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Mon quotidien, deux ans après le Bataclan

Aujourd’hui, nous commémorons le triste deuxième anniversaire des attentats du Bataclan. En cette période de recueillement, on prend forcément un peu de recul. Plus que jamais je constate que ces événements ont radicalement changé ma vie. Un nouvel emploi, un déménagement loin de Paris, deux rendez-vous médicaux hebdomadaires, quelques jours ‘avec’ et beaucoup de jours ‘sans’. Ce n’est pas pour tomber dans le pathos que je prends la plume, en tant que victime, aujourd’hui, mais plutôt par un profond besoin de partager mon quotidien, comme je l’ai fait depuis presque 15 ans avec Vacarm, comme je l’ai fait au lendemain des attentats pour reprendre espoir, ou encore l’an passé à cette même période quand je sombrais dans le doute. Ecrire, c’est survivre. Et, même s’il est difficile de se livrer, je considère que cela fait partie intégrante du processus de consolidation des victimes. Combien de témoignages avez-vous lu et combien en lirez-vous encore ? Sans famille, sans amis, sans entourage, sans lecteur, on meurt.

Je reste sidéré par l’impact d’un événement aussi bref, sur nos vies, celles des victimes, de leurs familles, de leurs entourages, et plus largement de nous tous. Pour moi, par chance, il n’aura duré que quelques minutes, et pourtant il a changé considérablement mon quotidien. Il y aura toujours un avant et un après. Je ne peux donc que compatir à la douleur des autres victimes, directes ou indirectes. Alors, le Bataclan, deux ans après, ça veut dire quoi ? C’est quoi la condition de victime ? L’exercice n’est pas de formuler une pensée politique ; il y aura toujours des réjouis et des déçus d’une situation qui nous met tous sous pression. Mon propos est plutôt de fournir un témoignage humaniste du quotidien d’une victime parmi les autres.

Commençons par le symbole du 13 novembre, la date. Comme je le disais, il y aura toujours un avant et un après. L’avant 13 novembre 2015, vu depuis la lorgnette du 13 novembre 2017, c’est une vie en mouvement. Je me marie en septembre, je change d’emploi en octobre, c’est un dynamisme extatique. L’après 13 novembre 2015, c’est un profond désarroi moral et parfois physique lié au stress post traumatique. Ainsi, le 13 novembre, pour une victime, ce n’est pas seulement l’heure du recueillement, car cette période anniversaire est particulièrement traumatisante : en novembre 2016, les crises d’angoisses me clouaient au lit ; en 2017, je doute de nouveau et je constate que les réminiscences – ces cauchemars / flash back des événements – réapparaissent et que mon sommeil dérape. Cette date est importante pour les victimes, car elle implique une organisation. Pour ma part, j’anticipe le 13 novembre 2017 depuis plus de 4 mois : prise de rendez-vous médicaux, entretien d’une hygiène de vie, la mise en œuvre de « filtres médiatiques ». Je travaille sur les réseaux sociaux : comment ne pas être exposé à ces facteurs de stress que représentent les commentaires inappropriés ou tout simplement l’actualité qui nous rappelle injustement le Bataclan ? Bref, on se forge une carapace de manière cyclique depuis ces deux dernières années.

Le temps est un élément primordial de la condition de victime : c’est avec le temps que l’on se reconstruit. Mais, c’est aussi avec le temps, que se développent des tensions, car il y a une différence entre le souvenir et la mémoire. Si vous vous souvenez des attentats, les victimes elles se les remémorent. Il émerge une dissymétrie entre la victime et son entourage qui a parfois vite oublié les événements qui continuent d’avoir un impact quotidien sur la victime. Cela se concrétise souvent par des maladresses, mais qui « coûtent » à la victime. Dans la position de cette dernière, cela se traduit par des problématiques de communication complexes : comment lui dire ? comment s’avouer victime ? Par exemple, l’an passé, un ami s’est offusqué que je ne réponde pas à ses messages, comment lui dire qu’on était le 13 novembre et que, si je ne lui répondais pas depuis quelques jours, c’est que j’avais d’autres maux à soulager ? De même, pendant longtemps, je ne pouvais pas me rendre dans une salle de cinéma, je déclinais systématiquement les invitations de mes amis, d’autant plus s’il s’agissait d’un film avec une quelconque violence (je comprends enfin l’intérêt des mentions PEGI, auxquelles j’étais jusqu’à maintenant hermétique). Comment leur dire que le choix du film est inopportun quand on est, au mieux, capable de supporter le dernier Disney ? Imaginez ce genre de situation au travail, dans des configurations qui peuvent paraître anodines, mais encore plus hiérarchisées ou face à des personnes moins proches : l’obligation d’être présent à une réunion, une conversation face à client, … Cela vous met en détresse. Maintenant que j’ai déménagé à pour vivre à Rennes, la question que l’on me pose le plus souvent au cours de conversations concerne mes motivations à m’installer dans cette ville. Comment expliquer les véritables raisons ? « Je suis victime du Bataclan, je me suis installé à Rennes parce que je ne peux plus vivre à Paris ». Je ne vous conseille pas d’essayer, ça jette le plus souvent un froid, même deux ans après… A 31 ans, j’ai l’impression d’avoir perdu 2 ans de ma vie à me poser ces questions, à essayer de regagner confiance en moi.

Certaines victimes que j’ai rencontré vivent très différemment leur quotidien. Après les attentats, certaines ont exprimé une profonde joie de vivre. Ce(ux) qui ne nous tue(nt) pas, nous rend(ent) plus fort(s). Ce n’est pas vraiment mon cas. Je me suis senti fort quand j’ai pris les bonnes décisions, c’est-à-dire quand j’ai pu sortir indemne de la salle, en reprenant mon souffle, en réalisant que je n’avais perdu aucun proche, en quittant un emploi devenu inconfortable, en quittant une vie devenue incommodante à Paris, en reconstruisant ma vie à Rennes. Mais, je me suis surtout senti faible en réalisant le drame, en perdant totalement confiance en moi, en devenant agoraphobe, en ne pouvant plus prendre les transports en commun, en étant angoissé et sous pression au moindre pet de mouche, en perdant de vue des amis, en étant incapable de formuler mes maux. Bref, on vit des frustrations quotidiennes d’ordre très différents, que ce soit la recomposition de son cercle relationnel, la chute soudaine de sa motivation ou les symptômes physique du stress, qui, objectivement, vous bouffent la vie. Ce stress n’est pas toujours intense, mais il est particulièrement éprouvant car il vous fatigue à la longue. Cette vigilance permanente m’a rongé le dos, m’a empêché de dormir, et m’a parfois exclu socialement.

Il est aisé d’imaginer les angoisses vécues par une victime, les jours ou les mois suivants l’attentat. Ça l’est beaucoup moins deux ans après. Moi-même, je ne comprends pas toujours mes réactions ou mes peurs incontrôlées. Si les angoisses les plus intenses se sont estompées, je suis toujours en tension. Je vais vous donner quelques exemples récents. La semaine dernière, j’étais très sensible aux bruits. Je sors de chez le psychiatre, je remonte la rue noyée dans mes pensées, je me retrouve face à deux jeunes qui courent à contre-sens après avoir fait explosé deux petits pétards, plus haut. Flippe totale [NB : Lorsque les terroristes se sont mis à tirer, le bruit des balles ressemblait à des pétards]. Le week end qui suit, en pleine journée, un groupe d’ados parle un peu fort dans la rue, j’étais à ma fenêtre, à les regarder là-aussi angoissé. Le soir, des supporters de foot font sauter quelques feux d’artifices à proximité de notre appartement, je n’en ai pas dormi les deux jours suivants. Idem, depuis 2 ans, j’ai arrêté les footings pour me consacrer à d’autres activités sportives car la course me rappelait la fuite. On pourrait classer tout ça dans les petits aléas du quotidien, et puis se dire que ça passera. Ou bien, on peut se dire qu’on va y faire face. On va se faire un peu mal et, à la fin du compte, on sera immunisé. On retourne à des concerts, on se force à aller au cinéma, on va courir, on ne fuit pas les lieux bruyants… Mais, comment y prendre du plaisir ?

Autre constat, il y a des angoisses plus lointaines, comme les procédures judiciaire et d’indemnisation. Tout le monde veut vous aider, mais qui va véritablement le faire, au final ? Il y a des dizaines d’associations de victimes, des avocats compétents et puis toutes les assurances, qu’un jour, vous avez contractualisé sans imaginer qu’elles vous serviront. La plupart font un travail remarquable pour accompagner les victimes, mais encore faut-il accepter leur aide. Et puis, il faut se justifier, c’est un exercice difficile. Comment justifier que je ne suis pas parti vivre à Rennes pour le plaisir ? Comment évaluer les pertes d’opportunités professionnelles ? Dans ces procédures de preuve, je suis ahuri par le nombre de victimes qui évoquent avec angoisse l’expertise médicale, parce que certains médecins semblent manquer cruellement de compassion. Personne n’a envie de passer cette expertise ; et ce n’est pas juste une peur comme celle que l’on peut ressentir à l’approche d’un rendez-vous chez le dentiste. Non, on n’a pas envie de passer l’expertise car elle nous met une pression folle. Car, on sait qu’on va devoir encore répéter son histoire, qu’il va falloir se livrer, se faire scanner et devoir encore se justifier. Est-ce que tout ce que l’on a vécu ne suffit pas ?

Voilà pourquoi j’irais me recueillir à 11h, face au Bataclan. Comme toutes les personnes présentes, ce sera pour veiller à la mémoire des victimes et de leurs proches. Et puis, ce sera un peu pour évacuer mes angoisses, et surtout pour affronter la vie devant nous, pour faire en sorte que ces deux dernières années ne soient pas qu’un mauvais souvenir, pour reprendre un peu espoir et peut-être avoir la force de donner des nouvelles à ceux que j’ai perdu de vue. Il y aura encore un ‘avant’ et un ‘après’, en espérant que l’an prochain sera plus doux que l’an passé.

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3 commentaires

Laetitia 13 novembre 2017 at 10 h 03 min

Je compatis à cette situation.
Après que dire quand on a eu la chance de ne pas vivre se genre de situation?
J’espère que pour vous ça ira de mieux en mieux.

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le gall 15 novembre 2017 at 10 h 10 min

Très juste

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Stéphane Toutlouyan 15 novembre 2017 at 16 h 01 min

Il est super ton article, Erwan !

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