Pour un disquaire de centre ville, la problématique est la même. Sur la masse de disque que le système produit, combien peut-il garder en stock ? Combien trouveront preneur ? La FNAC y compris n'échappe pas à ce phénomène.
Ce que l'on appelle les coûts d'opportunité (stockage et distribution) et qui ne sont que les expressions économiques de la finitude de l'espace et du temps, ont un impact majeur sur la teneur de la production artistique. Seuls les gros vendeurs, les œuvres les plus consensuelles, ont droit de citer dans les linéaires restreint du distributeur. Un magasin de disques physique assure 80% de ses ventes avec 20% de la production.
Par sa structure mondiale, son coût de stockage quasi nul, le réseau Internet est dans une situation exactement inverse. Amazon l'a bien compris puisque son chiffre d'affaire sur les petites ventes est supérieur à celui des best seller, en nombre plus limité : « Aujourd’hui, nous avons vendu plus de livres qui ne se sont pas vendus hier que nous n’avons vendu de livres que nous avons vendu aussi hier ».
Cet effet de longue traîne a des conséquences forte sur les artistes, les producteurs, le public. La production de masse d'œuvres moins disante susceptible de rencontrer une plus large audience est le trait principal de l'industrie culturelle actuelle et vieillissante : un artiste phare pour toute la famille.
Conséquence aussi dans la formation – le formatage – de notre goût, à force d'avaler peu ou prou la même chose on ne finit plus que par aimer peu ou prou la même chose. Or internet permet à des artistes de vivre une expression originale de leur art et de rencontrer une attention qu'il n'aurait pas eu autrement. Il permet aussi à tous de cultiver une plus grande sensibilité dans le goût tant l'offre est grande, nuancée, parce qu'affranchit des limites physiques. Notre film de l'avant garde argentine des années 50 a maintenant un public. Internet repense la loi de l'offre et la demande.
Pour les musiciens, cette situation est synonyme d'opportunité et de remise en question. Remise en question de la hiérarchie des gros vendeurs qui tirent leurs ressources de la rente de situation que sont les droits d'auteurs ( à ce sujet la carrière de F. Hardy est symbolique), diversification de l'offre et facilité de distribution, affranchissement des structures de production, telles les Majors qui jouent un rôle certains dans l'affadissement de l'offre générale.
Remise en question aussi du métier de musicien ; les moyens technologiques permettant plus facilement aujourd'hui qu'hier d'envisager l'auto production, la presque disparition d'une scène professionnelle de proximité en centre ville, la pratique de la niche musicale font qu'il devient difficile d'entamer une carrière professionnelle sans passer par une deuxième source de revenus.
Mais opportunité pour tous, celles et ceux pour qui la pratique instrumentale est un moyen d'expression quand pour d'autres c'est la peinture, l'écriture – il est significatif de constater qu'en France le statut de musicien amateur n'existe tout simplement pas –, ouverture, élargissement de l'horizon.
En chinois le mot crise est formé de deux mots qui individuellement signifient « danger » et « chance ». Donc la crise du disque ?!!