Cap'tain Planet : La sémantique de votre album m’intrigue. Vous utilisez un vocabulaire très anatomique dans vos chansons et cela est corroboré avec la pochette qui représente un schéma d’être humain.
Louis-Jean Cormier (chanteur guitariste) : Ce n’est pas notre concept de base, c’est venu de notre graphiste. Notre album tournait autour de différents thèmes particulièrement noirs. On avait en tête tout le temps la phrase « Les tremblements s’immobilisent ». La graphiste nous a proposé comme visuel un mannequin sans vie sur lequel on a scotché un cœur. C’est dans l’idée « Si tu n’as pas de cœur, on va t’en donner un » ou « mettre de la vie là où elle est absente ».
Comment expliquez-vous la noirceur de cet album ?
Stéphane Bergeron (Batteur) : Il y a des chansons qui ont été écrites il y a très longtemps. Elles n’ont pas été écrites durant la même période, c’est du cas par cas. Ca ne correspond pas à une période noire qui correspondrait à la vie des membres du groupe.
Louis-Jean Cormier : Au contraire, ces chansons ont été composé durant une période très prospère et joyeuse mais ça a donné un disque noir. Je pense qu’il y a une raison peut-être, on a toujours eu du mal à composer de la pop sucrée. C’est difficile à décrire. {multithumb thumb_width=450 thumb_height=320}
Stéphane Bergeron : on ne peut pas faire du Dick Rivers (se moquant de l’accent français).
Louis-Jean Cormier : En essayant d’écrire des chansons joyeuses, tu peux vite tomber dans le panneau. On écrit de manière instinctive, tout ce qui nous passe par la tête. C’est généralement des thématiques engagées, jamais revendicatives. On ne fait pas de la socio-politique.
Stéphane Bergeron : On ne cible pas un problème précis. On laisse place à l’interprétation.
Vous avez une écriture presque lyrique et romanesque. Quel est votre rapport à la littérature ?
Louis-Jean Cormier : Il n’est pas inexistant, certains membres du groupe lisent plus que d’autres, mais personnellement je suis plus influencé par le cinéma. Certains artistes diront que leurs chansons sont presque des courts-métrages. Nous ne tombons pas dans cet imaginaire là, mais je dois t’avouer qu’il m’arrive d’écrire un texte en sortant du cinéma. On essaye de chanter en images.
C’est un cinéma en noir et blanc ?
Louis-Jean Cormier : C’est un cinéma très sombre en tous cas. En ce moment on est en train de concocter un nouveau disque au Québec. Il est beaucoup plus joyeux et nourris par les nombreuses tournées suite à la sorties de Les Tremblements s’immobilisent au Québec.
La sortie de l’album a été assez difficile en France. Ca fait presque un an que vous attendez, vous ressentez une petite frustration ?
Louis-Jean Cormier : Je pense que c’est un cheminement normal. C’est très difficile de rentrer en France, on le savait au départ. On aurait aimé que ça se passe plus rapidement, c’est sûr. Mais l’important c’est d’y être arrivé !
Quels souvenirs gardez-vous de votre précédente tournée française ?
Louis-Jean Cormier : Ah lalala… De bien beaux souvenirs !
Stéphane Bergeron : Le vin n’est pas cher !
Louis-Jean Cormier : Le vin est abordable comparé à chez nous. La tournée, c’était comme 50% de travail et 50% de tourisme. Tourner à l’étranger, ça reste plus exotique qu’au Québec, tu profites toujours du pays pour visiter. En France, les routes sont belles, on a un gros camion. Ca nous nourrit de belles images pour nos chansons. A chaque fois qu’on vient en France, on en écrit au moins une nouvelle. On les enregistre dans les chambres d’hôtel.
Et vos concerts avec les Cowboys Fringants ?
Louis-Jean Cormier : On a eu beaucoup de plaisir avec eux mais tout autant que dans nos shows solo. Ce qui était génial avec les Cowboys Fringants, c’était la tribune qu’ils nous offraient à l’Elysée Montmartre. La salle était complète durant 3 jours. D’ailleurs, nos amis de Patrick Watson, jouaient le 3e soir à la Boule Noire, juste à côté. La soirée a terminé très tard avec eux … C’était un grand plaisir de les revoir.
La scène québécoise est très concentrée. Il y a beaucoup de groupes sur un petit territoire, est-ce que le fait de chanter en français, ce n’est pas se tirer une balle dans le pied ?
Stéphane Bergeron : Non au contraire. A moins d’avoir des aspirations internationales, un groupe francophone qui chante en anglais au Québec, ça fonctionne rarement.
Louis-Jean Cormier : Si tu veux vivre et faire carrière, il faut plutôt chanter en français. Ceci dit, l’anglais permet de t’exporter à l’étranger. Seuls quelques groupes montréalais comme Malajube ou Karkwa ont réussi à tourner dans des contrées anglophones. Jamais, on ne se mettra à chanter en anglais. Ce n’est pas notre langue maternelle, on n’est pas habiles avec l’anglais. Avec Karkwa, on a un désir profond d’innovation dans l’écriture de nos chansons.
Par quoi passe cette innovation ?
Louis-Jean Cormier : Souvent, on essaye de traiter un sujet qui n’a jamais été abordé dans une chanson. Par exemple, on a une chanson sur le trafic d’organes. Ce n’est pas clair à la première lecture, c’est presque drôle, mais en y réfléchissant c’est une chanson très sérieuse. En ce moment, on utilise une autre approche. On utilise un terme facile au premier abord mais on essaye de l’amener différemment, en contournant la chose. C’est des beaux défis, on va flirter avec la pop grâce à des lignes accrocheuses, des motifs simples mais avec une approche nouvelle.
Vous avez un rapport assez proche avec votre public. Que représente le live pour vous ?
Stéphane Bergeron : Au Québec, tu as des salles très différentes. On joue aussi bien à guichet fermé au Club Soda, qui est une belle grande salle de Montréal, que le lendemain dans un café étudiant où l’organisation, l’ambiance et la technique sont médiocres. On a toujours le même plaisir de jouer. Parfois tu joues dans une grosse salle, avec plusieurs groupes, tu penses que l’ambiance va être énorme et pourtant tu en sors moins comblé qu’après un concert dans un lieu miteux mais où tu as été proche du public.
Louis-Jean Cormier : Il y a toujours quelque chose ou quelqu’un pour te ramener sur terre. Ce n’est pas possible de s’enfler la tête et de partir dans des élans de prétention. On prend la réalité en pleine face. Notre rapport au spectacle, c’est la vie. On prend du plaisir à jouer, même quand on enregistre, on aime jouer les chansons live. On enregistre tout le monde en même temps.
Louis-Jean, tu viens de Sept-Iles, une petite ville au Nord du Canada, quelle fut ta première expérience avec la musique ?
Louis-Jean Cormier : Avec un public, ce fut surtout dans les bars. Je viens d’une famille de musiciens, j’ai suivi des cours de musique classique dès 4 ans. Après j’ai joué dans des groupes de punk, comme Kalembourg. Ce groupe a été « l’école » de Karkwa. Stéphane a joué dedans, tous les musiciens de Karkwa sont passés à un moment donné dans Kalembourg.
Comment la ville t’a influencé dans tes chansons ?
Louis-Jean Cormier : Ma grosse poussée créative s’est développée quand je suis arrivé à Montréal. J’ai vécu cela comme une sorte de clash entre la région éloignée et la ville qui fourmille. S’il y a eu une influence de Sept-Iles, c’est forcément pour la nature et ses paysages.
Pour finir en humour, quelle expression française vous parait la plus stupide ?
Stéphane Bergeron : J’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi en anglais vous dites « the » soit « de », soit « ze ».
Louis-Jean Cormier : Au Québec, on est plus vulgaires. Je ne comprends pas pourquoi les français disent « mince » au lieu de dire clairement « merde ».