Qui vit dans la cité des ducs bretons et s'intéresse un tant soit peu aux mouvances electro ne jure que par une seule chose en cette arrière-saison musicale, et on lui donnera raison : le festival Scopitone, qui, pour l'occase, se réapproprie la ville de Nantes pour lui donner des couleurs digitales. Ça fait maintenant quelques temps que l'affaire roule pour le mieux, et que les programmations se succèdent sans rien lâcher sur la qualité. L'édition 2009, en l'occurrence, sort l'artillerie lourde pour les deux soirées du weekend, mais les autres affiches, qu'on doive se délester de quelques deniers ou arriver les mains dans les poches, en appellent à notre curiosité et notre soif d'éclectisme. Bon, hop, mode marathon, il s'agit d'assurer.
Première chose : au vu de la pénurie de billets, cette année, pas trop de soucis à se faire pour l'organisation, qui aura bien réussi à assurer son bilan financier sur ce coup-là. Pas de soirée à l'Olympic pour nous, et c'est bien dommage, rater Buraka Son Sistema et Chinese Man dégage quelque chose de particulièrement frustrant, plus encore quand les bruits de couloir du lendemain relatent à la quasi-unanimité la grande qualité des prestations. Notre escapade sonore commencera donc jeudi soir, notre dévolu se sera jeté en l'occurrence sur le set de Kap Bambino. Le duo de Bordeaux confirmera sans problème son statut de « bankable band », et on comprend d'autant mieux leur succès outre-manche et leur réputation live solide. Affaire à suivre pour eux, et on ne doute pas que ça va marcher.
La Friche Numérique, qui a pris place dans les anciennes usines Alstom sur l'île de Nantes, est un cadre assez idéal comme base centrale du festival, niveau ambiance. Le public pourra d'ailleurs apprécier durant la journée plusieurs installations audiovisuelles plus ou moins barrées préparées par des artistes comme Fredo Viola (qui jouait également le jeudi à la salle Paul Fort dans le cadre du festival), Levelhead ou Sound Delta. Des expériences vraiment sympatoches et originales, qui montrent bien l'effort de l'organisation de proposer un événement complet et ouvert, ce qui a l'air de marcher au vu de la diversité des personnes qui testent avec enthousiasme les ateliers qui s'offrent à eux. Ce lieu, avant de muter en Friche Electro le vendredi et samedi soir, accueille ces mêmes jours des concerts gratuits en fin d'après-midi, et c'est donc plutôt contents de l'état de notre portefeuille que nous allons voir Tvestroy, A-B-C-D Light (tous deux donneront des prestations froides et très expérimentales, pas très digestes mais tellement appréciables à cette heure de la journée) et DJ Kentaro, qui ramènera du monde sur le coup de 19h. Verdict : un set technique et démonstratif à outrance, le style veut ça, mais ça marche très bien. Morceaux pas super inédits ? Certes, mais le japonais ne tombe pas non plus dans la caricature et garde un certain niveau d'exigence dans ses choix tout en nous faisant baver devant cette maîtrise des turntables dont peu ont le secret… et ça envoie. Succès. On évacue les lieux, une heure plus tard les portes s'ouvrent une nouvelle fois pour accueillir Boys Noize, Feadz et Laurent Garnier, entre autres. Pas dégueu, pour autant qu'on possède un ticket, mais le lot de consolation est plus qu'honorable : aux Nefs, set d'Agoria & Oxia dans une installation visuelle présentée comme impressionnante. Et effectivement, niveau mirettes, c'est la tarte : des visuels ultra détaillés projetés sur plusieurs couches d'écrans semi-transparents, donnant une impression de relief du plus bel effet, les deux gaillards mixant dans une enclave au milieu de la structure. Beau, OK, mais niveau son ? Un set techno qui casse rien, mais qui a le mérite d'être classe et bien fait. Aujourd'hui bonne journée, mais demain, programme chargé, au dodo.
Hop, c'est samedi, rebelote, seconde session de concerts gratuits à la Friche Numérique. Y'a pas, la fin d'après-midi, c'est aussi particulier que génial pour apprécier de l'electro « qui s'écoute » dans un hangar. Incite/, duo electro allemand peu loquace et visiblement un peu dans son monde, rend le public un peu circonspect en offrant une electronica-indus glaciale, métallique, noisy et lorgnant parfois vers le breakcore. La brique passe, et vraiment très bien, un des meilleurs concerts vus jusque là dans ce weekend. Mais c'était sans compter Tim Exile. Son album Listening Tree nous avait plu, son live nous aura mis à genous. Pas une seconde d'ennui, on le voit faire, on ressent son travail au bout ses doigts, on sait qu'il ne triche pas (une caméra placée au dessus de son attirail nous conforte dans notre position), on jubile lorsqu'il crée ses morceaux avec des bouts d'onomatopées scandées au micro puis triturées (ou des applaudissements mutés en nappes de synthé) ou lorsqu'il descend dans la fosse avec un joystick pour gondoler sa voix en nous regardant dans le blanc des yeux. Un mélange de cold wave, d'electronica, de pop, de break déstructuré parfois, mais toujours avec la même classe et la même sincérité. Public conquis, bien que calme pendant le set, et qui ovationnera chaleureusement l'intéressé.
Place à la soirée finale à la Friche Electro, et ce soir, y'a du gros. On commence avec We Have Band, nouveau phénomène pop-electro-machin venu de cette chère Albion et dont on peut retrouver certains morceaux chez Kitsune. Le buzz vaut-il le coup ? Honnêtement, non. Le trio ne dégage que peu de charisme, la musique est pauvre, et ça glande pas mal sur scène (un « batteur »-chanteur qui appuiera le son de la boîte à rythmes qui tourne toute seule, une « percussionniste » qui gère un pad électronique et qui peine à rester dans le rythme malgré une simplicité extrême dans son jeu, et un gratteux qui assure le minimum). Direction grande scène, pour voir si Beat Torrent envoie comme il faut. Pour le coup, oui, complètement. Les échappés de C2C ne laisseront aucun répit au jeune public, balançant tube sur tube, de façon d'ailleurs particulièrement putassière mais assumée. Daft Punk, Boys Noize, les Beastie Boys, ou encore Nirvana, on tape dans ce qui marche et basta. Peut-on leur en vouloir ? On vous laisse juge, en tout cas, la recette prend sans aucun problème. Brodinski, le mec « french touch 2.0 mais pas trop quand même » nous jouera un set dans ses cordes, c'est-à-dire empreint de ce qui se fait en electro française en cette fin de décennie, mais aussi de choses plus techno ou éventuellement lorgnant vers la fidget house. Vraiment pas mal, même si la fosse répond moins présent (le repos du guerrier avant Vitalic ?). L'homme de la soirée arrive sous les cris du public et entame son live avec dans son dos deux grands panneaux luminescents. Le live ne se révèlera pas à la hauteur, le son n'étant déjà pas assez percutant, et le live manquera de souffle et de pêche, les plans s'étirent et finissent par lasser. Dommage. Derniers sur la liste, les Simian Mobile Disco, en mode DJ, joueront un set sympa et efficace, qui nous fera regretter de ne pas pouvoir assister à un vrai live. Fin des festivités pour nous et pour la plupart, les visages satisfaits sont unanimes, la soirée a plu. On sera quand à nous plus réservés et on regrettera l'aspect un peu trop « foire au dancefloor » de cette soirée, plus orientée kids qu'amateurs de musiques electro (notez le S à musiques, hein). Dans l'ensemble, Scopitone se termine sur une note plutôt positive pour nous, des concerts globalement de qualité, une prog pertinente (un peu plus d'éclectisme, peut être ?), un public réceptif, pas grand chose à redire de ce festival, qui confirme sa place dans le panorama des festivals electro français.
Photos : Pencilkz.