Cap'tain Planet : Comment décrivez vous l'univers qui entoure Shane Cough ?
Gauthier : C'est un univers sombre, malsain, graphique, irrationnel, violent, élégant et, au final, assez féminin je dois l'avouer. {multithumb thumb_width=450 thumb_height=300}
C : Pourquoi une attente aussi longue avant une nouvelle sortie d'album ? Comment l'avez-vous vécue ?
Après la tournée de « Delight » nous avons fait une véritable année de pause pour que chacun termine ce qu'il avait à faire de son côté. Donc une année sans toucher à une guitare ou un synthé. Une année pour évoluer, prendre du recul et resauter avec rage sur nos machines parce que c'était trop frustrant de voir des concerts et de ne pas être sur scène également. Puis, lors de la composition, on savait que le blanc allait être assez long au final.
Il nous fallait donc revenir en ayant franchi un cap au niveau son et compos. C'est cette idée un peu perfectionniste qui a fait que nous avons pris notre temps (on était plus à six mois près) pour bien travailler nos maquettes, le mix, le son de guitare qui se devait d'être différent… De même pour les visuels de l'album dont nous sommes plutôt fiers.
Ce n'était donc pas vraiment une attente, puisqu'il y a au moins une dizaine de titres qui ne sont pas sur l'album en plus des treize autres, mais c'était tout de même assez long de travailler tout seuls, sans aucun retour. Heureusement, on a fait une vingtaine de dates entre juillet 2003 et juillet 2004 pour tester les nouveaux morceaux sur scène et ça nous a plutôt rassurés.
C : L'album a-t-il reçu un bon accueil ? Quels sont vos objectifs désormais ?
A priori les retours sont plutôt bons, que ce soit dans la presse nationale ou les webzines spécialisés. Maintenant, on veut surtout faire de la scène, chose que l'on apprécie particulièrement vu que les morceaux sont écrits en partie pour ça, et on commence à envisager l'album suivant, dans ses thèmes et sa forme.
C : En quoi la pochette de l'album reflète la musique de Shane Cough ?
Cette pochette nous plaît énormément : comme notre musique elle est clinique, esthétique, narrative, violente sans être gore, morbide sans être noire. Ce dernier point nous tenait à cœur pour « Intraveineuse », réussir à exprimer quelque chose de malsain en n'utilisant pas qu'une palette de noir. Dans l'idée, c'est réussir à faire peur avec du rose, d'où les mélodies, inexistantes dans « Delight », d'où les sons de synthés vulnérables, d'où quelques beats bien dansants.
C : Et pour le titre « Intraveineuse » qui est le seul mot français de l'album ?
Ca pourrait être un pied de nez, mais on aimait vraiment ce mot, l'idée qu'il véhicule, et pour le coup il était mieux en français qu'en anglais (intraveinous) avec son aspect féminin.
C : Pourquoi le choix exclusif de la langue anglaise dans vos morceaux ?
Les raisons abondent : Parce que ça sonne, parce que ça correspond au style de musique qu'on joue, parce que c'est universel, parce qu'on ne veut pas être choisi par une maison de disque comme étant le clone français de tel ou tel groupe étranger, et parce que nous ne sommes pas assez vénaux pour le faire, parce que nous récusons le critère de la langue comme définitoire d'un style de musique (chanson française , rock français ). Et malgré cela nous restons français par la diversité de nos influences (anglaises, américaines, européennes…). L'identité culturelle n'est pas qu'une question de langue, et le protectionnisme linguistique est, au contraire, le symptôme de l'appauvrissement d'une culture.
C : Pouvez-vous me dire en quelques mots quelles sont vos influences ?
Nine Inch Nails, Alec Empire, Refused, Converge, Ikeda pour sa chaleur (hum), Primal Scream, Coil pour les ambiances même si ce n'est pas si présent que ça sur l'album, et bien sûr toujours le cinéma d'épouvante et les thrillers !
C : Je trouve de nombreuses similitudes entre Shane Cough et Munshy, connaissez vous ce groupe ?
Non, il faudrait que j'écoute. Enfin je sais pas, ça ressemble beaucoup ?
C : Je trouve la musique de Shane Cough très ambiancée, tantôt sensuelle et parfois vénéneuse, pouvez-vous m'éclairer là-dessus et décrire à votre manière ces ambiances ?
Je ne sais pas, ce n'est pas vraiment quelque chose de volontaire. Je crois qu'on est tous fascinés par les ambiances troubles, ambiguës, qu'elles soient oniriques ou cinématographiques, quand on ne sait pas de quel sens il faut investir un objet ou une personne. Il n'y a qu'à lire les paroles de Marianne, elles sont remplies de contradictions, comme si une personne se débattait dans un monde qui n'arrête pas de fluctuer et de changer de valeurs, où tout ce qui est sensuel peut s'avérer fatal à n'importe quel moment.
C : Selon vous, quelle est la finalité de l'écoute d' « Intraveineuse » pour l'auditeur ?
Ca, je n'en sais rien. A chacun de s'approprier cet album et d'en avoir sa lecture, qu'elle soit festive ou pour se recueillir. Evidemment, ma pratique personnelle privilégie sans doute l'écoute solitaire et à haut volume, pas en fond sonore pour faire ses comptes !
C : Pourquoi privilégiez vous les samples plutôt qu'un batteur ?
Parce qu'on n'a pas trouvé de batteur adéquat à l'époque où on en cherchait. On trippait à fond sur les rythmes en boucles, très écrits de Laika. Et peu de batteurs sont prêts à jouer de cette façon. C'est comme ça qu'on s'est mis aux machines. On s'est rendu compte plus tard que ça faisait de nous un groupe sensiblement différent, et on a tout de suite pris goût à l'univers des possibles qu'offre l'électronique, ainsi qu'aux beats irréalisables par un simple batteur. Sur scène, on ne veut pas tricher par rapport à ça. J'ai vu de nombreux groupes comme Portishead qui remplacent ces boucles qui respirent par une simple batterie et ça n'a plus aucun sens. La notion de live ne passe pas systématiquement par l'intégration d'une batterie.
C : Quelle est la démarche esthétique du groupe sur scène ?
Sur scène, on a beaucoup travaillé les lumières, pour qu'elles soient bien synchro avec la musique et les ambiances qui se dégagent. Il n'y a pas de vidéos pour le moment, c'est quelque chose qu'on a envie d'intégrer quand l'idée aura mûrie et qu'on en aura envie, pas parce que c'est une démarche à la mode. De toutes façons, il y a suffisamment de mouvement sur scène pour ne pas avoir besoin de pallier à ça par de la vidéo.
C : J'ai entendu dire que vous ne faisiez pas de rappel …
C'est vrai. C'est une habitude à laquelle on tient. On voit trop souvent des groupes prévoir le rappel dans leur playlist et parfois revenir dans le silence. Parfois aussi c'est le contraire : le public demande un rappel, mais l'organisation de la soirée ne le permet pas. De notre côté, notre set est construit avec un point final, qui signifie en quelque sorte qu'il n'y a plus rien à rajouter après cela, que tout est dit, que nous ne pouvons pas aller plus loin (pour le moment du moins…). Pour nous, c'est plutôt une question d'honnêteté : pas de fausses playlists, pas de rappel prévus à l'avance. On sait ce qu'on a à dire et où on veut vous amener.
C : Peut-on dire que ces deux raisons (absence de batteur et de rappel sur scène) fait de votre musique quelque chose de froid, d'industriel, d'inhumain (sans le côté péjoratif) ?
C'est clair qu'on perd du coup tous les tics de « l'humanité » d'un concert. On ne demande pas aux gens de se rapprocher de la scène s'ils sont loin, on ne leur dit pas que leur ville est, de toutes, celle où on a toujours préféré jouer… On assène vraiment notre univers à coups de décibels. Sinon, je ne sais pas trop si l'absence d'un batteur rend nos concerts moins humains… C'est tout de même clair qu'on n'est pas le groupe le plus chaleureux de la Terre. Mais au moins on est franc : la chaleur systématique de certains groupes a quelque chose de mesquin et d'hypocrite. Elle est reproduite de façon mécanique de concerts en concerts. Du coup, cherchez où est la machine et l'inhumain. On a tout de même très chaud sur scène et on perd du poids à chaque set, vous pouvez me croire !
C : Cherchez-vous tout de même à établir une relation avec le public ?
Je crois que la relation avec le public se fait de toute façon, qu'on le cherche ou non. Notre ressenti de la musique qu'on joue n'est pas du tout le même selon les publics. Il peut être très cérébral comme il peut être dansant et on devient finalement tel que le public nous perçoit.
C : Est-ce que le fait de ne pas avoir de batteur vous pose des problèmes de rythmique lorsque vous composez ? Avez-vous une formation musicale particulière pour pallier à cela ?
Nous n'avons vraiment aucun problème de rythmique, Mikaël était batteur auparavant, Alban en a joué également pendant une courte période. Quant à moi, à 14 ans je travaillais déjà sur atari à reproduire les instrus de morceaux que je jouais à la guitare parce que je n'avais pas encore de groupe. J'ai passé à cette époque énormément de temps à reproduire tous les breaks de batterie des morceaux que j'aimais. Je pense que ce type de démarche vaut toutes les formations de solfège rythmique. Après, l'écoute de groupes comme Laika, qui adore les signatures rythmiques décalées en 5/4, 7/8, nous a affranchis du traditionnel 4/4. Après quoi, quand on écrit un morceau binaire, c'est vraiment parce qu'on l'a choisi, et non parce qu'on ne sait pas que le reste existe.
C : En quoi la phase composition de Shane Cough diverge de formations traditionnelles (avec batterie) ?
Les formations traditionnelles composent majoritairement en répétitions à partir d'un canevas apporté par l'un des musiciens. Chez nous, la base est le squelette électronique que l'un d'entre nous écrit. Pas vraiment le fruit d'une impro, le morceau préexiste dans sa structure et ses arrangements à la répétition. Après, en répétition, on pose les guitares si elles n'étaient pas déjà prévues, ainsi que la voix. Après on peut faire des allers-retours entre l'électronique et la répétition, pour réarranger en fonction de ce qui a été trouvé en répétition, et cela jusqu'à ce qu'on soit satisfait.
C : Comment décrivez vous Rennes pour la musique ?
Pas évident, ça peut être un sujet de mémoire ! Je crois que tous les styles sont représentés, du garage qu'on peut voir dans des caf'conç' à l'électronica, un aspect world, funk et soul de plus en plus présent dans les transmusicales qui ont aussi l'habitude du métissage, une scène noise bien vivace avec quelques assos très actives. Rennes est aussi une ville étudiante, donc les groupes de l'étudiant type auront grand droit de cité, comme le Peuple de l'Herbe ou les Beastie Boys. Ce public étudiant se ramifie aussi en une vague néo-bab qui appréciera les styles « festifs », ska, reggae et autres, chose qui, évidemment, ne nous concerne en rien et que nous essayons d'éviter autant que possible.
C : Depuis combien de temps êtes vous chez Enragés Prod. ?
Là, ça fera bientôt un an qu'on travaille avec eux, depuis qu'on prépare la sortie d' « Intraveineuse ». Pour le moment on s'y sent plutôt bien.
C : Que pensez vous de votre situation géographique pour votre développement au niveau national et international ?
Etre à Rennes pour se développer en France et à l'étranger ? Je pense que le fait d'être rennais n'a que très peu d'incidence sur notre développement en France. Après, le fait d'être français n'est pas un atout je pense pour aller à l'étranger. En ce que concerne les prods rock, quand on dit que ça sonne français, ça veut dire que ça ne sonne pas bien gros en général. Et je pense que c'est en partie vrai. Il n'y a pas une grosse culture de la forme (j'entends de la musique) en France tant tout le monde reste focalisé sur les textes. C'est une vision extrêmement réductrice de la musique qui explique le retard énorme en France en comparaison non seulement des USA, mais aussi de l'Angleterre, de la Suisse, de la Belgique, de la Suède, de la Norvège ou encore de l'Allemagne. A nous (et d'autres groupes) de prouver qu'on peut faire mieux…
C : En quel sens la musique vous permet-elle de vous exprimer ?
Au départ, elle nous permet de nous exprimer justement parce qu'elle n'est pas verbale, c'est la forme la plus abstraite qui soit pour s'exprimer. La musique est aussi beaucoup plus pudique qu'un texte et aborde les choses d'une manière plus métaphorique. Je crois qu'on est des gens plutôt posés en général, et lorsque des amis nous voient sur scène pour la première fois, ils pensent vraiment à une sorte de schizophrénie tant on semble possédé par ce qu'on joue. En fait, on a beau être très calme, je crois que dans notre inconscient il y a des choses terribles qui se trament (comme pour beaucoup de gens) et c'est ça qui sort quand on compose et qu'on joue sur scène. Il faut toujours se méfier des gens calmes!
C : Comment décrivez vous la scène electro-rock à laquelle vous êtes associés ? Est-ce une scène ouverte ou plutôt intolérante ?
En fait, je ne suis pas très au courant d'avec qui ou quelle scène on est associé. Quand on voit les disquaires qui nous rangent tantôt dans les bacs électro, tantôt dans les bacs métal, nouvelle scène française, rock indé… on peut le comprendre. Donc je ne sais pas trop ce que pense cette scène électro-rock. Il y a qui dedans par exemple ?
C : Comment voyez-vous l'évolution de votre style musical en général dans le futur (niveau national / international) ?
Désolé, je ne suis pas sociologue ni musicologue, déjà qu'on n'a pas une vision très claire de ce que sera notre style musical dans quelques années…
C : Y aurait-il une question que vous auriez aimé que je vous pose ?
Nos questions préférées sont celles auxquelles on n'a pas pensé, ou qu'on n'a jamais entendu. A cet égard, il n'y a aucune question que j'aurais aimé que tu nous poses.
C : Préféreriez-vous que les jeunes filles du premier rang pleurent ou s'évanouissent en vous voyant ?
On préfère quand elles dansent, quand elles sautent, quand elles crient en même temps que nous, et les garçons aussi. On est pour la mixité des premiers rangs. Et idem pour les derniers rangs, jusqu'au bar où s'amoncellent ceux qui en ont ras le bol qu'on leur hurle dessus !