Né à la fin des années 60 en Jamaique, le DUB (qui signifie en anglais copier / doubler un film) est devenu aujourd'hui un style musical à part entière s'écartant de ses origines. La légende veut que ce soit King Tubby (Osbourne Ruddock de son vrai nom) qui ait commis une erreur lors du mixage en omettant d'enregistrer la piste vocale d'un morceau. Impossible de vérifier la véracité de cette histoire, il serait tout aussi possible que King Tubby, féru de musique reggae et d'appareils électroniques, voulu graver ses dub plates (exemplaires uniques de disques moules servant ensuite à graver en série les vinyles) de manière à amplifier le couple basse/batterie tout en atténuant les voix sous des effets de réverb. Une dubplate était aussi un moyen de tester la version en sound system et d'apprécier la réaction du public. {multithumb}
Les radios ne diffusaient en ces temps là que peu de reggae music en Jamaïque. Fruit de la création des ingénieurs du son et non des musiciens ou des producteurs, le dub propose un agencement des pistes particulier et l'utilisation de fréquences basses. Le constat est qu'aujourd'hui, tout comme dans les années 90 avec la techno, le dub est devenu un terme fourre-tout qui cache des groupes bien différents les uns des autres qui évoluent dans une sphère musicale aussi roots qu'électronique. Le dub n'est donc plus considéré comme un style musical mais plutôt comme une manière de produire et de traiter le son.
Nous ne ferons pas ici un historique pur et simple rempli de dates et de noms d'artistes inutiles mais nous chercherons à amener une réflexion sur l'état actuel du dub et comment il a été possible d'en arriver là.
C'est en 1972 que King Tubby commença ses expérimentations musicales dans son studio (« Tubby's home town hi-fi ») à l'aide d'un enregistreur deux pistes. Le studio de Tubby portait le même nom que son sound system home town hi-fi et était le meilleur en terme de qualité. Il construisit pour cela des amplis de puissance à lampes KT88 avec un son redoutable pour alimenter ses scoops 18" avec le deep round bass sound comme il dit ! A l'aide de morceaux originaux d'artistes tels que Lee Perry ou Bunny Lee, il va appliquer des effets conçus par lui-même. A la fin des années 70, en Jamaïque, les clubs proposent des remix de dub mais celui-ci très proche du reggae jusqu'aux années 90. Lee Perry sera l'un des premiers artistes à proposer un album entièrement composé de morceaux dub (Blackboard jungle dub) qui étaient réservés aux faces B jusqu'alors… Notez aussi que c'est Augustus Pablo qui popularisera l'utilisation du mélodica. Augustus pablo était un des meilleurs amis de Tubby. Il mourra d'un cancer refusant la médecine de babylone…
Il apparaît deux types de dub : l'un est empreint au reggae et s'impose comme la continuité de la musique roots jamaïquaine alors que l'autre apparaît plutôt comme une musique de studio pure où l'ingénieur du son se libère en tant que musicien pour produire une musique riche d'expérimentations et en transgressant les règles du métier. La force du dub est donc sa diversité et son identité propre issue des influences musicales de chaque artiste. Le dub a donc réussi en 30 ans à fédérer un large public issu de la rencontre des rude boys Jamaïquains et des punks européens.
En effet, avec l'avènement du punk dans les années 70 on retrouve de nombreuses similitudes entre les scènes punks et reggae. Ce dernier utilise dans ses textes toute la violence du punk malgré une musique calme et posée. N'oublions pas que de nombreux leader de groupes punks (Sex Pistols, The Clash, Killing Joke, The Stranglers, …) étaient passionnés par la musique Jamaïquaine et s'égareront pour certains dans des compositions dub. En Angleterre, à partir de 1977, c'est Don Letts (big audio dynamite BAD avec Mick jones ex-The Clash) qui mixait reggae et punk au Roxy, fameuse boîte londonienne. Il a toujours un sound system (Dub cartel sound system) et vient de réaliser un film en Jamaïque.
De nombreux événements appelés « Punk reggae party » sont aussi organisé en Angleterre : ce sont des festivals où se réunissent groupes de punk et de reggae pour faire partager leur musique respectives. Le mouvement « Rock against Racism » rapproche aussi les deux styles musicaux dans les années 70 pour les fédérer contre un ennemi commun : le National Front. De plus avec un public largement citadin, le dub a réussi à attirer les punks issus de l'alternatif qui était lui-même issu à moitié de la scène ska-reggae. C'est certainement un goût prononcé pour la contre culture et l'anticonformisme qui rapprocha le dub du punk et du reggae. De ce point de départ, le dub a pu s'orienter vers des ambiances oppressantes et tendues plutôt que vers une musique très zen et claire.
En 1990, King Tubby est assassiné d'un coup de revolver par un criminel sans réelle motivation (si ce n'est les quelques billets que possédait King Tubby dans son porte-monnaie). Le dub s'enlisait jusqu'alors avec un manque d'originalité persistant. La précédente décennie avait été marquée par le label ON-U Sound, son fondateur Adrian Sherwood et Mad Professor. ON-U Sound, véritable institution dub, avait réussi à imposer le dub comme un style musical à part entière tout en le popularisant. C'est alors qu'en Angleterre au début des années 90 apparaissent quelques groupes (Alpha & Omega, Jah Warrior, The Rootsman, Bush Chemist, Iration Steppas, Zion Train) qui vont révolutionner le dub en apportant une forte influence électronique. En effet, l'avènement de la techno offre une très belle opportunité au dub de se renouveler. Les possibilités offertes par l'électronique amènent les groupes à la recherche constante de l'innovation sonore. On retrouvera des projets aussi étranges que du dub métal (Dub War) ou des mix avec des beats jungle.
Quand est-il du message à faire passer ? Comme toute les musiques un tant soit peu alter mondialistes et intègres, le dub est une histoire de fête, de partage et de solidarité. On fusionne les genres (comme l'ont très bien prouvé High Tone, Kaly live Dub et Improvisators Dub pour donner lieu à deux split cd ou encore Zenzile et Meï Teï Sho sur Modus Vivendi). En France, le mouvement dub s'enclenche dans les années 90 aux quatre coins de la France (ou plutôt six puisqu'on parle de scène hexagonale !) dans des projets parallèles. High Tone à Lyon, Improvisators Dub à Bordeaux, Ez3kiel à Tours, Zenzile à Angers, Lab° en Ile de France, Dubians à Lille, Kanka à Rouen, etc… sont les chefs de file d'un mouvement qui se veut extrêmement varié : aucun groupe ne se ressemble par ses sonorités et seule la nationalité semble être le dénominateur commun de ses formations.
A la fin des années 90, le mouvement s'enclenche et chacune de ses formations hétéroclites se croyant seules jusqu'alors s'aperçoive qu'une scène hexagonale est en train de naitre. Prônant l'indépendance totale, les groupes se rallient au sein de quelques labels indés (Wuga Wuga, Jarring Effects, Hammerbass, Bangarang, etc…) pour obtenir une parfaite liberté artistique et une autonomie donnant lieu à une solidarité forte entre eux. Petite particularité du dub français : alors qu'en Jamaïque, le dub est une musique de sound system qui se joue en disco, en France on préfère différencier nettement la musique live du studio en privilégiant la scène pour donner une touche moins aseptisée à leur musique souvent électronique. Le dub est évidemment une musique universelle et les groupes français ne croient généralement pas à un « phénomène hexagonal ». Celui-ci ressemble plus à une tournure de phrase journalistique qu'à une réalité et même si le dub français se caractérise par ses performances live, on retrouve le même esprit et des sonorités similaires en Angleterre ou dans d'autres pays d'Europe.
Le dub représente le plus large terrain d'expérimentation qu'il soit. Avec un engagement autant politique que musical, les formations les plus novatrices de France sauront encore longtemps rallier un public vaste composé de familles musicales aussi éloignées qu'a priori incompatibles à réunir. Le dub et ses signes identitaires remarquables ont encore de beaux jours devant lui …