Après des années passées sur scène ou en studio auprès de Grand Corps Malade ou de Kerry James, S Petit Nico se lance avec force et douceur dans l’aventure solo, histoire de porter aux yeux du plus grand nombre un projet emprunt de poésie et de subtilité instrumentale, œuvre d’un multi-instrumentiste accompli qui nous fait découvrir son univers à travers des titres entre slam et chanson française à texte. A la veille de la sortie de son album Humain, il nous parle des raisons qu’ils l’ont poussé à prendre le micro, de l’enregistrement de cet opus mais aussi de son avenir, forcément radieux s’il met pour son propre compte autant de qualité artistique qu’il a pu offrir aux autres…
Peux-tu nous dire pourquoi avoir choisi comme nom de scène S Petit Nico?
Tout le monde se pose la question. A la base mon nom de scène était «S» tout court, la première lettre de mon nom de famille tout simplement. J’ai fait un premier album qui était un disque de rap à part entière et là j’utilisais le pseudonyme «Petit Nico». Quand j’ai commencé à traîner sur les scènes slam et à travailler avec Grand Corps Malade, tout le monde m’appelait «Petit Nico», donc j’ai fait un mélange des deux et ça a donné S Petit Nico!
Tu avais commencé à faire découvrir les morceaux de ton album Humain sur scène depuis quelques temps déjà, comment le public les a-t-il accueilli?
Je pense que ça a été suffisamment encourageant pour que je fasse ce disque! Je suis assez du genre à me flageller moi-même pour ne pas me lancer si ça n’avait pas été ça! La manière dont on a enregistré ce disque découle directement de la scène car on l’a enregistré comme si on jouait sur scène, je chante en même temps que je joue, que le contrebassiste et le batteur jouent, ce qui se fait assez peu aujourd’hui pour un enregistrement. L’album est une résultante de tout ce travail qui a été fait sur scène, je n’aurais pas pu le faire avec d’autres musiciens, ils font partie intégrante du projet, le son que j’ai c’est aussi leur son.
Pourquoi sortir maintenant cet album solo, que tu considères comme le véritable premier de ta carrière, plutôt qu’à un autre moment? Est-ce une question de planning ou d’envie?
Parce que j’étais prêt! C’est seulement maintenant que je suis prêt de le faire, que j’ai un répertoire assez pertinent pour en faire un disque… Ça fait trois ans que je fais des listes de chansons pour ça, et à chaque fois j’en vire pas mal car je prend seulement celles que je vais assumer sur scène et en fait il y en a peu, car je souhaite que ce soit des chansons qui restent dans le temps. C’est ça que je cherche et ça demande beaucoup de temps. J’ai un pote qui m’a pas mal secoué à un moment et qui m’a dit de le sortir… donc j’ai pris conscience qu’il fallait le faire, on s’est beaucoup investi, financièrement et moralement pour le faire, et à un moment tous les éléments étaient réuni pour que je le fasse à ce moment là!
Photo: François Darmigny
Sur scène, comment as-tu vécu la transition de la position d’accompagnateur que tu as eu pendant longtemps à celle de frontman?
C’est un truc qui s’est fait avec l’accompagnement car déjà au début, faire des concerts avec Grand Corps Malade au Bataclan, à la Cigale, puis au Palais des Congrès… moi j’étais tétanisé! A la base je n’étais pas quelqu’un qui était conditionné pour ça donc ces expériences m’ont permis de franchir ce barrage et ensuite j’étais vacciné! Après il y a Kerry James, qui est mon idole depuis que je suis gamin, qui me demande de venir jouer du piano, mais en plus de dire un texte sur scène… J’avais un trac terrible, devant un public plus flippant que celui de Grand Corps Malade, plus Rock’n’Roll on va dire! Je me suis rendu compte qu’en étant sincère sur scène, les gens appréciaient, et ça m’a fait beaucoup de bien. Depuis ça, je suis assez vacciné contre la peur de la scène, même si j’ai toujours le trac!
On va parler un peu plus précisément de l’album. Même si l’ambiance lors de l’enregistrement au mythique studio Gang avait l’air décontractée, comme l’as-tu vécu de l’intérieur?
C’était comme lorsque j’ai des échéances importantes, je mets mon réveil à 7-8h, je suis debout à 5-6h et je suis à donf, voilà! Le studio Gang était le seul studio que l’on a vu et où tu te sentais à la maison, tu as de la place pour te garer, c’est dans un corps de ferme magnifique, je travaillais avec des gens que j’adore, qui sont presque tous des potes et en plus de ça, l’assistant du studio, celui qui nous donne accès aux machines, Florian Lagata, est un mec exceptionnel! Il nous a prêté des tonnes de claviers, de matériel que je ne connaissais pas… et il m’a donné le virus pour ça d’ailleurs! Après il y a le stress et la fatigue, l’équilibre à trouver pour ne pas tomber K.O., mais c’est plutôt sain car ça veut dire que tu es préoccupé par ce que tu fais… Et puis ma famille est beaucoup passée me voir, ça m’a aidé à vivre cela du mieux possible.
Qu’est-ce qui a été le plus dur à réaliser au final pour cet album, l’étape la plus difficile?
Vu que l’on a voulu enregistrer l’album de cette manière là, il y a certains morceaux où on a un peu plus galéré. Bon on a mis sept jours pour tout faire donc c’est allé assez vite, mais il y a eu des morceaux sur lesquels on a un peu plus galéré comme «Grandes Âmes», même si on savait avant qu’on allait galérer pour l’enregistrer. C’est le seul qu’on a enregistré avec un métronome, qui a un groove qui n’est pas évident… Il y a eu aussi «Yankoff» avec un rythme peu évident… Disons qu’on a passé plus de temps sur certains morceaux que sur d’autres.
Les parties piano sont beaucoup présentes sur Humain car le piano tient une place importante dans ta carrière… D’où te vient cet amour pour le piano?
Ma mère est pianiste, je l’ai toujours vu jouer du piano et après, j’en ai toujours fait. Il y en chez ma mère, chez ma grand-mère, chez toute la famille… c’est un truc familial en fait!
Certains titres de ton album, comme «Humains», «Bidonvillle» ou «Un Homme En Colère» sont des titres plutôt engagés… quels sont tes chevaux de bataille, les terrains sur lesquels tu aimes t’engager?
Je pense que le monde est beau et qu’il y a un très fort potentiel humain, mais qu’aujourd’hui on est un peu ras les pâquerettes au niveau de l’évolution de l’humanité… Ça pourrait être mon cheval de bataille de penser que, bien que l’on remette souvent en question les institutions, les hommes politiques et les autres, mais que si chacun pouvait être plus ouvert et considérer les autres comme sa propre famille, on avancerait beaucoup plus… Je porte un regard en colère mais aussi très optimiste car les choses avancent petit à petit… je parle de choses qui me touchent, comme un bidonville à côté de chez moi…
Est-ce que ça te donnerait envie d’aller plus loin dans ta démarche et te tourner vers des débats plus politisés?
Très jeune je me suis intéressé au milieu associatif et aux causes politiques, mais je sais que ce n’est pas ma place. Le milieu associatif, comme le milieu politique, est un domaine compliqué où il faut réunir un consensus pour mettre en place des idées, ce qui prend du temps et te fait rentrer dans un moule qui te fait perdre tes idées de base, et moi j’ai besoin d’être libre pour parler de ces choses là. Le politique et l’associatif sont des choses nécessaires, mais ce qui est naturel chez moi c’est faire de la musique et je tendrais plus vers véhiculer des messages à travers ma musique comme l’ont fait Bob Dylan ou Bob Marley, tous les Bob en fait, sauf Bob Sinclar peut-être! (rires)
Tu dénonces pas mal de choses dans tes chansons, mais toujours avec douceur et poésie… est-ce aussi, au delà de tes chansons, ta manière d’aborder la vie?
J’essaie en tout cas! Après je suis comme tout le monde, il y a des moments où je pète un câble, en voiture ou dans le métro… Après devant un auditoire, il ne faut pas dire n’importe quoi, donc c’est important de surveiller son langage, et ne pas se fermer trop de portes en étant violent dans les paroles… autant la musique est totalement mon domaine, autant j’ai encore beaucoup à apprendre de l’écriture!
Tu as aussi beaucoup composé pour des pièces de théâtre et des court-métrages, pour les collectifs «La Famille» et «Quatre Ailes»… mettre du son sur de l’image est quelque chose d’important à tes yeux?
Pour le collectif «Quatre Ailes», j’ai rencontré un metteur en scène, qui s’appelle Michaël Dusautoy et avec qui j’ai trouvé une manière de travailler qui me plaît beaucoup, car il a une idée de pièce mais aussi une idée de musique et qui s’intègre dans un univers que je trouve génial et féérique… je vous recommande d’ailleurs vivement d’aller voir «La Belle Au Bois» ou l’ancienne pièce «Le Projet RW» qui tourne encore, ce sont des pièces comme des films de Tim Burton, des milieux oniriques, fantastiques et qui me touchent beaucoup. Je n’ai jamais fait encore de long-métrage, mais je travaille avec des réalisateurs avec qui ça se passe bien, et là ce sera encore des réalisateurs différents avec des envies et des énergies différentes qui vont me permettre de faire des choses que je n’aurais pas fait seul et j’aime bien ça. Là je vais commencer à travailler sur un film qui s’appelle «Sur La Route Du Paradis» d’Uda Benyamina… j’aime bien faire des choses assez variées, donc oui, ça va continuer dans ce sens là!
Tu es un important compagnon de route de Grand Corps Malade, pour qui tu as composé presque deux albums dont le multi-récompensé Midi 20, qu’as-tu tiré de cet important succès dû à cette collaboration?
Bah ça a changé complètement ma vie! Je suis devenu musicien professionnel, j’ai jamais osé pensé que j’y arriverais… et là je me suis retrouvé à réaliser un projet, à composer la plupart des musiques dans un super beau studio à Paris, pour faire un disque qui a super bien marché, j’ai eu un disque d’or que j’ai direct accroché quand je l’ai eu… on a eu deux Victoires de la Musique, une tournée dont j’ai été le directeur musical et pianiste… c’est un truc incroyable. Je suis devenu intermittent, je vis de ma musique et mieux qu’avant, j’ai rencontré et bossé avec Kerry James que j’adore… et ça m’a permis de me dire que j’avais envie que ça continue car j’adore ça! Quand on me demande c’est quoi mon job, je répond que je n’ai pas de travail, mais que je fais ce que j’adore! Ça ouvre des portes, même si c’est un long travail et que j’ai dû quand même trimer pour en arriver là, mais c’est clairement un bon argument de vente pour moi…
Donc tu projettes de continuer à travailler avec Grand Corps Malade?
Mais je travaille toujours avec lui! Ce que j’ai arrêté de faire c’est des concerts avec lui car Grand Corps Malade est devenu une sorte d’institution française, et il a toujours beaucoup de dates, donc si je voulais lancer mon projet solo j’avais besoin de temps. J’aurais peut-être pu concilier tout mais pour bien mûrir le projet, j’avais besoin de m’y consacrer pleinement. J’ai composé pour ses deux derniers albums et j’espère qu’il continuera à me demander de la musique! Mais bon ça se passe bien et on continue…
Un grand merci à S Petit Nico pour son temps, sa gentillesse et son accueil…
Un grand merci aussi à Marie (Disc Over), Adel (Artside) et à la formidable propriétaire des lieux qui nous ont permis de réaliser cette interview et ces photos dans d’excellentes conditions…
Interview et photos live: Julien Peschaux pour Vacarm.net