Pour la 16ème fois, le festival Art Sonic s’est tenu ce week-end à Briouze dans l’Orne (61), et a ravi son public par l’éclectisme de la programmation, la solidité scénique de ses têtes d’affiche, et la clémence du temps qui a épargné des participants toujours survoltés. Entre l’extravagance de Katerine, l’énergie scénique de Cali, la puissance de Gojira et les claques électroniques de Beat Torrent, il y avait de quoi faire ce week-end en Basse Normandie!
Si l’inquiétude bien légitime des organisateurs quant au temps chaotique de ses dernières semaines s’est vite apaisée par un temps gris mais sec, la fréquentation s’en est tout de même ressentie, avec 11 000 personnes cette année, soit un peu moins que l’année dernière, le public craignant sûrement de passer un week-end très humide, comme ce fut le cas aux Vieilles Charrues cette année. Néanmoins, ceux qui sont venus n’auront pas été déçus par les 21 groupes qui ont orné la programmation de ce week-end. Comme à son habitude, le festival nous a réservé un line-up plus Rock le vendredi, «familial» et Electro le samedi, en fonction des heures de passage…
Revenons d’abord sur la journée de vendredi. Premier fait marquant de la journée, l’arrivée sur scène de Headcharger, un des régionaux de l’étape. Les caennais, en pleine ascension depuis leur participation l’an passé aux Sonisphères anglais et espagnol déroulent leur set devant un public acquis d’avance à leur cause, qui connaît les paroles par cœur du dernier The End Starts Here. Toujours pleins d’énergie, le groupe n’a toutefois pas fait évoluer sa setlist depuis quelques mois maintenant et pour ceux qui les ont vu plusieurs fois, il n’y ce coup-ci rien de nouveau à se mettre sous la dent. La reprise de Led Zeppelin («Communication Breakdown») est très limite techniquement et vocalement, et on sent le groupe un peu en bout de course après avoir énormément tourné ces dernières années. Peut-être le moment d’entrer en studio et de démarrer un nouveau cycle…
Misconduct
HK et les Saltimbanques prennent le relais avec leur musique «nomade» festive mais néanmoins solidement engagée, un peu dénuée d’originalité mais toutefois efficace, qui réussit à bien chauffer une partie du public normand, féru de la vague française des musiques festives dans le style de La Rue Ketanou ou Zebda. Va s’ensuivre un vent de légèreté qui soufflera sur la plaine ornaise. D’abord avec les suédois de Misconduct et leur punk-rock très communicatif, appliqué et énergique, qui voit son chanteur en pleine communion avec le public français, visiblement passionné par notre beau pays, et le public lui rend bien, provoquant les premiers pogos et slams du week-end devant un très bon set et des reprises de riffs très connus pour chauffer l’ambiance. Puis Raggasonic s’installe sur la scène d’en face, sans surprise mais là aussi appliqué, le combo qui fête ses vingt ans d’existence malgré une pause de dix ans, et qui lance l’euphorie dans l’assistance pour le premier gros concert de la grande scène… tous les tubes du groupe sont lancés et repris en cœur, un beau moment de nostalgie pour ceux qui étaient ados dans les années 90, distillé par un groupe définitivement sympathique, ce qui ne gâche rien. Un petit tour par les stands pour se restaurer, l’occasion de souligner le faible prix des consommations et de la nourriture, une bonne chose comparé à d’autres festivals (Sonisphère, Main Square, Rock en Seine) où les prix sont prohibitifs pour de la nourriture de mauvaise qualité… On a repris des forces, on va pouvoir s’intéresser au show pour le moins original de The Inspector Cluzo. Un peu dans le style de La Chanson Du Dimanche, duo revendiqué sans bassiste et fier, on va passer un sacré bon moment entre humour et riffs fusion solides, hommages à la Gascogne (pays natal des deux compères), et pitreries musicales ou non en tout genre. Un spectacle original et soigné musicalement qui s’exporte, il paraît très bien, on comprend maintenant mieux pourquoi.
Gojira
Mais il est désormais l’heure de se frotter aux frères Duplantier et leurs amis des Landes, j’ai nommé Gojira, raison de la venue d’une bonne partie du public ce vendredi… Gojira a souvent joué en journée dans les festivals, ils sont donc particulièrement heureux d’être ici en tête d’affiche, et le fait qu’ils jouent à cette heure prend tout son sens car on découvre avec plaisir les jeux de lumière, fumées et vidéos, auxquels on n’a pas droit quand le groupe joue en journée comme au Sonisphère. Setlist plus violente qu’à l’accoutumée, desservie par un son clairement pas à la hauteur, on ne boudera quand même pas notre plaisir, même si une partie du public ne suivra pas l’intégralité du concert, sûrement désorienté par cette avalanche de décibels, qui peut être déroutante pour qui ne connaît pas les perles de From Mars To Sirius et The Way Of All Flesh. En tout cas le combo lui a l’air de prendre du plaisir sur scène, et l’exécution technique et vocale est toujours très bonne. Gojira ne rejouera pas de sitôt en France, et c’était une belle opportunité de les voir une dernière fois avant la sortie du nouvel album, dont on vous parlera très bientôt.
La journée du samedi sera riche en expériences musicales différentes; du ska-rock des espagnols de Mallacan aux reggae traditionnel français de Broussaï, en passant par la référence du Punk Français, Les Sales Majestés, il y en a pour tous les goûts. On sera marqué par la très bonne prestation musicale de The Lanskies, groupe originaire de St Lô, représenté par un chanteur dont la voix ressemble énormément à celle de Robert Smith, mais qui s’exprime sur des compositions elles, bien originales et très bien pensées… on souhaite que ce groupe puisse s’exprimer à l’avenir sur de belles scènes et c’est en tout cas très bien parti. Les rouennais de Christine auront orienté la nuit des festivaliers vers de sombres nappes rappelant l’univers de John Carpenter et des beats saturés à souhait, ces gars ont fait leurs début aux platines il y a longtemps et ça se sent dans leur son affuté comme jamais. Trois têtes d’affiche majeures vont donner le La de cette soirée plus ouverte à tous les publics. Le premier à s’exprimer sera Katerine, qui, s’il peut sembler complètement cintré vu à la télé, se révèle encore plus dérangé en live… dans le bon sens du terme, maniant l’absurde comme personne, mettant une ambiance de feu au début de soirée, interpellant, dansant, chantant des litanies venues droit de l’asile, donnant un sens à des choses qui n’en ont pas… un artiste à part entière, théatral, empli de bonnes et de mauvaises intentions («Marine Le Pen», «J’aime Tes Fesses»), se prenant un déluge de bananes auquel il ne s’attendait visiblement pas, goguenard, chiant au possible avec ses ritournelles désuètes, mais souvent génial et soutenu par une musique de très, très bonne qualité, ce qu’il faut souligner. Un show qui prend toute son ampleur dans un festival… Excellent, donc.
Katerine
C’est son ami à la ville, Cali, qui lui succédera un peu plus tard sur la grande scène, drainant un spectacle immense, homme de spectacle accompli qu’il est, avec une énergie que peut-être aucun autre artiste français n’a sur scène, donnant son cœur, ses tripes et plus encore pour faire vivre ses hymnes à l’amour et au bonheur, faisant participer tout le monde à son orgie à la fois épicurienne et engagée. Un artiste d’une qualité rare et qui a une dimension live incroyable, les programmateurs d’Art Sonic ayant vraiment visé juste en l’invitant, après Olivia Ruiz l’année dernière, permettant à un public plus large de se mêler aux habituels festivaliers qui eux aussi auront apprécié cette prestation pleine. Chapeau, l’artiste.
Cali, dans tous ses états…
Le duo Electro Hip-Hop Beat Torrent sera la dernière tête d’affiche à s’exprimer, pour l’un de ses derniers sets avant qu’ils ne se lancent dans l’aventure C2C avec Hocus Pocus, redoutables artificiers de la platine, mélangeant hip-hop et Rock sur de gros beats Electro bien lourds. On sort épuisé mais comblé de cette édition, par la variété des artistes qui ont pu s’exprimer, sauvés par le temps qui est finalement resté clément, et décidé à revenir l’année prochaine pour une salve d’éclectisme de plus. Art Sonic est un festival à taille humaine incontournable aujourd’hui dans l’Ouest de la France, apprécié par les artistes, soutenu par toute une région, et qui, malgré quelques points négatifs comme la zone de camping où règne un peu trop l’anarchie alcoolisée et l’impossibilité de trouver des protections auditives sur le site, demeure une réussite culturelle et humaine, portée à bout de bras par les plus de 200 bénévoles. A l’année prochaine, donc!