« On a fait à l’ancienne comme les groupes des années 70 qui faisaient de la scène, de la scène, de la scène et qui un jour, avaient tellement rodé leurs morceaux sur scène qu’ils pouvaient les enregistrer en 36 heures en studio ».
Rencontre avec Benoît GUILLOT (chant) et Matthieu MORAND (guitare) de la toute nouvelle formation de neo-metal Dusk of Delusion dont le premier opus (f)Unfair, est sorti le 9 mars. Douze titres prêts à être jouer sur scène, autour d’un concept inspiré par les anciennes fêtes foraines. Chaque composition est une analogie entre un stand, son occupant et les principaux sujets obsédants de nos vies actuelles. Ainsi vous pourrez croiser au fil de l’écoute un banquier jongleur, un joueur invétéré lanceur de couteau, un manipulateur marionnettiste et bien d’autres encore …
Vous avez joué dans différentes formations mais ce groupe là est nouveau. A quel moment avez-vous décidé de créer Dusk of Delusion ? Vous avez quitté vos formations précédentes ?
Matthieu : avec Julien le bassiste, on a joué dans pas mal de groupes ensemble, on se connaît depuis une trentaine d’années, on a été au collège ensemble et monté notre premier groupe au lycée, Elvaron, toujours en activité, on a sorti cinq albums et on travaille sur un sixième en ce moment. Avec nos autres formations, on fait du prog, pas forcément grand public, c’est quand même réservé à un cercle d’initiés. Avec Julien, on avait envie d’une musique un peu plus immédiate pour aller sur scène. On a cherché des musiciens, contacté Romuald notre batteur qui avait joué précédemment avec Benoît dans un groupe qui n’existe plus, Red Line. Benoît était en free lance , libre de tout engagement musical, on a fait un essai super concluant et commencé à travailler tous les quatre sur quelques morceaux, on a commencé à maquetter et au bout de trois mois on s’est dit qu’il fallait qu’on amène une deuxième guitare pour donner un petit peu plus de corps surtout en concert et aussi parce qu’on envisage de faire un travail à deux guitares comme on peut voir dans Maiden, Trivium ou Avenged Sevenfold. Le groupe tel qu’il existe aujourd’hui est né fin 2016 et on a commencé rapidement à travailler sur des morceaux pour faire de la scène. Julien, le bassiste et principal compositeur, avait une idée très précise du concept de cet album, de ce dont il voulait qu’on parle. Il a proposé à Benoît ce concept de la fête foraine 1900 avec un certain nombre de stands qui seraient en relation avec des vices et Benoît s’est attaqué aux textes mais il va t’expliquer tout ça !
Benoît : de toutes façons Julien et Matthieu ne savent faire que des concepts albums. Je suis rentré dans l’idée déjà parce que moi-même j’avais fait des concepts albums et que le processus de création est intéressant et puis parce que j’ai accroché au concept. Julien m’a envoyé des textes en français au début. Je ne sais pas trop bien écrire en français mais ces textes étaient très parlants. Le premier c’était celui d’une histoire faisant l’analogie entre un marionettiste et un recruteur de terroristes, c’était donc dans un contexte vraiment actuel, j’ai trouvé ça intéressant, il y avait des choses à dire. Le texte était concentré sur le terrorisme islamique mais je me suis dit on va faire un peu mieux on va tourner ça différemment et parler aussi des chrétiens pendant les croisades etc. Toutes les chansons ont découlé de discussions comme ça, on parle de choses qui nous touchent, nous font du mal, nous font plaisir. Aucune volonté d’être moralisateurs mais plutôt de raconter un petit peu ce qu’on voit.
Tu avais la musique pour écrire les paroles ?
Oui à chaque fois. Il me faut la musique. J’écris ma ligne de mélodie sans paroles et à partir de là je peux construire les paroles parce que j’aime bien faire rimer mes textes donc il me faut un nombre de pieds, c’est pratiquement une écriture poétique. La composition a duré une année.
Il fallait trouver un nom à ce groupe. Ça a été compliqué ?
Matthieu : ça a été des débats souvent très drôles parce que je voulais absolument qu’il y ait un K dans le nom du groupe alors on avait imaginé des trucs avec des K partout !
Pourquoi un K ?
Matthieu : parce que j’aime bien la consonne.
Benoît : il y a une allusion évidente à Korn même s’il ne te le dira pas.
Matthieu : on a eu des discussions pendant des semaines pour le nom du groupe. On voulait un nom qui soit unique . Aujourd’hui si on tape Dusk of Delusion dans Google on ne trouve que nous sur la planète terre. C’est très dur de trouver un nom parmi les centaines de milliers de groupes qui existent dans le monde.
Benoît : et un nom qui ait une signification du concept. C’est Claude le guitariste qui a trouvé le nom du groupe et le titre de l’album. On s’est tous vachement imprégnés du concept, on a réfléchi à ça, on s’est tous investis dans le projet autant physiquement que psychologiquement, dans la réflexion, dans la composition, dans l’écriture.
Chacun a apporté ses influences ? parce que vous vous définissez comme un groupe de neo-metal mais il n’ y a pas que ça dans l’album.
Matthieu : on s’est étiquetés neo-metal mais effectivement ça va plus loin que ça, il y a du groove, de la mélodie et cet aspect de jeu avec les deux guitares qui se fait peu. Un album conceptuel d’un groupe de neo-metal, c’est quasi jamais vu. On a synthétisé un certain nombre d’influences qu’on a et ça ne se résume pas qu’à Korn et à Slipknot et c’est ça aussi peut-être qui fait que Dusk of Delusion est, je l’espère, un peu plus frais que d’autres trucs actuels.
Benoît : c’est très bateau de dire ça mais clairement la richesse de Dusk c’est toutes les influences. Claude et Romu sont venus avec des influences death et thrash très importantes, Ju et Mat beaucoup de heavy, moi je viens plutôt du pop rock et je suis arrivé au metal par le neo-metal mais aussi par des groupes comme Thirty Seconds to Mars qui m’influence beaucoup au niveau de la voix. Ce mélange fait qu’il est très difficile de nous étiqueter.
Vous avez rajouté des petites fioritures, je suppose que ça vient en dernier ?
Matthieu : c’est vrai qu’on a pas mal expérimenté des trucs. Dans «The Juggler », le thème du cirque que je reprends à la guitare a été rajouté à la toute dernière minute, il manquait un truc, on avait rajouté le discours de Monsieur loyal et ça ne suffisait pas. Pour chaque chanson chacun a amené ses idées.
Benoît : très souvent, dans le processus de mixage à la fin de la journée, on réécoutait, on se disait qu’on en avait trop mis, on effaçait et on recommencait.
Matthieu : le processus du mixage c’est toujours très complexe, on pourrait y passer plusieurs années, c’est jamais fini.
L’album a été masterisé par Magnus « Devo » Andersson, bassiste de Marduk au Endarker Studio, un mot sur cette collaboration ? Qu’a-t-il apporté à l’album ?
Benoît : Claude, l’autre guitariste, avait un ancien projet avec lequel il a fait la tournée européenne de Marduk, il connaissait donc leur bassiste, également ingé-son, « Devo ». Il nous a présenté son travail et ça nous a tout de suite plu. Concrètement on a fait un test sur une chanson et il est tout de suite rentré dans le son qu’on voulait.
Matthieu : le mastering, c’est vraiment la touche finale, ce qui va magnifier le son et donner la couleur globale à l’album comme quand on fait un petit réglage de contraste luminosité sur une photo.
Benoît : il s’y connaît beaucoup dans le metal et a aussi fait du metal industriel en tant que mastering. Il n’est pas coincé ni dans le death ni dans le trash, est très ouvert au neo-metal, au metal indus, et a apporté cette profondeur qu’ont chacune des pistes.
Vous avez ressenti quoi la première fois que vous avez écouté l’album ?
Matthieu : on s’est dit que c’était plus beau que sur l’ordinateur, c’est vraiment un aboutissement physique de 18 mois de travail.
Un mot sur l’artwork de Flôw R Yân Chrômâw (le Chromatorium)
Benoît : on connaissait son travail parce qu’il travaille sur les affiches du Hellfest depuis maintenant deux ans, c’est quand même un peu une sommité dans ce milieu.
Matthieu : je le connais depuis cinq ans maintenant, on a travaillé sur deux projets ensemble, le troisième album d’Akroma et le dernier album de La Horde, je connaissais donc son travail, je sais qu’il est super réactif, capable de faire du montage photo, du dessin, du montage photo/dessin, il touche un peu à tout et il a merveilleusement bien réussi à évoquer tout notre concept.
Un mot sur le choix du titre pour le premier clip.
Benoît : ça a été sujet à débats !
Mathieu : on a même plus que débattu, on a voté. On travaille beaucoup en vote démocratique. Déjà il fallait que ce soit réalisable. On a donc élagué les chansons qui n’étaient pas visuellement réalisables en tout cas pas avec les moyens qu’on avait, on avait une liste de quatre ou cinq titres, on a voté et c’est « White Words » qui a obtenu le plus de votes. C’est un morceau qui résume bien l’univers de Dusk of Delusion, avec à la fois du groove, de gros riffs et une partie plus ambiance au milieu.
De quoi parle « White Words » ?
Benoît : c’est l’histoire d’un mime dépressif qui, compte tenu de son art, ne peut pas raconter sa dépression, ne peut pas en parler, se retrouve coincé là-dedans et finit par se suicider. Ce n’est pas le titre le plus joyeux mais le gros avantage de « White Words » c’est que ça permettait un véritable travail artistique. Le problème auquel on a été confrontés quand on a choisi le clip c’est que, du fait du concept album, c’est difficile de faire des clips et de ne pas les scénariser. Quand on parle d’un jongleur au public, il voudra voir un jongleur, je caricature mais c’est presque ça. Avec ce titre, on pouvait jouer une partie très artistique, très esthétique, qui permettait une autre lecture de la chanson et du coup on a choisi, plutôt que de présenter un mime dans le clip, de présenter une danseuse. Ce sont des arts proches. On a collaboré avec une danseuse de notre région, Christie, rencontrée à cette occasion. On a travaillé avec elle sur des idées, comment elle voyait sa danse, sa tenue, on a parlé de plein de choses et elle a super bien travaillé et est entrée dans le concept très rapidement. On a passé des supers journées de tournage à Paris, à Aubervilliers.
Qui l’a réalisé ?
Matthieu : on a travaillé avec Maxime Fournier, enseignant à la SAE Institute, une école de cinéma en périphérie de Paris. J’avais déjà travaillé avec lui sur deux clips, je savais qu’il bossait bien et cette fois-ci, en plus, on est venu tourner dans son école, dans un vrai studio de cinéma avec du matériel professionnel alors que les autres fois c’est lui qui s’était déplacé dans notre région avec son matériel, son équipe technique et on avait un peu bricolé avec les moyens du bord. Là c’était vraiment confort.
Benoît : là encore, on a présenté le projet à Maxime et il est rentré très facilement dans le concept, il a adoré. Quand on est arrivés le matin sur Paris, il avait déjà bricolé un petit décor, c’est un plaisir de travailler avec des gens comme ça qui rentrent dans l’univers.
Peut-être parce que c’est un univers qui parle à tout le monde ? On a tous des souvenirs plus ou moins joyeux de fête foraine.
Benoît : il y a un côté visuel qui marche bien. On m’a récemment évoqué comme influence, alors qu’on n’y avait pas du tout pensé, une saison de American Horror Story qui apparemment reprend complètement ce principe du freak show plus que de la fête foraine et qui a super bien marché. Je pense que c’est quelque chose de mystérieux donc attirant. Il y a quelque chose d’affectif aussi avec ce concept là, l’enfance, la fête foraine. Et les vices présentés sont des choses qu’on voit tous les jours. Ce n’est pas du tout moralisateur mais on retrouve des situations qu’on connaît pour les avoir vécues ou vues, j’imagine que ça parle.
A priori la fête foraine est un endroit où on va pour s’amuser.
En chœur : là on ne s’amuse pas (rires).
Pourquoi ?
Benoît : le décalage et quelque chose qui n’est pas forcément visible mais il y a beaucoup de second degré dans les paroles et même un peu d’humour sur pas mal de textes donc c’est vraiment le second degré et le décalage qui est intéressant.
Parlons un peu de la scène. Vous avez déjà joué ces titres sur scène ?
Benoît : c’était une volonté du groupe de tester tous les morceaux sur scène avant que l’album sorte parce qu’on se veut un groupe de scène, c’était l’ambition. On veut partager, vivre des émotions avec le public et, partant de ce principe, effectivement l’album allait sortir en physique et sur les plate-formes mais il fallait qu’on voit comment ça fonctionnait, qu’est ce qui marchait et on a éliminé certaines chansons en fonction du live.
Mathieu : on a fait à l’ancienne comme les groupes des années 70 qui faisaient de la scène, de la scène, de la scène et qui un jour, avaient tellement rodé leurs morceaux sur scène qu’ils pouvaient les enregistrer en 36 heures en studio. Bon on n’a pas enregistré l’album en 36 heures ! (rires). Led Zep a rodé ses morceaux sur scène pendant plusieurs années et enregistré le premier album en trois jours. Notre volonté c’était de faire de la scène, ensuite on verra ce qui arrivera.
Benoît : une difficulté pratique aussi c’est que pour des groupes de notre niveau produire un album coûte beaucoup d’argent. Se produire sur scène coûte beaucoup moins et peut même éventuellement rapporter quelques euros. Si on veut vivre notre musique, pas vivre de notre musique mais vivre notre musique, ça va d’abord se faire sur la scène avant de se faire sur l’album.
Lorsque vous avez tourné, vous avez constaté que le public accrochait ?
Benoît : oui, il y a même des gens qui revenaient (rires). On a tourné essentiellement dans l’est de la France, ça marchait très bien, certains titres plus que d’autres mais il y a un bon engouement. Ça permet aussi de rencontrer et partager notre musique avec d’autres groupes, c’était important. Maintenant que l’album est sorti, on va partir un peu plus loin.
Matthieu : on va faire une date à Paris au Klub le 22 avril et on part en tournée fin avril.
Benoit : du 21 au 28 avril. On commence par Nancy, Paris le 22, Lille le 24, la Belgique le 25, Strasbourg le 26, Lyon le 27 et on termine par la Suisse le 28.
Vous pensez déjà à un deuxième album ? Sera-t-il dans le même esprit ?
Benoît : oui, ce groupe devient notre priorité.
Matthieu : il y aura une évolution, on va travailler sur les deux guitares de manière plus harmonisée, s’autoriser plus de liberté, pas forcément jouer la même chose. Pour le chant, il va peut-être y avoir des évolutions de Benoît sur des effets , des mélodies, des tests de voix.
Benoît : pour les textes aussi puisqu’on ne restera pas dans le même concept.
Matthieu : on va évoluer sur autre chose, on a des idées, des pistes mais rien n’est arrêté pour l’instant. Il ne faut pas s’arrêter et profiter de notre dynamique.
Benoît : en ce qui me concerne, c’est la dynamique qui me fascine parce que je n’ai jamais connu autant de battage médiatique. Mon premier groupe était très local, régional, on s’amusait sur scène, on a fait trois ou quatre radios, c’est la première fois que je vis des choses comme ça et je n’ai surtout pas envie de m’arrêter maintenant !
Vous pensez quoi de la scène rock française ? C’est vraiment difficile selon vous de jouer ce style de musique en France ?
Matthieu : tout dépend de savoir ce qu’on dit quand on parle de la scène française. Effectivement être un groupe français dans le metal au sens large c’est compliqué pour se produire, pour sortir un disque, pour avoir une structure derrière qui suit le groupe. Ça demande un carnet d’adresses, des sacrifices ou du fric ou les trois à la fois.
C’est compliqué mais pas dissuasif donc.
Matthieu : non parce que je pense que beaucoup de gens ont la passion, des gens dépensent des milliers d’euros pour la pêche par exemple, des milliers d’euros en matériel de pêche. Nous on dépense notre argent dans la musique. On n’est pas dans une dynamique de se dire qu’on veut un retour sur investissement, effectivement on en rêve, on aimerait bien, mais on est lucides aussi là-dessus et moi je n’ai pas envie de tomber dans le travers des groupes fatalistes. Je me dis que si on se donne les moyens, si on y croit, ça peut marcher et pourtant je suis vieux (rires) mais moi j’y crois encore comme quand j’avais 15 ans. C’est aussi ça qui est fantastique dans la musique et dans l’art en général. En plus, on est dans un pays où on peut s’exprimer librement dans son art donc il faut s’en donner les moyens.
Le mot de la fin ?
Benoît : merci ! merci à tout le monde, à tous ceux qui vivent la musique avec nous. Les groupes avec qui on a partagé la scène, les organisations, le public, les journalistes, il y aurait trop de gens, merci pour tout ce qu’on vit actuellement.
Merci à Benoît et Matthieu ainsi qu’à Roger de Replica !