Se lancer dans un album de reprises, même quand on possède une notoriété incontestée, est toujours un exercice périlleux; de nombreux artistes, plus ou moins en fin de carrière, se sont lancés dans cette voie ces dernières années, comme Paul Anka, Sting ou encore Rage Against The Machine, avec selon les cas plus ou moins de réussite. C’est le choix qu’a aussi fait l’insondable Peter Gabriel, ex-membre de Genesis et gourou de la world music, avec ce Scratch My Back, première partie d’un projet où l’artiste rend hommage aux groupes qu’il affectionne, avant la seconde phase où ceux-ci devront lui rendre la pareille.
C’est en 1975, et malgré un énorme succès planétaire que Peter Gabriel décide de quitter Genesis, le groupe qui le fait accéder au panthéon des Rock stars mais où il se sent à l’étroit, laissant ainsi le champ libre à Phil Collins pour faire de Genesis un groupe de rock qui n’a plus de Rock que le nom, et une usine à tubes radiophoniques dans les années qui suivent. C’est que le mondialiste Peter Gabriel nourrit de vastes ambitions, bien au delà des frontières de son Angleterre natale. Créateur du label Real World, emblème de la world music, activiste humanitaire très engagé, au point qu’il sera désigné « Homme de la paix 2006 » lors d’un sommet de lauréats des Prix Nobels, il pratique une musique d’avant-garde dans les années 80, utilise les séquenceurs et les synthétiseurs au sein de mélodies mathématiquement découpées pour coller à des shows combinant musiques du monde et haute technologie, paradoxe d’un homme dont le rêve est que les hommes utilisent enfin le progrès technologique pour favoriser la paix dans le monde…
C’est ainsi que depuis 2002 et son album Up, Peter Gabriel a surtout donné place à ses ambitions humanitaires en laissant de côté sa prodction musicale personnelle. Avec la sortie de Scratch My Back, on se pose la même question que l’on peut se poser lorsqu’un artiste en fin de carrière sort un album de reprises, à savoir s’il est toujours créatif ou à bout de souffle. En réalisant un album accoustique où ne seront utilisés que piano et violons pour soutenir une voix omniprésente, l’ex-Genesis fait preuve une nouvelle fois de son charisme musical et de sa grande technique vocale, avec des arrangements qui magnifient les morceaux qu’il reprend. Des anciens standards Rock tels que l’intouchable « Heroes » de David Bowie qu’il ose transformer en ballade intemporelle, aux compositions actuelles de groupes comme Arcade Fire (le grandiloquent « My Body Is A Cage ») ou Elbow (le spendide « Mirrorball »), en passant par les tubes des années 80 (« Listening Wind » de Talking Heads), c’est à une large palette de ce qui se fait de mieux depuis 30 ans dans le Rock que Peter Gabriel a voulu s’attaquer. Utilisant une voix langoureuse et dramatique à souhait tout au long de l’opus, l’ambiance générale est glauque au possible, notamment grâce à l’utilisation de tempos ultra-lents.
Un conseil, ne comptez pas sur cet album pour vous remonter le moral en cas de coup dur, Peter Gabriel a décidé de jouer la carte du mélodramatique à fond, et ce n’est pas la reprise de « Street Spirit » de Radiohead qui termine l’album qui arrangera les choses. Le second volet de ce projet s’intitulera normalement I’ll Scratch Yours, et permettra aux artistes et groupes honorés ici de renvoyer l’ascenseur à l’humaniste du Rock, qui ne s’est pas contenté dans cet effort de réinterpréter ces morceaux, mais réellement de se les approprier dans un ensemble vocal et harmonique grandiose et ténébreux, servi par des arrangements haut de gamme, loin des expérimentations techniques de son passé, mais plus proches de l’homme inquiété par son époque et ses dérives qu’il est aujourd’hui.
.: Tracklist :.
1. Heroes
2. The Boy in the Bubble
3. Mirrorball
4. Flume
5. Listening Wind
6. The Power of the Heart
7. My Body Is A Cage
8. The Book of Love
9. I Think It’s Going to Rain Today
10. Après moi
11. Philadelphia
12. Street Spirit (Fade Out)