On a eu le temps de commencer à prendre Thrice au sérieux. Irvine, Californie, a eu l'honneur d'enfanter une des formations de post-hardcore ricains les plus prolifiques qui soient, et aussi des plus évolutives. D'un groupe parmi tant d'autres dans son style à ses débuts, le quatuor a suffisament taffé pour produire une galette de référence de l'emocore/post-hardcore (The artist In The Ambulance, 2003). Puis de prendre le contrepied de ce qu'ils venaient de créer avec le noir, varié et contrasté Vheissu en 2005, et de pousser ce contraste en le mettant au service d'un concept fort (la suite des quatre EP nommée The Alchemy Index, en 2007/2008). Déjà un nouveau skeud ? Dustin Kensrue ne semble pas tenir en place, pas plus que ses comparses, mais ce coup-ci, le challenge est de taille après un passif comme celui-là. Beggars n'a pas la prétention des précédents opus, mais il y gagne peut être en sincérité.
Bon, déjà, elles sont où les grosses grattes qui lattent ? Quoi, y'en a pas ? Pas comme on a pu l'entendre lors des précédents opus en tout cas. Thrice a remisé ses murs de son au placard, que ceux qui les affectionnaient principalement pour ça passent leur chemin. Ou non en fait, restez un peu, vous vous rendrez compte qu'une prod plus simple et une composition plus justement rock peut aller également droit au but. Car il est bien question de rock ici, on en prend conscience dès les premières notes de « All The World Is Mad », pourtant pas la plus éloignée des références premières du groupe. On en fait moins, pour faire passer plus, c'est ce que semble dire la musique de Thrice, qui aura plus bossé la composition et lâché un peu ses pédales d'effets. Le simplement beau « Circle », même si on tombe un poil dans le gnangnan, porte beaucoup plus que n'importe quel titre tiré des EPs Water ou Air de la tétralogie The Alchemy Index, ambitieuse mais souffrant de son cloisonnement stylistique et d'un travail peut être trop poussé sur les textures et les ambiances. Les guitares post-rockiennes de la fin du morceau touchent au but. « Doublespeak » n'oublie pas le piano cher à Kensrue, avec un Teppei Teranishi posant un riff de refrain simple, efficace, qui sonne. On a trop souvent comparé Thrice à Radiohead ces derniers temps, comparaison osée et un peu élogieuse. On peut effectivement penser vaguement à « Weird Fishes » à l'écoute de « The Great Exchange », ce qui n'est pas pour nous déplaire, mais cela montre aussi qu'au match de la chanson pop mélancolique et arpégée, les Oxfordiens restent les maîtres incontestés en leurs plates-bandes. « Wood And Wire » et son petit côté « post-rock Tortoisien sans trop en faire » est juste classe, encore une fois sans prétention aucune. Et bon, histoire que les amateurs de couillu ne s'enfuient pas en courant, « At The Last » envoie comme il faut, même si encore une fois, bien qu'on ressente des racines latentes, fini l'emocore et place au rock. Le titre éponyme, sonnant comme un blues-rock éclopé, finira de façon explosive et larsénée, concluant l'album comme il l'avait commencé : sans fanfreluches, juste avec sincérité.
Thrice aura réussi à se renouveler sans trop de difficultés, ce qui pouvait sembler ardu. Pas en dépassant le travail effectué auparavant, mais simplement en prenant une autre direction, qui s'avère pertinente. Leur musique perd en contrastes et en expérimentations, c'est certain. Mais elle gagne en cohérence et en maturité. Beggars est vrai et c'est ce qui compte, et, bien qu'on puisse regretter le côté un peu consensuel de certaines compositions, on peut peut que saluer leur qualité en matière de songwriting. C'est ça aussi, la marque des grands.
.: Tracklist :.
01. All The World Is Mad
02. The Weight
03. Circles
04. Doublespeak
05. In Exile
06. At The Last
07. Wood & Wire
08. Talking Through Glass
09. The Great Exchange
10. Beggars