Leur réputation de groupe de rock made in France s’est faite par le biais de titre comme « La Sentinelle » ou encore « Soledad » tiré de la Tête en arrière, second album de Luke qui a déclenché l’engouement du public envers les compositions de son chanteur, Thomas Boulard. Les années ont passé et Luke a perduré dans le temps et après plus de dix ans de carrière, D’autre Part, leur quatrième album se présente à nous en février 2010. Considéré comme étant moins porté vers un rock saturé et énergique, cet album vient marquer un tournant, un virage musical qui peut être ne plait pas à tout le monde mais qu’on le veuille ou non, Luke fait partie des groupes de rock qui défendent le rock français sans tomber dans la facilité d’opter pour la langue de Skakespeare et ainsi obtenir une certaine notoriété. D’autre Part marque une évolution musicale, un écart dans ce que l’on connait de Luke depuis ses débuts mais qui sommes nous pour juger un groupe et de dire ce qu’il doit faire? Tout le monde a des envies de changements et là avec D’autre Part, Luke sentait le besoin de réaliser un opus différent. Un bien pour un mal? Un mal pour un bien? On le saura avec le temps. En résidence au Chabada d’Angers avant leur tournée, Vacarm a rencontré Thomas Boulard en tête à tête pour parler de ce nouvel opus, D’autre Part.
Hervé: Après plus de dix ans de carrière, Luke nous présente D’autre Part, disponible depuis le 15 février 2010. Quelles sont les critiques que vous avez pu recevoir par la presse spécialisée ou même par le public sur ce quatrième album studio?
Thomas: Franchement, ce n’est pas mon travail. J’essaie de ne pas passer mon temps à lire les critiques et de toute façon je ne m’y intéresse pas. Tout le monde n’est pas apte à faire des critiques, tout le monde n’est pas très bon pour les écrire, tout le monde n’a pas le temps et l’argent pour pouvoir les fairede manière intelligentes. Mais pour l’album, le si peu que j’ai pu observer, les critiques sont bonnes. Il y a quelques fans qui ont peut être été déçu avec D’autre Part mais sur la page Facebook, la majorité des fans ont l’air content. Pour les avis négatifs, de toute façon nous sommes habitués car a chaque album, nous nous faisons emmerder (Rires!)
Hervé: Personnellement, à la première écoute de D’autre Part, je n’ai pas totalement accroché du fait que je trouvais une sonorité moins rock. Mais après plusieurs écoutes attentives, l’album fut de plus en plus apprécier. Avec cet opus, on sent un réel virage dans la carrière de Luke, est ce une volonté du moment avec D’Autre Part ou est ce intemporel? Ce virage musical ne se fera que sur cet album?
Thomas: C’est ta question? Il faut que je réponde bien car c’est une très bonne question… Il faut savoir ce que l’on définit dans le rock, c’est un peu cela tout le problème…
Hervé: Cet album est qu’on le veuille ou non toujours porté vers le rock.
Thomas: Complètement! C’est un peu le problème avec D’autre part mais il faut aussi bien réécouter la Tête en arrière. Je chante plus sur ce disque que sur la Tête en arrière. La voix est plus haute sur le dernier album que sur la Tête où elle est plus calme. La moitié de la Tête en arrière sont des morceaux très doux comme « Sevezo, L’espèce Humaine, Zoé, Le reste du monde… Ensuite, il y a eu les Enfants de Saturne et il y a eu l’image du groupe qui s’est créée. Les images des concerts, de la tournée font que l’on nous classe comme un groupe qui fait du bruit. Je ne sais pas ce que sera la suite de Luke car j’en avais un peu marre que l’on me dise que Luke c’était simplement du bruit. J’ai l’impression que l’on essaie des choses, on écrit des chansons… J’avais envie d’essayer de faire un métissage entre le rock anglo-saxon, le rock français et la chanson française. En répondant clairement à ta question, je ne sais pas ce que sera la suite de Luke et si nous sommes à un tournant de notre carrière. Je ne sais pas ce que je cherche mais j’essaie de m’amuser au fur et à mesure que je réalise des albums. Est ce que la suite sera dans la même lignée? On verra demain. Peut être que le prochain album sera du Hard Core?? (Rires!) Je m’ennuie assez rapidement, je n’ai pas envie de faire toujours la même chose.{multithumb thumb_width=450 thumb_height=320}
Hervé: J’ai pu lire des critiques sur D’autre part qui annonçaient que cet album était moins rock, voir pop. Je pense que ce nouvel album arrive au bon moment dans la carrière de Luke. Les anciens albums étaient tournés vers un son rock qui a fait l’identité du groupe en France mais D’autre Part crée une cassure dans la discographie avec ces compositions qui sont adoucies et qui peuvent être de très intéressantes pour la partie live, les sets de Luke.
Thomas: C’est pour cela que D’autre Part est enregistré de cette façon. C’est bien que tu en parles car je ne pense pas à dire tout cela…
Hervé: Je pense que c’était le bon moment car on connait Luke comme groupe de rock, ça peut déplaire à certains de « perdre » ce côté rock énergique des anciens albums par la présence de mélodies, des arrangements plus poussés…
Thomas: Où ils se trompent c’est qu’il y a une énergie sur cet album, il y a juste des guitares sèches à la place des guitares électriques. Il n’y a pas les mêmes réflexes, les mêms codes du rock français. Si tu veux à un moment je me suis trouvé emmerdé pendant la tournée des Enfants de Saturne. Je me suis posé la question, qui est Thomas de Luke? Je ne sais pas qui c’est? Je n’allais pas continuer à écrire comme Thomas de Luke, je voulais écrire comme je le ressentais et je me demandais comment allait être ce nouvel album du groupe? Au bout d’un moment, j’ai pris ma guitare sèche, un piano et je me suis mis à écrire des chansons en changeant les thêmes abordés. Je voulais sortir de l’idéologie du rock français, les uns contre les autres, les riches contre les pauvres… Je ne trouvais pas que ça représentait vraiment le monde qui nous entourait aujourd’hui. D’une certaine manière, je trouve que le monde qui nous entoure est un monde de démesure et que l’on manque de mesure. J’ai fait un album mesuré et je trouve que c’est ce qu’il manque au rock. Je voulais un rock qui fasse part de ses doutes, de sa sensibilité, de la largesse de ses couleurs et de ses arrangements. Quand j’ai écrit les chansons et que nous sommes passés à l’arrangement avec le reste de la troupe, on ne pouvait pas faire n’importe quels arrangements sur « Le robot », « le Gardien de prison »… Tu racontes des histoires donc il faut que ces histoires aient une continuité dans les arrangements. Nous les avons donc fait de manière à accompagner ces personnages. Ils ne les annihilaient pas par le son, le bruit ou la fureur. Ces personnages disent des choses beaucoup plus dures, cruelles et sombres de ce que j’ai pu dire dans les Enfants de saturne ou dans la tête en arrière. Je pense que c’est comme cela que doit être une chanson. Il y a autre chose, c’est que je ne voulais pas que les textes soient trop visibles. J’avais un défaut dans mon écriture sur les albums précédents.Je faisais trop celui qui voulait faire le poête. Parfois ça marche et d’autres fois non. Là, j’ai écrit pour raconter une histoire, ce n’est pas la même chose. Dans le rock français, je trouvais que l’on écrivait beaucoup mais que l’on ne racontait pas beacoup de choses. Si l’on aime la culture anglo saxonne come Dylan, Neil Young, Cohen… il faut témoigner de notre monde. Je voulais raconter ce qu’était l’homme d’aujourd’hui comme sa peur de vieillir, peur de la mort, la capacité d’aimer autrui, de pardonner à autrui… Toutes ces facettes passent à travers des personnages qui si tu l’as remarqué possèdent une légère désuétude. Un clown pour « Fini de rire », un robot, un gardien de prison… J’en ai fais exprès pour montrer que derrière notre apparente modernité, notre progrès, on a l’impression d’être mieux qu’avant alors que non. Par exemple le robot raconte exactement le monde qui nous entoure.
Hervé: Parlons de la création de l’album, vu que les titres sont soi disant moins portés vers un rock énervé, je pense que la méthode de travail et de compositions ont du être modifié avec le groupe et peut être même pour toi pour la base d’une chanson?
Thomas: Ça n’a pas changé à la base parce que je fais toujours guitare sèche/voix. J’enregistre énormément de mélodies. Je ne réfléchis pas, je fais des brouillons. D’un autre côté, j’ai toujours un carnet où je marque des idées, des sujets, un bout de phrase. Et un jour, la mélodie rencontre les idées. Les chansons se font et lorsque j’ai vingt titres fiables, je les propose au groupe et nous commençons l’étape arrangement. Sauf que là, j’ai voulu qu’on s’oblige à faire des arrangements par ordinateur pour que l’on passe par la maquette avant de jouer en groupe. On avait tendance à ne plus jouer les nuances sur nos titres. Du fait d’avoir utilisé cette méthode en passant par le home studio, chacun amène des idées, des samples, des claviers…on s’amusait à composer nos chansons. Construire nos titres à partir de la guitare sèche/voix, il y a eu un effet magnifique car désormais le « Reste du monde » de la Tête en arrière, morceau que l’on arrivait jamais à jouer de bonne manière sur scène, là on le joue en live comme sur le disque. On est capable de faire des reliefs, chose dont nous n’étions pas capables. Ça nous a beaucoup aidé et du coup on s’est beaucoup amusé pour produire ce disque. Quand je vois Arcade Fire, Beirut et en France à Louise Attaque ou Dionysos, ces groupes ont une capacité d’évolution et d’arrangements qui tend à amener le rock français vers ailleurs et bien ça me donne envie. On a essayer à notre manière, à notre goût de construire un rock français un peu différent, un peu plus poétique peut être mais par inadvertance. Un rock plus coloré qui fait entrer la lumière en faisant des chansons.
Hervé: Pourquoi avoir choisit D’autre Part comme nom de ce quatrième album? Ce n’est pas un titre qui figure sur la tracklist de ce nouvel opus, y a t’il un réel sens pour avoir employer ces termes? Je pense qu’il y a un lien avec ce changement de style musical de Luke?
Thomas: Ce n’est pas un changement de style, c’est une évolution musicale. C’est complêtement lié avec ce qu’il y avait avant chez Luke. Quand je vois la carrière de Radiohead, quel est le lien entre Pablo Honey et Ok Computer?
Hervé: Tout à fait, on peut même rajouter Kid A.
Thomas: Sur la carrière de Bashung, quel est le lien entre La faute à Dylan et La nuit je mens? Je ne sais pas comment font les autres mais on a besoin d’évoluer, de chercher du nouveau. Si l’on ne cherche pas, on ne s’amuse pas. Quand on cherche on peut se tromper mais il faut déjà avoir essayer de chercher quelque chose. C’est notre travail sinon autant arrêter de composer. D’Autre part est vraiment une expression française que je trouvais très simple qui expliquait un lieu. Un lieu qui est un refuge extérieur au monde. Ce refuge est nécessaire à l’élaboration de la vie intérieure. Le monde qui nous entoure est un monde qui empêchait la vie intérieure. La vie extérieure engendre une pression sur cette vie intérieure car tu n’as plus réellement d’éloignement possible. L’éloignement physique est impossible, il n’y a plus vraiment d’endroits à découvrir, des lieux de solitude pur et dur. Léloignement psychologique est quasiment impossible car avec le téléphone portable, internet, le travail… C’est un grand problème de notre temps, l’espace pour réfléchir, l’espace pour s’ennuyer, l’espace pour avoir envie d’aller vers le monde n’existe plus. On est écrasé par le monde qui vient à nous et du coup nous rentrons dans une certaine forme de cynisme. Je pense que c’est un véritable danger. Pour mon travail, j’ai été obligé de rentrer en moi même parce qu’en moi même, j’ai laissé de l’espace . Je m’étais éloigné du monde, j’avais arrêté la télévision et la radio, je me suis coupé du monde et des autres. Cette coupure a été bénéfique pour avoir un certain recul. C’est cette notion de refuge que j’ai essayé de définir avec ce mot D’autre Part.
Hervé: Pour cet album, l’artwork a été réalisé par Yann N’Guema, bassiste d’Ezekiel qui officie sous le pseudo Iradian pour ses projets de graphisme. Comment s’est faite cette collaboration? Tu connaissais personnellement Yann N’Guema?
Thomas: Pas du tout! Ça a été très simple. On galérait pour la pochette et un jour, je tombe nez à nez avec une ancienne affiche des Trans Musicales de Rennes où l’on voit un cosmonaute dans la neige. Tout de suite, je me suis demandé, qui a fait ça? On l’a contacté et il a été d’accord pour travailler avec nous sur D’autre Part. Je suis très content de son travail.
Hervé: Cette pochette il l’a réalisé spécialement pour Luke ou c’était une création de son catalogue?
Thomas: Non, c’était une commande pour Luke. Il avait rçu quelques commentaires sur le disque. Je voulais quelque chose d’absurde et de poétique. Il a fait une métaphore qui est très belle. La métaphore du léger qui soulève le lourd. Si ce n’est pas la plus belle métaphore de la chanson, le léger qui soulève le lourd et la chanson c’est un peu ça, comment dire des choses lourdes en faisant du léger.
Hervé: Et cette image colle bien avec le nom de l’album.
Thomas: Il a eu beaucoup d’intuition et vraiment je suis très content de son travail.
Hervé: En ce début du mois de mars vous êtes en résidence au Chabada d’Angers. C’est en quelque sorte une mise en jambe pour la tournée par une série de répétitions?
Thomas: Tout à fait ! Et puis notre première date est jeudi (4 mars). Le Chabada est un outil de travail de qualité, en terre rock, lieu de résidence des Thugs. Cette salle nous la connaissons bien car nous y avons déjà joué à cinq reprises. On connait les gens de l’organisation, ils sont accueillants… On ne vient pas à Angers, on vient chez nous pas par rapport au public mais parce que nous connaissons l’endroit. Nous y sommes habitués.
Hervé: Jeudi débute une nouvelle tournée. Pressé de retrouver la scène et le public de Luke?
Thomas: Oui car la dernière tournée j’ai un peu l’impression que c’était dans une autre vie (Rires!). Mais j’ai un peu peur aussi car j’espère que l’on va se faire plaisir. Je suis très content des morceaux sur scène et du mélange entre les différents univers des différents albums.
Hervé: Je pense que les morceaux qui figurent sur D’autre Part, c’est par le biais du live qu’ils vont prendre tout leur intérêt. Il y aura surement des versions arrangées pour la scène.
Thomas: Ah oui! Il y aura de grosses surprises.
Hervé: Les réticents de Luke par rapport à cet album, s’ils viennent vous voir en live, ils vont peut être mieux comprendre D’autre Part.
Thomas: S’ils viennent nous voir en concert, ils vont voir aussi qu’il y a une énergie sur le disque. Une basse/batterie lorsque ça joue, ça envoie !
Hervé: Avec des titres comme « Faustine » ou encore « Manhattan », il peut y avoir cette énergie rock.
Thomas: Même avec « Fini de rire », « Les amants de Valence » et « Pense à moi », c’est du rock! Venez nous voir et vous allez comprendre (Rires!).
Hervé: Est ce qu’il y a des groupes mis en avant en première partie pour cette tournée?
Thomas: Pas encore car nous ne produisons pas les dates. Nous n’avons pas notre mot à dire mais la seule chose que l’on demande aux salles qui amènent le groupe c’est uniquement de chanter en français.
Hervé: Normalement c’est une question que je pose à des groupes qui sont moins connu mais je voulais savoir quelles étaient tes influences musicales?
Thomas: Pour être précis par rapport à ce disque, on a vraiment essayer d’avoir en tête des groupes comme Arcade Fire, Beirut qui sont des groupes qui renouvellent leurs arrangements. On a eu Tom Waits, les Stones… Pour ce disque, je me suis coupé du monde et je n’ai écouté aucun album contemporain, aucune radio. Je n’ai écouté que de la musique classique. Seule musique qui te permet d’avoir une mélodie.
Hervé: C’est considéré comme la base de toute musique.
Thomas: C’est la base mais c’est ce qui me permet de survivre car lorsque tu es quelqu’un comme moi qui est un passioné de musique depuis ta tendre enfance, c’est très dur de vivre de sa passion. Du coup, tu ne peux plus écouter de la musique avec autant de plaisir qu’avant parce que tu en fais toi aussi. Tu es toujours en comparaison et il n’y a pas de moments de détente. La seule musique qui permet de me détendre sans réfléchir reste la musique classique. Pour résumer, je pense que ce disque est un album pour adultes et non pas pour adolescents. Ce qui n’est pas la même chose, la frontière est là. Ce n’est pas du tout péjoratif, il est fait pour être écouté assis alors qu’en live on peut se déchainer pour vivre l’énergie du live.
Hervé: Thomas si tu devais faire un top 3 dans tes albums préférés, quels disques choisirais tu? Question difficile !
Thomas: Ça n’a pas vraiment de sens mais je vais dire Paul Simon avec Graceland, Dylan avec Blood on the Tracks et Brel avec Les marquises. C’est difficile de faire un top 3.
Hervé: Et en ce moment tu écoutes quoi lorsque tu n’es pas enfermé?
Thomas: En ce moment, je suis à fond sur la musique cajun, c’est du blues et le rock des Etats Unis et plus précisément de Louisiane mais chanté en français. Cette défense de la culture textuelle de ces gens me fascine.
Hervé: Dernière question Thomas, as tu déjà eu envie de te lancer dans un projet solo?
Thomas: Là par exemple j’en avais eu envie. J’avais envie de tout arrêter. Il ne faut jamais dire jamais mais je ne me vois pas en projet solo. Là on s’est dit pour cet album qu’on le faisait et que l’on voyait ce que ça donnait, je trouve qu’il y a eu une bonne cohérence car il y a un métissage entre el rock anglo saxon et le rock français.
Merci à Thomas Boulard, chanteur de Luke pour avoir répondu à mes questions pour Vacarm.net.
Photos Live: Hervé