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Jonathan Jeremiah – « Good Day (Deluxe Version) » sorti le 12 avril 2019

Jonathan Jeremiah – qui a toujours vécu à Londres – se souvient encore parfaitement des vacances d’été de son enfance en Irlande. Sa mère a grandi à Tipperary, avec quinze sœurs et frères, et avec ses propres cinq frères et sœurs, il rendait visite à sa famille, dont les membres « s’alignaient comme la famille von Trapp, et on devait tous chanter ensemble. » Il n’y a pas si longtemps, il est revenu au pays pour un enterrement et, après la cérémonie, comme le veut la tradition, tout le monde s’est rendu au pub du coin où la veillée se poursuit immanquablement. « On y est resté jusqu’à 4h du matin », se souvient Jeremiah, « et, l’un après l’autre, on a tous chanté une chanson. Personne n’a passé son tour : tu chantes, elle chante, il chante. J’ai grandi dans ce genre d’ambiance, où tout le monde chante, et c’est ce que j’essaie de capturer avec mes disques : le son des gens ensemble. »

C’est ce son analogique, organique, que recherche Jeremiah depuis son premier album de 2011, A Solitary Man, décrit par la BBC comme « élégant et émouvant, un séduisant artefact du genre d’écriture de chanson des années 1970. » Son dernier disque, toutefois, éclipse tout ce qu’il a pu faire jusqu’à maintenant. Good Day démontre la remarquable profondeur de son art, avec sa voix chaude, merveilleusement lasse, qui crée des mélodies ensorcelantes au milieu d’arrangements extraordinairement sophistiqués dus à Ben Trigg, de The Heritage Orchestra. Il a été enregistré aux Konk Studios de Ray Davies, que Jeremiah décrit comme « un magnifique environnement pour rassembler six ou sept personnes », mais il ne s’en est pas tenu là, puisqu’il a entassé une section de 19 cordes et cuivres dans la pièce. Le résultat ? Du groove enlevé du titre d’ouverture, « Good Day », à « Long Night », une ode mélancolique à l’endurance, en passant par le drame sur grand écran qu’est « Deadweight », inspiré, lâche-t-il, par le « Some Velvet Morning » de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, jusqu’à la déclaration finale du très beau « Yes In A Heartbeat », joué en picking, c’est un classique instantané et intemporel.

L’esthétique de Jeremiah ne cache pas ses influences nostalgiques, dont beaucoup remontent au début des seventies. Il n’est pas tout à fait sûr de savoir ce qui l’a attiré vers cette période – « Peut-être que mon père a passé un disque de 1972 et que c’est la toute première fois que je suis tombé amoureux, ou que j’ai vu une photo de mes parents, peut-être en vacances, et qu’il m’a fait écouter quelque chose de cette époque » – mais son travail a toujours révélé une certaine affection pour, entre autres, Richie Havens, John Martyn, Bill Withers, Carole King et James Taylor. (« Quand je l’ai découvert, lui », confesse le chanteur à la voix colossale, mais qui s’exprime très doucement – et qui, comme Lee Hazlewood, a dû surmonter un défaut d’élocution dans son enfance – « J’ai réalisé, ‘Je peux chanter une chanson, et je peux la chanter à ma façon !’ ») Jeremiah parle aussi avec admiration de Lou Adler, le producteur de Carole King, ainsi que du travail de Charles Stepney pour Chess et Cadet Records – tout particulièrement avec Minnie Riperton et Marlena Shaw – mais il insiste sur le fait que ce sont Scott Walker et Serge Gainsbourg qui ont eu le plus grand impact sur lui.

« La façon dont j’ai arrangé ce disque avec deux basses – une contrebasse et une basse jouée au médiator – est un son très Serge, » admet-il. « Je n’ai jamais voulu faire un truc soul américain. J’ai toujours été attiré par un son européen. J’aime le fait d’être de Londres, et je ne prétends pas venir de Géorgie ! » Malgré tout, sa musique a parfois intégré des éléments de « soul américaine », même si ce n’est pas toujours pour des raisons évidentes. Il n’avait par exemple jamais entendu Terry Callier quand des gens ont commencé à le comparer au pionnier folk-soul, et sa motivation initiale pour se pencher sur l’œuvre de Curtis Mayfield provenait en fait de The Style Council, le groupe de Paul Weller, et de The Blow Monkeys, celui de Dr Robert, auxquels il attribue son amour de ce qu’il appelle maintenant la « London soul ».

Quoi qu’il en soit, Good Day est loin d’être une contrefaçon temporelle, ou le résultat d’une mentalité réfractaire au progrès. Il s’agit plutôt pour Jeremiah d’identifier la manière la plus appropriée de présenter ses chansons, et s’il a appris quelques choses durant toutes ces années, c’est que « Le temps est une sensation, et que la musique est une sensation. Quand des gens jouent ensemble, ce feeling est en jeu. Je ne peux pas voir de lien entre les ordinateurs et un feeling. Les ordinateurs ne respirent pas ; ils calculent. Et si vous enlevez cet écran, vous serez étonné de voir combien peu de choses sonnent aussi humaines que ce disque. »

Jeremiah a commencé tard à faire sa propre musique, malgré sa fascination pour les chansons qu’il a entendues en grandissant. Il n’a pris des leçons de guitare à l’école que parce qu’on l’a forcé à choisir entre le français et la musique, et que l’idée de suivre la même voie que ses sœurs était moins attirante que celle de jouer d’un instrument. « Mais je n’ai jamais été très bon pour la discipline, » dit-il. « Je ne jouais qu’occasionnellement. Ce n’est que vers 16 ans que j’ai réellement appris à jouer un accord. Pour ce qui est d’écrire une chanson, ça a pris une éternité. Je ne savais pas sur quoi on devait écrire. Ce n’est que quand j’ai connu mon premier chagrin d’amour que j’ai fait, ‘Ahhh…’ »

Le premier album très bien accueilli de Jeremiah, sorti sur Island Records, lui a demandé de nombreuses années d’investissement et d’introspection. La grande majorité du disque a été écrite alors qu’il n’avait qu’un peu plus de vingt ans, et qu’il passait son temps à traverser les Etats-Unis, peaufinant le stock grandissant de chansons nées de sa peine de cœur. De retour à Londres, il a trouvé un boulot dans la sécurité à la Wembley Arena, et dépensé tout l’argent qu’il gagnait dans leur enregistrement, minutieusement autoproduit. En plus, il a embauché Jules Buckley, fondateur de l’Heritage Orchestra, pour arranger ses chansons – ils sont aujourd’hui devenus des collaborateurs réguliers – et a fait venir les meilleurs musiciens qu’il pouvait trouver, notamment le batteur de The Roots, Questlove, qui a joué sur son premier EP, et le groupe de James Brown, rencontré au London’s Jazz Café.  Par ailleurs, une chanson, « Heart Of Stone », a été coécrite par Bernard Butler.

Deux autres albums ont suivi, Gold Dust en 2012 et Oh Desire en 2015, qui ont tous deux vu son public augmenter, tout particulièrement en Europe, et lui ont valu de nouvelles louanges, notamment un appel téléphonique du légendaire compositeur de James Bond, John Barry, qui lui a proposé d’écrire avec lui. (« Après ça, j’ai fait part de l’idée à ma maison de disque, » soupire Jeremiah, « et ils ont dit, ‘Et bien, je pense qu’on voit qui est ce gars, mais on veut que tu travailles avec Chipmunk’. ») Néanmoins, c’est ce quatrième album, Good Day – son premier pour PIAS Recordings – qui offre le meilleur de Jeremiah. « Certaines choses mettent simplement un peu plus longtemps à trouver leur voie », dit-il en riant et en haussant les épaules. « Ça m’a pris un moment pour trouver qui j’étais, et ce sur quoi je voulais chanter. »

De façon surprenante, la plus grande influence sur les thèmes de l’album provient de quelqu’un que beaucoup auraient jugé improbable. « Un soir, j’écoutais Brian Eno parler d’abandon, » explique Jeremiah. « Aujourd’hui, dans notre société, l’important c’est d’avoir le contrôle, et d’acheter de nouvelles choses pour nous donner encore plus de contrôle : un téléphone qui nous maintient en contact, une maison qui nous met en sécurité. Mais peut-être qu’on peut atteindre un état tout aussi merveilleux en lâchant prise : ‘Je me fous de ce qui va arriver, c’est juste ce qui va se passer.’ C’est pour ça qu’on aime l’alcool, les drogues ou l’art, parce qu’ils nous font perdre le contrôle. Et peut-être que c’est ce dont parle le gospel : ‘J’ai perdu le contrôle, mais ça va aller’. Je vois donc l’abandon comme quelque chose d’assez délicieux. »

C’est probablement ce qui donne à Good Day sa qualité déterminante, son côté décontracté. Rien n’est précipité, et tout donne un sentiment d’authenticité, de ses émotions à ses sonorités intimistes. Ecoutez « Hurt No More », une pépite au parfum gospel, écrite d’un point de vue athée. Ou « The Stars Are Out » et « Deadweight », qui sonnent comme des reliques poussiéreuses d’un âge oublié. Essayez « Foot Track Magic » ou « U-Bahn (It’s Not Too Late For Us) », qui offre le même calme serein que l’enregistrement par Glen Campbell d’un classique de Jimmy Webb, et dont le texte parle de la liberté qui vient avec le fait de s’en remettre au destin. « Je pends parfois le métro la nuit, » chante Jeremiah, « juste pour me perdre », avant que son voyage ne se conclue d’une façon décidée, de bon augure : « C’est toi que je veux, tout simplement ».

Cette dernière chanson se termine avec l’enregistrement de dix des plus proches amis de Jeremiah chantant autour d’une table, lors d’un dîner à Londres, au Jour de l’an 2017, « faisant notre ‘truc à la Hey Jude’ ». Ce qui résume parfaitement l’essence de Good Day : le son de gens ensemble, s’abandonnant à ce qui va advenir, célébrant la vie telle qu’elle est. Peu de choses sont meilleures que le fait d’être avec ceux qu’on aime, et personne ne saisit cela mieux que Jonathan Jeremiah

Tracklist :

Good Day

Mountain

The Stars Are Out

Long Night

Deadweight

Hurt No More

Foot Track Magic

No-One

U-Bahn (It’s Not Too Late For Us)

Shimmerlove

Yes In A Heartbeat

Titres bonus:

Hurricane

Brussels

Landing

U-Bahn (It’s Not Too Late For Us) – Acoustique

Yes In A Heartbeat – Acoustique

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