ouf, le public commençait à manquer de souffle.
Meshuggah – Main Stage
Grand débat que celui porté sur la musique de Meshuggah. Extrêmement difficile d’accès, le groupe n’entraînera que larges bâillements chez les uns, et admiration sans limite chez les autres. Porté au statut de génie, Meshuggah était donc pour beaucoup un rendez-vous à ne pas manquer, d’autant plus que le dernier opus obZen amorçait une orientation plus portée sur les sonorités des débuts que le relativement incompréhensible et expérimental Catch 33. Ceux qui n’avaient rien compris à cet album seront donc comblés par l’ouverture du concert puisque c’est sur les accords du single « Bleed » et son passage d’accalmie hypnotisant que le quintet marque son entrée. Et parmi les petits bonheurs de ladite prestation, les pompiers de Clisson ouvrent subitement le feu sur la foule. Une douche gelée et abondante qui ne pouvait trouver meilleur accompagnement que la musique froide, mécanique, complexe et matérialisée avec précision par les cinq suédois surdoués. L’ambiance dans la fosse est survoltée, la crasse accumulée s’évapore sous les pas de danse déchaînés des adeptes, qui commence à s’embourber dans la fraicheur d'un sol boueux. Mémorable.
Obituary – Second Stage
A toute légende accueil en bonne et due forme. Obituary a traversé les années, posant les jalons du Death et inspirant des dizaines de groupes derrière lui. Bien que le groupe n'ait été absent quelques années, le temps ne semble définitivement avoir aucune incidence sur la forme des californiens, toujours au meilleur niveau malgré les épreuves (l’alcoolisme de Allen West et son éviction forcée du groupe au profit du mercenaire Ralph Santolla). Le jeu de scène de ces vétérans n’a certes rien de bien démonstratif, mais les musiciens d’Obituary conservent la politique qu’ils ont toujours prônés sur album. Obituary fait du Obituary, point final. Et force est de constater que le groupe le fait plutôt bien, avec un doigté affûté ainsi qu’une motivation certaine. Munis de compositions lentes et ultra-appuyées, le rouleau compresseur passe sur le public du Hellfest pendant plus de quarante minutes, la formation nous servant une belle série de composition issues de son fabuleux Xecutioner’s Return, morceaux dopés par un Santolla magique (« Evil Ways », « Face Your God » ou « Drop Dead »). S’il est amusant de constater que le musicien adoptera toujours la même position d’exécution guitar-héroïque (et de préférence à droite d’un John Tardy aux dérives vocales écrasantes), le mercenaire le plus célèbre du metal aura incontestablement trouvé sa place et relancé la carrière d’Obituary. Entre vieux classiques (« Insane », « Find The Arise » ainsi qu'un « Slowly We Rot » dantesque) et compositions récentes, le quintet propose un sacré bon moment, à défaut d’une prestation inoubliable.
Opeth – Main Stage
Bien que les attentes soient palpables (et logiques étant donné la teneur de Watershed), Opeth reste la plus grosse déception de la journée. Pourtant, les principaux éléments demeureront extérieurs au groupe. Le soleil brille haut dans le soleil, et empêche presque de ce fait d’apprécier pleinement la musique crépusculaire des suédois. De même, quoi de plus frustrant que de ne disposer que de cinquante courtes minutes lorsque les compositions du groupe dépassent fréquemment les huit ou neuf minutes. Seulement cinq titres seront donc piochés dans la large discographie de la formation, dont un unique représentant (mais néanmoins pas des moindres puisque Opeth nous proposera « Heir Apparent ») du tant apprécié Watershed. Si techniquement tout est toujours aussi au point et que le chant de Mickael Akerfeldt se montre absolument sublime, l’ambiance ne parvient que difficilement à s’installer. La prestation deviendra par conséquent rapidement ennuyeuse, d’autant plus que la communication n’a jamais été le fort de musiciens relativement discrets et que la complexité de leur musique les contraindra à un certain statisme. Tout juste dénotera-t-on quelques blagues vaseuses du sieur Akerfeldt. Un concert juste appréciable, alors que la présentation de la musique d’Opeth dans des conditions optimales rend d’ordinaire tout show mémorable.
At The Gates – Second Stage
Les revenants d’At The Gates bénéficieront eux de la nuit et d’un light show digne de ce nom. Un petit plus à une prestation qui n’en aurait de toute manière presque pas eu besoin, les musiciens ayant entraînés les foules dans leurs sillons en à peine plus de quelques accords. At The Gates procure en effet un sentiment bien différent de celui amené par la présence de Carcass le premier jour, et donne clairement l’impression de s’être reformé pour les bonnes raisons. Les musiciens semblent en effet prendre un pied incroyable à retrouver leur public, toujours fidèle malgré les années, et compte bien le faire savoir. Le leader Tomas Lindberg ne tient d’ailleurs pas une seconde en place, et lance le show de façon burnée avec un « Slaughter Of The Soul » bien trempé. Contrairement à certains, le thrash d’At The Gates reste pleinement efficace et d'actualité, et découvrir sur scène le groupe à la base de l’école de Göteborg reste un moment privilégié et unique, d’autant plus lorsque les protagonistes servent le menu avec un tel entrain. « Terminal Spirit Disease », « Need », « World Of Lies »… Tous les classiques passent à la moulinette à vistesse grand V. Un show forcément trop court, auquel on espère pouvoir un jour assister de nouveau. Inoubliable.
Cult Of Luna – Discover Stage
Avec une distribution opérée par Pias de façon calamiteuse pour le dernier album Eternal Kingdom (près de quinze jours de retard sur la date initialement prévue, le disque n’étant donc pas disponible au moment de ce premier et unique concert Français), la venue de Cult Of Luna sur nos terres ne s’opérait pas de la meilleure manière possible. Pourtant, la formation aurait su mener sa barque de façon magistrale, optimisant à merveilles les ridicules quarante minutes dont elle disposait. Accompagné d’un light show sublime et d’un son absolument énorme, le groupe engage les hostilités avec deux des titres les plus planants de son dernier-né, « Owlwood » et « Eternal Kingdom ». On pourra regretter l’absence du line-up étendu (avec notamment deux batteries) utilisé sur les dates précédentes, mais Cult Of Luna nous sert une véritable montée en puissance vers des territoires inconnus qui éclipsera rapidement cette légère déception. D’une cohérence à toute épreuve, la set-list fait massivement appel à Eternal Kingdom, complétant les deux compositions d’ouverture d’un « Following Betulas » magistral. Etrangeté du show, Klas Rydberg ne sera que peu mis à contribution, le guitariste Johannes Persson assurant une majorité des parties vocales. Petit point noir mais conséquence du peu de temps accordé au groupe, l’album Somewhere Along The Highway se voit oublié, les musiciens ayant privilégiés Salvation avec deux très bons extraits (« Echoes » et « Leave Me Here »). Dommage, un morceau du calibre de « Finland » aurait a coup sûr trouvé une place de choix dans une interprétation si habitée.
Le bilan restera donc positif sur tous les points. Organisation irréprochable et affiche prestigieuse, le Hellfest a comblé à la puissance mille les tares des années précédentes. Rendez-vous est déjà pris pour la prochaine édition.
Crédits photos :
Eths, Meshuggah, Opeth & Cult Of Luna – Oricom
Dillinger Escape Plan & At The Gates – Breizhjoker
Merci aux gens croisés sur le Hellfest. A Phil de Innovative Promotion, Guillaume de Season Of Mist, Roger du Hellfest, Guillaume Gwardeath.