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Interview – Romain Humeau : « celui qui se préoccupe des modes est déjà mort »

Romain Humeau est un artiste entier et passionné. Leader du groupe Eiffel, celui-ci marque son retour avec Mousquetaire #1, nouvel album solo faisant suite à L’éternité de l’instant. Un disque surprenant qui aura nécessité près de trois années de gestation, le chanteur-guitariste s’étant parallèlement engagé sur diverses expériences d’écriture / réalisation pour France Culture et Bernard Lavilliers. Ce dernier revient pour Vacarm sur les différents projets menés depuis la fin de la tournée Foule Monstre d’Eiffel et sur la composition de ce nouvel album, qui sera complété courant 2017 par un second volume.

J’aimerais dans un premier temps évoquer avec toi Vendredi ou les limbes du Pacifique, ton disque en forme de livre-musical mêlant les textes de Michel Tournier à des compositions inédites. Comment a germé l’idée de ce projet ?

Je ne suis pas à l’initiative de ce concept. C’est France Culture qui m’a demandé de mettre en musique l’œuvre littéraire de mon choix. J’ai été très étonné, mais aimant me lancer dans des projets inédits j’ai choisi de travailler sur Vendredi ou les limbes du Pacifique. J’ai longuement hésité entre ce roman et L’Automne à Pékin de Boris Vian. Le fond philosophie du roman de Michel Tournier me parlait cependant davantage, même si cela m’a demandé beaucoup de réflexion et de temps au niveau de l’écriture. France Culture voulait des instrumentaux afin d’accompagner la narration assurée par Denis Lavant et quelques morceaux inédits en lien avec les aventures de Robinson et Vendredi.

Avec le recul, quel bilan tires-tu de cette expérience ?

Très positif. Je me suis vraiment éclaté artistiquement, même si le thème était partiellement imposé. Ce projet m’a fait grandir, et je pense que cela a pu avoir une incidence sur l’écriture de Mousquetaire. J’ai notamment travaillé avec deux musiciens, Nicolas Bonnière – guitare, membre d’Eiffel – et Guillaume Marceau – batterie –, qui ont par la suite rejoint l’aventure Mousquetaire. J’ai également mieux compris le fonctionnement du service public (rires).

La promotion autour de Vendredi a été plus discrète que pour tes albums plus conventionnels…

Il n’y a tout simplement pas eu de promotion. J’ai vendu sept cent disques, c’est peu mais j’en suis fier. Les gens du milieu « rock » et de l’industrie du disque n’ont peut être pas lu le livre, bien qu’il se soit vendu à 10 millions d’exemplaires. Je pense également que ce genre de concept « hybride » a du mal à trouver sa place dans les rayonnages des magasins, qui ont de plus tendance à se réduire. Ce n’était pas vraiment un album, ni un livre. C’est un peu le dilemme de la « barbe au dessus ou en dessous » du Capitaine Haddock dans Coke en Stock. Les professionnels ont choisi de se raser la barbe et de le mettre nulle part.

Est-ce que le public te semble également frileux par rapport à genre d’aventure avant-gardiste ?

Je ne pense pas. Le disque ne visait pas une tranche d’âge particulière ni de « chapelle sociale » bien particulière. Nous avons joué à Avignon et la date était complète, idem pour les trois concerts à la Maison de la Poésie. Le public a répondu présent, mais pas les médias. Nous sommes confrontés à une disparition progressive des supports, et Vendredi ou les Limbes du Pacifique a manqué de communication.

Les représentations « live » sont restées occasionnelles, même si ces dernières ont rencontré un franc succès. Est-ce que cette faible couverture médiatique a empêché la mise en place d’une véritable tournée ?

Elle est prévue. Ce projet étant intemporel, je n’avais pas l’obligation de tourner immédiatement. J’aimerais que cela aboutisse pour fin 2017. J’espère pouvoir miser sur une trentaine de dates organisées auprès des théâtre nationaux avec Denis Lavant et mon groupe de scène. Il est également envisagé de faire quelques représentations avec Bernard Lavilliers à la narration.

Ton nouvel album solo, Mousquetaire #1, intègre pour sa part treize nouvelles compositions. L’écriture s’est étalée sur près de trois années et a été amorcée dès le début de la tournée de Foule Monstre d’Eiffel. Tu évoquais à ce moment là un double-album de trente titres. La sortie d’un second volume reste-t-elle toujours d’actualité ?

Tout à fait. Mousquetaire #2 est prévu courant 2017 et devrait donc intégrer les dix-sept morceaux restants. Je travaille actuellement à la finalisation des dernières compositions. Je me suis en effet attelé à l’enregistrement de Mousquetaire dès la fin de la tournée avec Eiffel. Je précise d’ailleurs que le groupe existe toujours, l’envie de préparer un nouvel album est toujours là. J’ai cependant été occupé par Vendredi ou les Limbes du Pacifique puis par mon travail avec Bernard Lavilliers, pour qui j’ai écrit trois chansons sur Baron Samedi et assuré la réalisation du disque acoustique de reprises. J’ai donc travaillé sur Mousquetaire entre ces différents projets, ce qui n’est pas vraiment problématique puisque j’écris dès que j’ai un peu de temps libre sans avoir l’objectif du disque derrière. Je n’ai d’ailleurs pas vraiment « sélectionné » les treize morceaux qui figurent sur ce volume 1. Mon manager et ma maison de disques se sont penchés sur la sélection, le label ne souhaitant pas sortir directement les deux albums. Pour moi, ce n’est donc encore que la moitié d’une phrase.

En trois ans, j’imagine que tes envies ont évolué. Comment es-tu parvenu à conserver une cohérence dans ton écriture ?

Bonne question. J’ai certes été « dévié » de ce disque à plusieurs reprises, mais toujours sur des albums qui n’étaient pas véritablement en lien avec Mousquetaire. Je pense que j’ai réussi à conserver le fil malgré le temps, ce qui n’aurait pas forcément été le cas si j’avais eu à me pencher sur un disque d’Eiffel ou un autre projet solo. J’avais dans tous les cas envie d’enregistrer quelque chose d’assez éclectique, qui laisse la place à des « enfantillages », à du chant en anglais, aux expérimentations. Le disque à une base très pop old-school. Il intègre aussi bien des influences comme Damon Albarn, du hip-hop, de la musique des 50’s…

Mousquetaire sort sous ton nom propre, mais certains musiciens d’Eiffel ont été amenés à travailler à tes côtés, notamment Nicolas Bonnière qui est ici crédité à la co-réalisation. Quel a été son rôle dans le processus d’enregistrement ?     

J’avais besoin d’une aide pour la réalisation, d’un regard extérieur. C’est un très grand ami. Il a très peu joué sur le disque, mais il a entièrement réalisé avec moi. Il avait un autre rôle que dans Eiffel. Ma femme Estelle intervient également à la flûte, au piano et à la contrebasse. Je travaille avec les gens que j’aime musicalement mais surtout humainement. Il ne s’agit pas d’un disque d’Eiffel, mais j’aime composer et enregistrer en famille, avec des artistes dont je suis proche. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’intervenir sur la conception d’une soirée en hommage à Léo Ferré, et j’avais à cœur d’y faire participer les musiciens qui vont prochainement m’accompagner sur la route. J’en parlais à l’instant lorsqu’il s’agissait d’évoquer mes influences : je fonctionne un peu sur le même modèle que Damon Albarn, qui aime faire intervenir les mêmes musiciens quels que soient les projets.

Les textes me semblent plus personnels que pour Eiffel, mais restent imagés et poétiques. J’aimerais parler de « rock littéraire et exigeant » afin de décrire ton travail…

Cette étiquette me convient en partie. Je suis très exigeant en effet, même si c’est davantage au public d’émettre un jugement vis à vis du résultat final. Je ne me considère cependant pas comme un vrai « lettré », bien que je lise évidemment beaucoup. J’aime la philosophie, le fait jouer avec les mots. J’ai besoin d’être un chercheur, même si je ne trouve pas toujours ce que je veux. Sur Mousquetaire, j’ai presque essayé de retrouver ma voix d’enfant sans avoir à gueuler comme avec Eiffel. Je voulais être « prêt de la peau », susurrer. Toutes mes chansons sont personnelles, même avec Eiffel, mais je ne vois pas le monde de la même manière en solo. Le prisme est différent. Je me suis risqué à écrire en Anglais, ce que je m’étais interdit de faire jusqu’à présent. Je ne parle pas forcément très bien, j’ai mon accent, mais j’ai pensé certains textes directement en Anglais. Pour être très honnête, cela m’a permis de ne pas avoir à jeter de mélodies que je n’arrivais pas à articuler en Français. Pour les trente titres retenus, j’ai quand même abandonné près de quinze embryons. Mais certains morceaux, comme « Struggle Inside », ne doivent leur existence qu’à la possibilité de pouvoir les conjuguer en Anglais. Je ne regrette pas du tout ce choix.

Lorsque tu évoques la gestation de Mousquetaire, on sent que tu n’as pas voulu dresser de barrière, que tu as laissé ta créativité s’exprimer pleinement. En ce sens, ton approche me semble assez proche de celle d’un Oxmo Puccino, qui aime construire des univers alambiqués et se jouer des tendances actuelles…

Tout à fait, j’aime d’ailleurs beaucoup sa musique. Il a raison, il faut imposer sa vision. Celui qui se préoccupe des modes est déjà mort. Ce que j’ai à dire ne s’inscrit pas dans la tendance, c’est probablement pour ça que je ne bénéficie pas d’une grosse notoriété. Mais je ne me préoccupe pas de cela. J’aspire juste à vivre de ma musique, si possible le plus longtemps possible. Je ne cherche pas plus que ce que j’ai actuellement. C’est déjà énorme.

Tu évoquais tout à l’heure la soirée hommage à Léo Ferré, événement pour lequel tu es intervenu en véritable « chef d’orchestre » et qui t’as permis de collaborer avec de nombreux musiciens, dont Catherine Ringer ou Katerine. Est-ce que ce projet a vocation à donner naissance à un disque, voire à être reconduit ?

Non, du moins pas pour l’instant. Didier Varrod, qui était programmateur pour France Inter, m’a demandé de réarranger les morceaux de Ferré pour des chanteurs comme Arno, Bernard Lavilliers ou Catherine Ringer, et de chanter sur deux titres. Mon rôle était de proposer une vision un peu « différente » de la musique de Ferré. J’espère y être arrivé, j’ai dans tous les cas pris beaucoup de plaisir à m’investir sur ces arrangements. J’ai passé une quinzaine de jours à écrire, puis nous avons enchaîné avec cinq jours de répétitions à Bordeaux avec mon groupe et cinq autres journées à la Maison de la Radio. Tout le monde a joué le jeu, c’était fantastique. Les descendants de Ferré et François Hollande ont d’ailleurs assisté à la soirée. Je suis assez fier de ce à quoi nous sommes parvenus.

La tournée Mousquetaire démarrera prochainement. Quels sont les musiciens qui vont t’accompagner sur la route ?

Nicolas Bonnière sera à la guitare, Guillaume Marceau à la batterie et au pad électro. Hugo Cechosz, qui m’avait accompagné sur L’éternité de l’instant et qui a travaillé avec Eiffel sur Tandoori, se chargera la basse. Estelle Humeau tiendra le rôle de multi-instrumentiste.

Rendez-vous sur la route, donc.

Nouvel album, Mousquetaire #1 disponible le 30 septembre (Label PIAS).
Merci à Romain pour son temps ainsi qu’à Victoria pour l’organisation de l’interview.

Romain Humeau : site officiel / page Facebook.

Le vidéo-clip de « Paris » :

Le vidéo-clip de « Amour » :

Le vidéo-clip de « Struggle Inside » :

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