Venir aux Trans Musicales de Rennes, c'est faire un « marathon ». Le mot est revenu un nombre incalculable de fois au cours du week-end. De la bouche de la co-directrice des Trans Musicales, Béatrice Macé, comme du public du samedi soir dans la « dernière » navette pour le Parc Expo. Oui. Un marathon. À courir à son rythme, pour profiter autant que possible des paysages sonores de cette 33ème édition. Trois soirs durant. Pardon. Trois jours, de 14h30 à l'Ubu jusqu'au plus tard de la nuit. Deux semaines après, le temps de laisser tout bien reposer, retour sur cet espace-temps.
Le jeudi, prime à l'efficacité, ou la non-efficacité. Tout s'est joué sur cette divergence pour des oreilles encore endormies. Les Spadassins, look et musiques à moustaches sixties, ont rempli ce rôle de « défricheur ciruménique » avec brio. Ils ont rivalisé sans problèmes avec leurs grands-frères de Bikini Machine, pour montrer que le rock à la frontière de Dutronc a encore des choses à exprimer. Monkey & Bear, eux, ont fait un concert plein de « Dan Deaconneries » mais, là encore, avec talent. Pour boucler la salle ubuesque, avant d'aller voir Michael Kiwanuka, Dissonant Nation a fait comprendre que l'efficacité n'est pas toujours une fin en soit. Enthousiastes sur scène, ils offrent pourtant un sentiment de déjà-vu et de préfabriqué ; tandis qu'à l'inverse, le susnommé Michael a fait dans le manque d'enthousiasme, dans l'intéressant par le chant mais terriblement ennuyeux après deux chansons. Je passe mon tour pour me mettre en condition face à la première sensation du festival : Bumpkin Island. Simple, talentueuse, magnifique, la chorale instrumentalisée qui répond sous ce nom envoûte en un éclair son public. Leur final, porté par une reprise de « Sunday Morning », suffit à mettre le premier genou à terre du festival.
J'en serai presque, à cet instant, à oublier que les Trans' font leur deuxième retour au Liberté ce même soir. Saida Baba Talibah est déjà passée par là ; Vinnie Who ne tarde pas à se montrer. Je reste assez décontenancé devant son mix de The Withest Boy Alive (pour la clarté) et d'ABBA (pour l'excentricité à la limite du supportable). Il ne faudrait pas en abuser, mais à petite dose, c'est pas trop mal. Devant un gigantesque et semi-psychédélique mur projeté, l'homme-orchestre Lewis Floyd Henry procure un réjouissant set blues-rock, tout en puissance. Il débute doucement, mais son show se transforme finalement en roue libre impossible à arrêter. Lewis Floyd Henry ne veut tout simplement plus quitter son devant de scène. S'en suivent plusieurs groupes décevants. Magnifico a perdu de sa superbe. Sans pêche, sa musique laisse un goût quelconque. Capacocha s'en sort lui avec les honneurs, mais aurait mérité quelque chose de plus petit et plus électrique, avec un meilleur son, pour transmettre son virus voltaïque. Enfin, après une chanson et demi (le temps de faire montre d'une relative hipstérie et de rendre la pas-si-mal « Aitormena » désagréable), We Are Standard est franchement décevant. Rien de grave : au repos, déjà, ce qui sera salvateur en fin de semaine.
Deuxième jour, le jour du spectacle, de 14h à 5h du matin. 15h de haute volée. Les meilleurs showmen, haut la main, sont Kakkmaddafakka. Ils ont été capables de rendre le hall 3 rempli comme un œuf et renversé d'enthousiasme, dansant d'un seul mouvement perpétuel tout au long de leurs 50 minutes. Bien plus tôt, Juveniles, en bons locaux qui se respectent, ont fait désertés les rangs du lycée pour leur ouverture de l'Ubu. La file de la salle, d'ailleurs, s'épaissit à vue d'œil et file jusqu'à l'entrée de France 3. Même rentré dans la salle, Il faut se battre pour les apercevoir ailleurs que sur un écran géant ou derrière un poteau. Sacrée salle de l'Ubu. Enfin, quand on les entend chanter « We Are Young », il faut espérer simplement qu'il ne se perdront pas en route. Mais ils devraient bien grandir.
Le spectacle est aussi une affaire de charisme. À ce jeu là, Sallie Ford et son Sound Outside remportent la palme. Facile. Le guitariste est drôle. Le bassiste est classe. Sallie est merveilleuse. Le concert est une grande réussite dans la salle de la Cité. Luz fait une apparition remarquée derrière les platines, entre les groupes du hall 3, s'amusant avec le public, le faisant boire et offrant une dose de rock pas désagréable. C'est une affaire de charisme… ou d'excentricité, soit le fond de commerce d'Orchestra Of Spheres. Les néo-zélandais s'excentrent avec l'intelligence du créatif, qui créé quelque chose de totalement inédit. Mixant joyeusement les rythmes tribaux avec du son électronique, leur show a quelque chose d'étranges mais familiers, de la folie quotidienne, du ça explosé.
Dans le reste du jeudi, Hollie Cook a étonné par son manque de punch et par un concert tout sauf surprenant. Entre deux morceaux de Robin Foster, afin d'apercevoir le phénomène annoncé, seule la voix marque. Le reste, à savoir les morceaux en eux-mêmes, retombent aussitôt. Rien à en tirer ? Robin Foster marque lui des points avec un set hallucinant et impeccable, qui donne envie de retourner voir ce que donne l'album sorti peu avant. La comparaison est rude, mais… Sublime. Juste sublime, ce qu'a accompli l'anglais, ce soir là. Stuck In The Sound, beaucoup plus tard, offre lui un set plus honnête, réussi mais sans extase. Que cela soit dit : l'album à venir promet quand même, au souvenir des titres de ces Trans.
Enfin, dans les sonorités électroniques, ce vendredi a donné à entendre quelques passages enthousiasmants. Breton, en une demie-heure chrono, a montré que le potentiel est chez eux, même dans un hall 9 bien trop peu rempli. Un groupe capable de faire sonner son « Edward the confessor » aussi bien dans une grande salle mérite d'être suivi de très près. Dans ce même hall, SBTRKT a souffert. Son set mérite intimité et attention. Tout ce qui n'était pas vraiment possible ce soir-là. Totally Enormous Extinct Dinosaurs a achevé ma soirée, sous les coups de 4h du matin, avec des basses bien trop fortes. Dommage, quand on connait la qualité des morceaux. Mais ça valait le coup de tenir, quand même, ne serait-ce que pour voir des dinosaures-femmes se déhancher sur « Household Goods ».
Le samedi, la fin pointe le bout de son nez. « Déjà ». Le réchauffement est bien entamé et laisse place à la fatigue. La journée sera dédiée au chaud-froid, de l'Ubu au Parc Expo. L'Ubu ne laisse pas un souvenir impérissable pour débuter : Jesus Christ Fashion Barbe et Mein Sohn William brillent par leur nom et font deux sets tout à fait encourageant, mais avec un léger manque d'enthousiasme. Trop de fatigue. À l'inverse, le 4bis voit passer deux groupes en plein dans le thème : les trois filles de Giana Factory, venue du Danemark, font respirer l'air froid de la Scandinavie et attirent les spectateurs dans un monde à trois Bat For Lashes : envoûtant. Puis, c'est la chaleur du garage espagnol, signé Guadalupe Plata, qui prend le relai. Choc climatique et d'ambiance de rigueur. Le 4bis du samedi, on en sort enrhumé mais avec plein d'idées. Une navette après, c'est le dernier tour au Parc Expo.
Le parc expo. Dernière. Qu'aller voir ? Galaxie, tout d'abord. Mais malgré la sympathie de leur disco-rock-garage du dernier album, ils manquent un peu de « force de frappe ». Ils semblent trop gentil. Sûrement marqué par le calme relatif du hall 3 à cette heure. Un hall sûrement déstabilisé par un son pas franchement audible, où le clavier passe anonymement. Hanni El-Khatib s'en sort avec plus d'honneur, même si le froid du hall perdure. La transmission est cassée alors que le concert est réussi. Il faut s'en remettre au hall 4 pour entendre le rap glaçant de Shabazz Palaces réchauffé le cœur. Étonnant et détonnant, classieux et envieux. C'est la bonne surprise, pour ma part, de ce samedi. Le coup de cœur innatendu, en pleine résonance à la thématique du jour. D'ailleurs, en arrivant, je suis resté plus réservé sur un « coup de cœur collectif » autour de Carbon Airways. Les jeunes franc-comtois développent une grosse énergie, impressionnante pour leur âge, avec la même envie qu'Atari Teenage Riot. Mais cela manque encore de profondeur, de mise en perspective. Ils sont encore au stade de la boisson « tauréinée ». J'y reviendrai quand ils feront du bon vin.
Les restes de ce dernier jour aux Trans 2011, ce sont avant tout de belles surprises : Janice Graham Band, dans la veine des Clash, distille un ska-rock pas désagréable aux oreilles. Spank Rock aurait pu faire mieux, mais a fait déjà bien en guise de dose nécessaire de hip-hop. Holloys vise un son génial… Absolument génial, en plein post-punk, mais trop tardif. Ils auraient pu être le meilleur souvenir du jour deux heures plus tôt. Las, c'en est trop, Morphée frappe sur tout le corps et sans gentillesse. Alors dans la tête, ce qui restera le mieux gravé du samedi s'est passé un peu plus tôt. Agoria est monté sur ses grands chevaux dans « son » hall 9 et a balancé un set autoroutier réussi. Entre les routes désertiques et urbaines, froides et chaudes, voyageuses et communes, il a tout simplement montré qu'il était au-dessus du lot, en pleine maîtrise de ses moyens. Un beau souvenir de Trans, qui donne envie de reprendre la même route en 2012.
Un grand merci à toute l'organisation des Trans Musicales pour leur accessibilité, leur gentillesse et leur talent de défricheur.