Cap'tain Planet : Tout d'abord, comment peut-on décrire Dub Incorporation ? De dub, il n'y a que le nom …
Aurélien : Au début du groupe, Dub Incorporation n'était qu'un trio instrumental : guitare, basse, batterie. Au fur et à mesure des rencontres, le groupe s'est composé de 7 musiciens. On s'est amusé à divaguer et au bout du compte on a quand même gardé le nom. Tu sais que le dub s'est aussi une interprétation parce qu'on ne peut pas dire que le dub français, c'est du dub… c'est UN dub. Nous on a décidé de garder cette ambiance là … et puis il ne faut pas de justification pour tout ! (rires).
C : Dub Incorporation c'est une équipe d'une dizaine de personnes au total. Comment s'organise-t-on lorsqu'on est autant ?
Hakim : Y a pas vraiment de secret. On essaye d'être assidus. On prend conscience que ça fait 7 ans qu'on joue ensemble. Ce qui nous motive c'est qu'on arrive à créer, qu'on arrive à se comprendre. Et ça durera encore un bon moment !
Aurélien : C'est vrai que chacun a réussi à trouver sa place. On est tous indépendants : certains travaillent sur les textes, d'autres sur les instrumentaux, d'autres encore sur l'administratif, etc…
C : Qu'est ce qui pousse un groupe à se dire qu'il faut entrer en studio ?
Hakim : Tout simplement pour laisser une trace de ce que l'on fait. C'est un pur plaisir de pouvoir enregistrer des morceaux pour pouvoir ensuite l'écouter chez soi. Les gens aiment avoir une trace. La communication du groupe passe aussi par là. Et puis le studio a son charme …
Aurélien : Pour Dub Inc. le premier album représente 5 ans de travail sur scène qu'on a mis sur disque. Là, pour « Dans le décor » on s'est donné 1 ans pour renouveler notre répertoire. Sur 8 mois on a fait que composer …
C : Pouvez-vous nous dire comment s'est passé tout le processus de création de cet album ?
Aurélien : On a fait une pré-prod durant les premiers mois. A partir du moment où les morceaux venaient petit à petit on a enregistré une maquette qu'on a envoyé à Sam Clayton, un jamaïcain qui vie dans la région de Saint Etienne. Quand on avait tous nos morceaux de prêts on est entré en studio. Pour la première fois on a enregistré les instruments en live. Une seule prise pour batterie / basse, ensuite les guitares et enfin le clavier et les chants. En tant qu'indépendants on n'a pas fait vraiment de pré-promotion. On a tout fait après que l'album soit enregistré. Ca reste toujours un peu amateur mais je pense qu'on s'est bien débrouillé…
C : Quel travail vous a demandé le plus d'efforts ?
Hakim : La création. Ca demande beaucoup d'efforts, d'énergie, de réflexion. Tu t'enfermes pendant 3 – 4 mois et tu cogites sans cesse. C'est pas le travail le plus difficile mais à terme c'est le plus convaincant…
C : Au final, à la sortie de « Dans le décor » de quoi êtes vous le plus fier ?
Aurélien : Tout d'abord d'avoir sorti l'album mais aussi et surtout de l'avoir fait en indépendant, sans aucune distribution. Pendant un moment on pensait signer pour un contrat en licence avec un petit label mais au final on a dû travailler seul. Une perte est parfois un gain. On a réussi à emprunter et à financer l'album en se serrant la ceinture. On a fait la production et la promotion par nous même… L'album est entré la première semaine à la 61 ème place des charts et quand tu vois la liste des personnes qui sont au-dessus et en dessous, c'est une chose dont tu peux être fier.
C : Vous êtes donc fiers de ce que vous avez produit, vous pensez avoir réussi à corriger tous les défauts qui ressortaient du précédent album ?
Hakim : Elle est difficile ta question. Je peux te répondre ‘oui' comme je peux te répondre ‘non'. Chacun y voit sa personnalité. Pour ma part il y a des choses que j'ai essayé de corriger selon ma vision des choses mais en tous cas une chose est sûre, c'est qu'avec « Dans le décor » j'ai acquis une maturité. Pas à maturité, mais à UNE maturité. Après c'est au public de juger …
C : Depuis le précédent album on ressent une évolution dans la mentalité du groupe. Est-ce que Dub Incorporation est plus serein qu'avant ?
Aurélien : Je pense que ça va avec ce que l'on disait avant. Peut-être qu'avec cette maturité, il y a une sérénité qui s'est installée. Si tu parles au niveau musical, on s'est peut-être plus calmés…
Hakim : On est peut-être plus calmes et soudés mais on a toujours autant la rage ! Je pense qu'on l'a même encore plus qu'avant…
C : Vous êtes un groupe qui tourne beaucoup, est ce que ces voyages laissent une trace dans vos chansons ?
Aurélien : Oui, un exemple concret : nous sommes allés au Sénégal sur l'île de Gorée et on en a tiré le morceau « Chaines » qui parle de la traite des esclaves. Et puis ce qui nous intéresse dans la scène s'est d'aller voir les gens. Après ça peut se ressentir dans nos textes, pas forcément dans les thèmes mais dans la manière dont on souhaite communiquer avec le public. On sait peut-être mieux comment leur dire les choses désormais …
C : Quelle est la plus belle salle dans laquelle vous ayez pu jouer, votre meilleur souvenir ?
Hakim : Pour moi ce qui reste l'événement le plus torride c'était au Sénégal. Jouer devant 20.000 personnes sans barrières ni service de sécurité c'est ‘dangerous' !!! Mais c'est pas l'anarchie justement … C'était un endroit qui pouvait contenir à tout casser 10.000 – 15.000 personnes. C'est inoubliable.
C : C'est aussi l'occasion de faire des rencontres … Parlez moi des personnes qui sont en guest sur l'album …
Aurélien : Pour te résumer rapidement ça s'est passé pour la plupart comme pour Tiken Jah Fakoly sur l'album précédent. La première, Lyricson, c'est une personne qu'on a rencontré sur la route et avec qui on a fait des concerts. C'est un type qu'on apprécie artistiquement. Pour nous c'est un espoir du Dance Hall français. Le morceau enregistré avec Omar Perry était prévu au départ pour le chanteur d'Asian Dub Foundation parce qu'on avait tourné avec eux. En fin de compte on a pas pu l'avoir mais Sam Clayton connaissait Omar Perry l'a alors appelé. Ca s'est fait assez rapidement puisque le morceau était prêt. Enfin pour Steel Pulse c'est venu d'une blague, on se demandait quelle participation pourrait tuer pour l'album d'après. On a cité Steel Pulse et … Sam Clayton l'a appelé ! Ca s'est fait très simplement …
C : Quand est-ce que Dub Incorporation « s'éclate » sur scène ?
Hakim : Sans prétention, tout le temps. Il y a des moments qui sont excellents. Par exemple quand pendant 4ans tu n'est pas retourné dans une ville et que la fois où tu reviens le public a grandi, a mûri, etc… Là, c'est un pur plaisir !
Aurélien : Tu vois ce soir, c'était vraiment bien. On ne connaissait pas trop le coin et on a vraiment vibré…
C : D'où tirez-vous l'inspiration de vos textes d'une manière générale ?
Aurélien : De nos expériences, de ce qu'on voit, de ce qu'on lit. Certaines personnes nous reprochent que l'album soit un peu triste. On parle de l'esclavage, de la dépression, de la France-Afrique , … mais ce qui nous touche c'est ce qu'on a rencontré pendant qu'on était en studio. On a découvert la France-Afrique avec Tiken Jah fakoly, on a rencontré dans notre entourage des personnes avec des problèmes de santé mentale, etc… On a essayé de s'inspirer de tout ce qui nous touchait.
C : Est-ce qu'on peut vous considérer comme un groupe engagé ?
Aurélien : C'est évident. C'est un engagement qui n'est presque pas voulu. C'est quelque chose qui vient tout seul…
C : Jusqu'où peut aller l'engagement politique de l'artiste ? Est-ce que l'artiste peut dépasser son statut social pour devenir homme politique ?
Aurélien : On est tout à fait conscient qu'une chanson ne changera pas les choses. C'est ce qu'on dit dans la chanson « Never ». Après si une personne qui vient à notre concert peut repartir avec une idée, c'est une avancée. Avec une chanson tu ne peux pas donner une conscience politique. En plus, ce n'est pas notre but. Le but c'est de révéler des questions. Ce n'est pas démagogique. On n'a pas un public qui connaît forcément la France-Afrique ou la situation en Palestine. L'artiste qui devient politicien, je ne pense pas que ça soit très adapté. A mon avis, si tu passes dans le discours, tu deviens vite chiant. On essaye d'attirer les gens sans avoir recours au discours. C'est difficile de ne pas tomber dans le discours mais on ne cherche pas à imposer nos idées. Le but est dans la réflexion et pas dans le discours. Le discours fait partie du domaine politique. Après, poser la question de la militance, c'est quelque chose d'intéressant …
C : Je pensais surtout à différentes personnalités qui se sont mises en avant pour certaines causes …
Aurélien : Ah oui, de ce point de vu là, je pense que c'est notre rôle. C'est ce qu'on tient à faire. C'est notre rôle aussi d'artiste engagé. Mais pour moi ça ce n'est pas devenir politicien.
C : Est-ce que vous vous considérez comme des portes paroles d'une population ?
Aurélien : Je ne pense pas qu'on soit des portes paroles. Tout le monde a des expériences différentes. Hakim et moi nous sommes issus de l'immigration. On a un passé que beaucoup de gens ont et ces personnes se reconnaîtront peut-être dans nos paroles. Pourtant si tu regardes notre public, il n'est pas fait que d'arabes et de noirs, c'est aussi un public de blancs.
C : Et aux vues d'un public, qu'est ce que représente l'artiste pour celui-ci ?
Aurélien : C'est difficile à dire par ces temps de star academy… Ce que nous voulons représenter c'est le choix d'être artiste, d'être intermittent. C'est déjà être militant et s'engager dans la vie de tous les jours. Pour beaucoup de gens, être un artiste c'est être quelqu'un de croustillant, c'est être une star. Pour nous, c'est quelqu'un qui va de l'avant, qui essaye d'innover, qui enfonce des portes, etc…
C : Quels sont vos projets pour les prochains mois ?
Hakim : Dans deux semaines on attaque la tournée. On a une trentaine de dates sur 2 mois. Après un mois de repos on enchaîne sur un maxi et une tournée pour le promouvoir. On espère aussi un autre featuring avec Steel Pulse.
C : Préféreriez-vous que les jeunes filles du premier rang pleurent ou s'évanouissent en vous voyant ?
Hakim : Pour moi c'est plutôt du genre humain, c'est à l'évidence même de l'essence de la rose qui naît au fond de chacun. Et je ne saurais t'en dire plus ! (rires)
Aurélien : Pour moi, je veux qu'il y ait encore plus de monde et que tout le public s'éclate !
Un grand merci à Dub Incorporation et à Mathieu leur manager !