Vous demandez-vous parfois ce que le grunge est devenu aujourd’hui ? Moi, oui, mais c’est peut-être parce que j’ai plus de 40 ans. En tous cas, c’est dans le bayou, entre la Nouvelle-Orléans et Baton Rouge, que la flamme semble avoir été la mieux entretenue. Le swamp, son atmosphère poisseuse, ses palétuviers tordus surplombants des étendues noires…Bien sûr, le voilà le milieu naturel où ce genre musical se devait de subsister encore, dans le sludge local notamment, comme un vieil alligator lent et dépressif mais encore prêt à user de sa force pour vous tirer toujours plus vers le fond.
Big Garden est de ce coin-là, de cette culture-là : une énergie négative, presque adolescente, des riffs simples et efficaces, un sens de la mélodie certain… J’insiste : ce n’est pas du sludge metal que Big Garden nous sert avec son album “To The Rind”, mais bien du grunge, à l’ancienne, quelque part entre Alice in Chains, Stone Temple Pilots, Failure et Nirvana époque “In Utero”. Le titre qui ouvre l’album, “A Sliced Up Pear”, est un très bon exemple de cette approche bien référencée, qui saura vous replonger dans le véritable état d’esprit des années 90, option chemise à carreau XXL, cheveux gras et croûtes aux doigts de pied. Mitch Wells, créateur du groupe, revendique d’ailleurs fièrement cette filiation – interview à lire dans Decibel.
Évidemment, l’influence sludge reste aussi là. Né à la Nouvelle Orléans pendant la réclusion COVID, Big Garden porte le son de son pays. Ecoutez “Crown Shyness”, par exemple. La présence de deux membres de Thou, Mitch Wells et Matthew Thudium, tous les deux à la guitare et au chant, se ressent bien. Mais, on le sait aussi, Thou aime Nirvana – je vous conseille d’ailleurs “Blessings of the Highest Order”, disque de reprises qui noircissent et transcendent la musique du célèbre groupe d’Aberdeen, WA. Et, comme Nirvana, Big Garden privilégie une approche plus pop que Thou, avec de grosses touches de shoegaze, notamment dans l’utilisation intensive de la reverb et dans le chant. On retrouve aussi un côté stoner, comme par exemple dans les évocateurs “Memory of the Mountain” ou “Tension Loop”. Ces morceaux sauront vous faire lentement remuer vos cheveux dans un état second. Des titres comme “Stars, Planets, Dust, Us” ou plus contemplatifs comme “I’m Scared of the Ocean” laissent aussi entrevoir quelques étoiles entre les frondaisons du marécage brumeux.
Plus facile d’accès que la musique de Thou, donc, et moins sombre que la moyenne habituelle des groupes de métal de Louisiane, mais pourtant authentique et plein d’une belle mélancolie, l’album “To The Rind” de Big Garden saura conquérir votre cœur, notamment si vous êtes dans un trip nostalgique. Cette approche claire obscure, respectueuse d’une forme de tradition grunge dans l’art de la composition mais aussi plus moderne dans la production, peut aussi faire penser au groupe floridien Torche.
Et si, comme moi, vous aimez ce genre de sons, n’hésitez pas à explorer le catalogue de Gilead Media, le label qui propose l’album et explore cette veine crasseuse et fatiguée, certes, mais belle de la musique, aux confins du sludge, du black metal, du stoner et du shoegaze.
.: Tracklist :.
1. A Sliced Up Pear
2. My Joy / Little Bliss
3. Borrowing, Taking
4. Memory of the Mountain
5. Pizza Party Baby
6. Crown Shyness
7. Wedding of the Sentry
8. I’m Scared of the Ocean
9. Stars, Planets, Dust, Us
10. Tension Loop