Avec un quatrième album en forme de retour aux sources, Dagoba s’est installé petit à petit comme l’un des leaders du métal français, imposant son metalcore aux relents indus et laissant un peu de côté les tentations néo du passé… Déterminés comme jamais à répandre leurs Waves Of Doom, Shawter (Chant) et Franky (Batterie) nous font part de leurs ambitions et de leur vision éclairée du monde du métal et de la culture en général…
Etes-vous contents de retrouver Paris, vous les marseillais, pour la première date intra-muros de cette tournée?
Shawter: Oui, ca faisait longtemps! On a un public très fidèle sur la capitale depuis toujours, et en plus c’est une salle que nous n’avions jamais fait donc c’est un peu une inauguration pour nous.
Justement, pourquoi le choix de La Maroquinerie?
S.: C’était assez stratégique en fait. C’était au départ dans le cadre d’une tournée avec le groupe danois Mnemic qui a annulé au dernier moment, on voulait faire cette tournée dans une salle intimiste en premier lieu pour ensuite faire un plus grande salle parisienne plus tard, ce qui devrait se faire normalement.
Maintenant que vous avez bien entamé la tournée pour défendre le dernier album, Poseidon, comment percevez-vous l’accueil du public pour les nouveaux titres?
S.: On est super contents qu’on nous réserve pour les nouveaux titres, en plus ça s’accorde très bien avec le reste de notre setlist, tout s’enchaîne très bien… les réactions du public sont excellentes pour le moment.
Franky: Il y a un petit côté «consécration» car les gens connaissent maintenant bien les titres, ont pris le temps d’écouter le nouvel album et d’apprendre les nouveaux titres… le public chante souvent les refrains avec nous et ça, pour ma part, je sens qu’il y a eu un déclic par rapport aux tournées précédentes, ça devient un échange automatique entre eux et nous, une vraie osmose…
S.: Je pense qu’au bout de quatre albums on a réussi à installer notre marque de fabrique. Les gens savent quel type de musique on va leur balancer et quelle énergie on va donner.
On sait que vous n’êtes pas contre le fait d’aller jouer à l’étranger, au contraire, donc comment ça avance à ce niveau là? Irez-vous défendre Poseidon en dehors de nos frontières?
S.: Ça avance à très grands pas en fait. On a toujours eu cette propension à exporter le groupe, pas après pas: après le premier on voulait s’installer en France, après le second on voulait faire connaître le nom en Europe, avec Face The Colossus on a réussi à parcourir à nouveau ces contrées mais en tête d’affiche, et cette fois-ci l’objectif affirmé était de traverser l’atlantique et là ça se concrétise car en janvier, on ira pour la première fois jouer aux USA. On est exactement là où on voulait être, on a fait les choses à notre rythme, on n’a pas voulu se brûler les ailes et on ne peut que se féliciter de cette attitude et j’espère que l’ascension se poursuivra…
En théorie, les groupes de métal ont tendance à se calmer musicalement en vieillissant, ce qui n’est pas du tout votre cas! Comment expliquez-vous cela?
S.: Nous étions très jeunes lorsque nous avions commencé et maintenant on est dans la force de l’âge. Franky à la batterie, c’est une grosse mécanique, un gros bosseur et il n’est pas encore dans l’âge où on régresse physiquement! Je pense qu’il peut accélerer encore pendant 10 ans! Et nous autour on essaie de se maintenir au niveau…
F.: La constatation que tu fais sur beaucoup de groupes, nous l’avons faite aussi très jeunes, en voyant des groupes qui vont à la dégringolade au niveau de l’énergie, et c’est un truc que je souhaite pas du tout pour Dagoba. On continue à écouter des albums très extrêmes, et dans le métal, c’est un besoin de cultiver la culture extrême pour maintenir un cap de musique agressive et brutale. C’est vrai que, comme tu dis, parfois, passé un certain âge, les discographies des groupes deviennent un peu mielleuses… mais étant donné que le public reste jeune et les groupes de plus en plus extrêmes, si nous on décline au niveau de l’énergie, on risque de rater un wagon… J’ai beaucoup plus de respect pour des groupes comme Slayer ou Morbid Angel qui maintiennent le cap avec très peu d’évolution, car les groupes à évolution ne me font pas rêver sur la longueur… J’espère que Dagoba aura une carrière assez fidèle au style de départ.
S.: Pour y avoir réfléchi depuis un moment déjà, je pense que tout ce que les gens pourront entendre de plus calme de nous est déjà derrière nous. Tout ce qui va arriver à partir de maintenant sera plus extrême, car tout ce que nous avions à dire de façon gentillette a été dit. Attendez-vous à une décennie de Dagoba assez sanglante!
Tu parlais précédemment de la batterie; sur Poséidon, il y a des titres ou la double pédale crée presque la mélodie tellement elle est entrainante, à l’opposé des double «mitraillette» que l’on a l’habitude d’entendre… était-ce une volonté de faire quelque chose de différent à ce niveau là?
F.: Je pense que ça a été une volonté d’ensemble inconsciente pour se diriger vers un retour aux sources… quand je pense au premier album et au tout premier mix, il y avait un côté très Fear Factory, une rythmique chirurgicale avec la batterie en avant donc sur Poséidon, il y a une similitude très palpable… avec le choix de cet ingé son, on savait qu’il n’allait pas sous-mixer la batterie. Après Face The Colossus, on voulait un retour assez musclé rythmiquement, tranchant et efficace. Pour ce qui est de la composition, une fois les titres posés, je prend facilement un trimestre à écrire les parties de batterie soigneusement, pour que chaque break et chaque rythme colle au millimètre à la compo, et pas d’improvisation. Il n’y à rien de laissé au hasard et j’essaie que la batterie ne soit pas la cinquième roue du carrosse et juste accompagnatrice.
Les intros et les transitions séquencées sont particulièrement soignées sur Poseidon sans que l’on tombe dans la surproduction à outrance. Comment avez-vous réussi cela?
S.:On a fait évoluer notre matériel surtout, c’est plus une question technique que théorique. J’ai toujours eu dans la tête des arrangements sympas et, même si ma méthode est plus un travail de brocante complexe que de musicien, moi ça me fascine et ça me passionne. La différence c’est que sans avoir les moyens de se payer un orchestre, on peut se rapprocher de quelque chose d’assez naturel en ayant fait évoluer notre technologie.
Vous avez dit avoir regretté ne pas avoir été suivi par les «mass medias» pour le précédent album avec un certain parti pris, est-ce que honnêtement vous y avez un jour réellement cru, alors que de nombreux artistes métal et surtout néo, comme Mass Hysteria par exemple, s’y sont cassé les dents?
S.: J’ai pu constater avec Face The Colossus, qu’on avait eu moins de succès que d’habitude, mais en France seulement. En France on nous a beaucoup parlé du son et pas de l’écriture… On a eu beaucoup d’éloges de l’étranger, il nous a permis de passer des échelons là-bas et je ne pense pas qu’il nous ai fait perdre notre fan-base en France car les concerts sont pleins partout…
Ça serait donc plus lié à un manque de culture Rock en France selon toi?
S.: Je pense surtout qu’il y a eu un énorme problème avec notre ancien label qui a eu des gros ratés lors de la sortie… sortir l’album quatre mois après la date prévue, avec le téléchargement ça ne pardonne pas… et quand on sait qu’on arrive encore à faire la moitié de nos vente sur le territoire français, quand tu foires la sortie, tu ne pas t’attendre à autre chose qu’un échec ou un semi-échec… je ne suis pas du genre à cracher dans la soupe mais voilà…
Aujourd’hui vous êtes chez XIII Bis Records, est-ce que ça se passe mieux?
S.: Oui ça se passe très bien. C’est Franky, lui qui a une culture plus métal, qui souhaitait qu’on ait un label qui s’occupe de notre groupe comme si c’était le leur, et on a ce ressenti. On n’a pas hésité une seule seconde pour rejoindre cette écurie, et c’est la première fois de notre vie où on a que des bonnes surprises! On peut se reposer sur une équipe stable et fiable, qu’on voit moins que nos producteurs précédents mais qui sont beaucoup plus efficaces… et ils ont un savoir-faire qui n’est pas propre à l’industrie du métal et ça c’est très, très important et bénéfique.
Sur l’ensemble du paysage radiophonique français, il n’y a qu’une seule émission consacré au Rock alternatif, rien du tout à la TV, ce qui montre très vite les limites pour la promo des groupes de métal en France en dehors du net… On sait qu’il y avait eu une tentative ratée pour que le groupe passe dans une émission sur Europe 1, par exemple… quelle est votre vision là-dessus?
F.: Ça m’énerve vraiment que ce style de musique soit ignoré par les médias. Le petit essai qu’a fait un rédacteur d’Europe 1 a foiré car le gars a limite été bâillonné, presque menacé jusqu’au dernier moment et au final ça a été coupé, puis passé en éclair, on aurait dit que ça avait fait un esclandre chez Europe 1… je ne saisis pas, j’ai l’impression que le style métal en France est ramené à des poivrots pleins de bière qui bougent la tête comme des Hommes de Cro-Magnon, et ils ont envie de laisser ça enterré dans l’underground et aucun gros média ne prend le risque de s’intéresser à quelques groupes et de tenter une petite médiatisation ou au moins un non-boycott… c’est ça qui serait intéressant. On ne dit même pas que ce mouvement existe, c’est carrément oublié.
S.: Je suis très pessimiste sur le côté un peu culturel, car si on regarde les pays anglo-saxons qui ont eux totalement assimilé le métal, c’est parce qu’ils ont une vraie culture Rock…C’est une culture que l’on a pas de façon traditionnelle… quand les USA et l’Angleterre avaient les Rolling Stones, nous on avait Aznavour et les Chaussettes Noires… Ces pays-là ont réussi à éduquer l’oreille des gens au fur et à mesure et aujourd’hui c’est bien assimilé que des groupes de métal extrème soient sur le devant de la scène. En France, il n’y a pas cette base Rock du tout et le métal apparaît comme très extrême pour l’auditeur lambda car il n’est même pas passé par l’étape Rolling Stones! Dire que le métal est populaire en France, ça revient à dire que l’Angleterre est un pays de bonne bouffe! Eux ont le Rock et nous le vin en gros… Le salut d’un groupe français passe malheureusement par l’étranger.
F.: Sans parler du métal, il y a un gros problème culturel. La musique de masse est complètement pourrie, on est dans la bassesse culturelle à la TV, et l’attitude des jeunes dans la rue en découle. Ils ne savent même pas qui sont les Stones ou AC/DC! On crée une mal-bouffe culturelle sans repère…
Vous retournerez au Hellfest cette année, avec quelles ambitions, sachant que ce sera votre troisième participation?
S.: Une cirrhose du foie? (rires)
F.: On va partager l’affiche avec de beaux groupes, c’est vraiment bien. Je voudrais faire un petit aparté sur la façon dont a été médiatisé le Hellfest l’année dernière dans une émission de grande écoute sur TF1, qui a été d’une nullité absolue… voilà comment la France soutient son plus grand festival de Rock…
S.: C’est le retour de la chasse aux sorcières. Ils font de l’audimat sur les métalleux qui s’habillent en noir et pillent des tombes… Ça ne les intéresse pas de montrer un métalleux qui passe son doctorat ou quelque chose du genre et pourtant ça existe.
F.: Ils ont pointé le doigt sur ce qui fait rire ou faire peur pour descendre une fois de plus le métal au plus bas. Quitte à ne pas faire de pub, autant qu’ils ne nous cassent pas les couilles avec des sujets comme ça. J’espère qu’ils intervieweront un jour un groupe comme Gojira qui a ouvert une sérieuse voie pour la musique française sur le monde et qui soutient des causes bien plus grandes que pas mal d’autres artistes français…
En cette fin d’année, que peut-on vous souhaiter pour 2011?
S.: Tout! Que tout aille bien!
F.: Une bonne réussite sur le territoire américain pour que les «Waves Of Doom» s’étendent un peu sur la planète, car on se rend compte qu’une bonne tournée et des bonnes ventes de disque là-bas sont un excellent tremplin pour la scène européenne. On y va vraiment avec les dents longues et l’envie de séduire le public américain et si on y arrive ce sera vraiment une grande avancée pour le groupe.
Un grand merci à Shawter et Franky pour leur gentillesse et leur vision de la scène métal et du reste…
Un grand merci aussi à Samuel (XIII Bis Records) qui nous a permis de réaliser cette interview dans de bonnes conditions…
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.net