Quelle joie d'être dans un bled paumé (Briouze en l'occurrence) au soleil quand on sait que l'on va forcément passer un agréable moment en compagnie de la Ruda. Je rencontre Philly dans les loges et il m'emmène dans un cadre assez peu commun pour une interview : assis en rond dans l'herbe avec quelques bières pour nous accompagner ! Il fait chaud, tout ça a un air de vacances et de fêtes alors les sourires ne tardent pas à se faire remarquer. Je vous laisse apprécier… {multithumb thumb_width=500 thumb_height=350}
Cap'tain Planet : Cet album est plus engagé, plus festif et plus rock à la fois. Peux-tu m'expliquer ces changements brutaux qui sont tout à votre honneur ?
Philly : Brutaux c'est un peu fort à mon avis. Le gros changement qu'il y a eu c'est après le live. Après qu'on ait sorti le live, c'est la fin de l'histoire de l'art de la joie et du prix du silence, le live regroupant ces deux albums. Ca représentait vraiment l'esprit de la Ruda à l'époque, c'est-à-dire un groupe associé à la scène. Après le live, on voulait essayer de se détacher un peu au niveau des compos en essayant d'être à la fois un groupe fait pour les albums et le live. On voulait travailler avec des producteurs, des personnes qui travaillent dans le son pour ne pas hésiter à ajouter des guitares, des cuivres, différentes couches d'instruments tout en restant les 8 mêmes bonhommes. On voulait rendre les choses plus denses. Du coup on a fait ça sur « Passager du réel », mais le résultat n'a pas été à la hauteur de nos attentes mais comme c'était la première fois qu'on produisait un album avec un producteur, ce n'était qu'un coup d'essai. Sur « 24 images seconde », on a vraiment trouvé un producteur capable de faire ce qu'on voulait.
Ca amène forcément quelque chose de différent dans le son, ça amène cette grosseur. Pour prendre l'exemple sur un titre : « l'eau qui dort », si on l'avait fait nous même ça n'aurait pas du tout donné la même chose que sur l'album. Ce virage qu'on a prit est assez étrange puisqu'en fait ce sont des compositions comme celles d'avant, on joue de la même façon que sur les précédents albums mais c'est la production qui les rend différents : elle a intensifié le son, c'est ce qui fait la différence. Il faut savoir qu'en plus, dans la Ruda on aime bien cultiver la différence et on ne fera jamais deux albums identiques. Sur cet album, on a donc fait apparaître plus de rock et on a perdu à la même occasion le « salska » de notre nom.
C : Est-ce que Fabrice Leyni vous a complètement influencé pour cette production dynamique ?
P : Complètement ! Le producteur prend ce qu'on lui donne, il met ensuite ça à sa sauce, il te fait écouter ce qu'il a fait et soit tu adhères, soit tu n'adhères pas ! Tu es obligé de faire entièrement confiance au producteur et, effectivement dans notre cas, ça nous a complètement influencé ! Il a non seulement arrangé les titres mais il a aussi en partie choisi les titres, puisque pour faire un album comme celui-ci on n'a pas composé que 13 chansons.
C : Comment avez-vous fait pour qu'il n'apparaisse pas trop de contrastes entre les chansons produites par Loo&Placido et Fabrice Leyni ?
P : On était sûr qu'il y allait y avoir une différence. Mais l'avantage qu'on a eu c'est que c'était des personnes qui avaient déjà travaillé ensemble. Ils se connaissaient déjà car ils travaillaient dans le même studio avec les mêmes ingénieurs. Du coup, ils forment une sorte d'équipe de travail : Loo& Placido, Antoine (l'ingénieur) et Fabrice. Les quatre bonhommes se sont appelés et se sont répartis le travail : Loo& Placido étaient plus habitués aux titres ska et plus tranquilles et Fabrice Leyni pour les morceaux rock. Pour en revenir à la question, nous avions la volonté que les titres paraissent différents mais il y avait un garde fou car ils avaient déjà bossé tous les quatre.
C : Les cuivres sont beaucoup plus en retrait que sur les précédents albums mais ils gagnent en efficacité, comment avez-vous géré cela ?
P : Il n'y a évidemment pas eu de sujets de discorde à propos de cela. Pour les cuivres, on s'est beaucoup posé de questions : à partir de « Passager du réel », on a commencé à travailler les riffs, c'était très compliqué car tout était harmonisé et il s'avère que ça n'a pas donné ce que l'on voulait. On prenait beaucoup trop de place dans certains morceaux et ça cassait un peu l'énergie.
Sur « 24 images seconde », on a travaillé différemment : on posait d'abord toutes les rythmiques et les cuivres venaient se greffer seulement aux endroits où ils pouvaient servir le morceau. Auparavant on ne travaillait pas comme ça, peut-être parce que l'on faisait des erreurs de jeunesse en voulant toujours s'imposer individuellement. On systématisait trop la présence des cuivres. Notre nouvelle méthode de travail a effectivement rendu les cuivres plus efficaces car ils apportent quelque chose au morceau. Par contre si tu les enlèves tu remarqueras qu'il manque quelque chose.
Il y a aussi une différence dans la construction des morceaux : les cuivres sont moins harmonisés et jouent plus à l'unisson, ça donne beaucoup plus de puissance. La méthode d'enregistrement a changée aussi pour les cuivres puisque qu'on a enregistré en vrai stéréo, c'est-à-dire que quand on avait fini d'enregistrer un riff de cuivre, on considérait que cela correspondait à un côté de l'enceinte et il fallait ensuite réenregistrer le même riff pour l'attribuer à l'autre côté. Rien n'est doublé, c'est une véritable stéréo. C'est une méthode compliquée car il faut enregistrer la même chose au millième de seconde près. Ca a été le même exercice pour les guitaristes.
C : Que retiens-tu des différents morceaux présents sur l'album ?
P : Pour nous « 24 images seconde » ce ne sont pas les morceaux qu'il y a sur l'album. Chacun en retire sa playlist. Les anecdotes que je tire de cet album c'est tout d'abord le titre « 24 images seconde ». Chacun de nos albums est composé de titres qui représentent parfois un an de travail.
C'est Manu notre batteur qui en général compose les titres, pour ce titre là il l'avait composé sur son ordinateur le matin et Pierrot est venu poser le texte l'après midi. Depuis on a quasiment rien changé, c'est-à-dire que le morceau que tu écoutes actuellement chez toi c'est le même que le titre composé par Manu à la seule exception qu'il est version live. On a même hésite à le laisser uniquement en version machine. Le titre a donc été composé en une journée.
A l'opposé, « l'eau qui dort » c'est un morceau qu'on a composé en une année. C'est un mélange de 3 ou 4 morceaux. On a essayé plein de versions différentes pour les cuivres jusqu'à la dernière seconde d'enregistrement. Sur un album il y a toujours ce genre de morceau qu'on n'arrive pas à finaliser car ce sont des sacs de nœuds sur lesquels on se prend la tête ! Ca a été la même chose sur « Nuits diluviennes », « l'art de la joie » c'est pareil Pierrot a téléphoné à Manu au dernier moment alors qu'il était en studio pour lui dire qu'il avait trouvé la fin du texte pour le morceau. Il a donné la structure de la fin du morceau aux gars qui étaient par chance en pause au studio d'enregistrement.
Il y a aussi des morceaux qui n'ont pas forcément d'histoire et qui sont plus à un travail régulier. Je pense que « 24 images seconde » est un album qui contient plutôt ce 3 e type de chansons.
C : Tu m'as parlé de titres qui auraient pu être electro, on peut d'ailleurs en entendre parfois grâce au Bruit du bang, pourquoi ne pas en exposer certains sur une fin d'album ?
P : Ce sont des influences uniquement, ce ne sont pas des maîtrises. Même sur un seul titre on serait incapables de le faire. On n'a pas forcément la culture musicale qui va avec ces influences. On se concentre sur ce qu'on sait faire au mieux. Par contre individuellement on essaye de développer cette diversité. Notamment Fred (qui compose les remix que tu entends sur le Bruit du Bang) a monté un groupe en parallèle : Kazamix. Ils ont sortis deux albums et un vinyl. Manu aussi joue beaucoup avec La Phaze.
C : Vous êtes un groupe très disponible, quel genre de relation cherchez-vous à établir avec votre public ?
P : La volonté c'est de démystifier le groupe de rock et ses stéréotypes. Je suis le plus fervent là-dedans. Je trouve que ce n'est pas comme ça qu'on s'enrichit. Si aujourd'hui il y a des groupes qui prétendent pouvoir donner des leçons pendant une heure et demi et qui après ne partagent rien avec leur public et qui n'acceptent pas les critiques qu'on peut leur faire, je trouve ça dommage. Je pense qu'ils perdent l'essentiel d'une relation groupe-public qui leur permettrait de les enrichir, de les faire évoluer. C'est grâce à cette communication qu'on démystifie le côté rock-star d'un groupe. Certains mots comme « backstage », « VIP » ont pris des connotations qui sont tout à côté de la réalité. Pour certaines personnes c'est un rêve d'être en backstage, comme ça l'a été pour nous-même lorsqu'on était gosses.
A partir du moment où les gens viennent à toi, c'est qu'ils se posent des questions et qu'ils veulent en savoir plus sur le groupe. Je pense qu'on ne peut pas leur refuser ça car c'est déjà génial qu'ils s'intéressent à ta musique, qu'ils fassent des kilomètres pour venir te voir, qu'ils payent leur entrée au concert, etc …S'ils en veulent plus encore c'est une obligation pour nous de leur en donner plus. Je ne comprends qu'on veuille cacher ou interdire certaines choses. On a bien accès à la culture gratuitement via des bibliothèques, internet, les mairies, etc… et Toi, musicien, tu pourrais prétendre à être indisponible et à cacher certaines choses ? Quelle prétention !
Malheureusement, c'est vrai que ça demande beaucoup d'efforts : certains groupes pensent comme moi mais ils ne font rien. La Ruda n'est pas engagé dans des causes politiques, on ne va pas lever le poing en criant « révolution ! » à chaque coin de rue mais on est disponible concrètement pour notre public. On peut lui montrer comment ça se passe dans les studios, en tournée, etc… c'est toujours possible. Tout s'organise, tout est possible … il suffit d'être disponible, d'être là au bon moment et de poser les bonnes questions.
C : Quels retours sur l'album avez-vous eu depuis sa sortie ?
P : Les réactions ont été multiples. Il y a eu deux phénomènes à la sortie de l'album : le premier a été un changement de public, la Ruda ça fait 10ans que ça existe et il y a eu des gens qui ont lâché la Ruda. La grosse critique qu'on fait à la Ruda c'est que les concerts sont trop souvent identiques et qu'on utilise les mêmes recettes en live. Certainement à cause du renouvellement de public on a eu des critiques assez étranges. Certains vont avoir des arguments pour faire des critiques qui ne sont pas fondées. Certains ne connaissent même pas « Le prix du silence » qui est pour nous l'album par excellence de la Ruda. Les critiques vont parfois à l'inverse de ce qu'on pensait d'un titre. Par exemple, pour les gens qui connaissaient déjà la Ruda, ils n'ont pas aimé l'electro sur « Naouel ». Par contre ceux qui découvrent la Ruda aiment ce morceau.
Si je dois faire un bilan au bout de six mois, l'album est le mieux produit et c'est le plus rock qu'on ait jamais fait. Je réponds à cela que dans l'album il y a deux morceaux ska-jazz qui n'ont jamais été aussi ska (« Sam »). Après ça il y a beaucoup de critiques subjectives sur nos titres, c'est normal, chacun ses goûts et ses couleurs.
C : S'il y avait trois règles pour donner naissance à une bonne chanson de la Ruda, quelles seraient-elles ?
P : Une bonne chanson de la Ruda, quand on y pense dans le local, c'est un texte de Pierrot (ça ne pourra être personne d'autre qui puisse chanter ou écrire un texte), quelque chose de jouable en live (les morceaux pour nous qui ne sont pas réussis sont ceux qui ne sont pas jouables en live) et la troisième règle serait qu'un bon morceau doit ouvrir des portes. Le morceau ne doit pas ressembler à un autre déjà fait par le passé.
C : Comment s'étaient effectués les arrangements sur l'album de Loïc Da Silva ?
P : On lui a laissé carte blanche. Seul Pierrot est intervenu avec le texte « Mado » qu'ils ont mis en musique ensemble.
L'interview se termine malheureusement là alors que mon enregistreur rend l'âme sans que je m'en aperçoive. Adieu fin d'interview ! L'entretien avec Philly avait pourtant duré plus d'une heure et c'était terminé dans de joyeux sourires …
Merci à Philly (t'es génial !!!), à la Ruda et à ses accompagnants. Merci à l'organisation du festival Art Sonic.