Quelques mois après la sortie de son excellent et injustement ignoré The Sixth Aspiration Museum Overview, IDEM retrouvait les planches des scènes Françaises pour une quinzaine de dates en compagnie de Vuneny, formation atypique débarquée de Bosnie Herzégovine. Un plateau de qualité, proposé au public bordelais après l’incroyable performance menée par EZ3kiel au Théâtre Fémina en novembre dernier, mais pourtant étrangement boudé par les spectateurs ce vendredi 13 mars.
Birdy Nam Nam a en effet déposé ses platines à la Médoquine le même soir, et cette prestation très attendue aura probablement eu son incidence sur la faible affluence constatée au BT59. Difficile cependant d’y voir là l’unique cause de ce timide soutien à des artistes pourtant ambitieux et talentueux, puisque l’électro-dub-rock d’EZ3kiel aura attiré un public massif lors de leur prestation à Bordeaux. Un réel manque de curiosité de la part des Bordelais, constat véritablement regrettable au vu du prix plus qu’accessible ainsi qu’à ces deux prestations mémorables en tous points.
C’est donc devant une assistance plutôt clairsemée que les Bosniaques de Vuneny font leur entrée afin de lancer la soirée. Une trentaine de personnes réparties sur un parterre qui peut en accueillir plus de six-cents, un accueil relativement froid, et pourtant la prestation agit comme un électrochoc. Responsable d’un Whatever Singularity supporté par le label Jarring Effects mais passé globalement inaperçu, le duo va proposer une dizaine de morceaux extraits de ses trois productions en y adjoignant une puissance rarement constatée sur disque. Bien qu’évoluant sur des terrains électro-rock, le binôme se rapproche par moments d’un post-rock écrasant par la mise en avant plus marquée de la guitare de Nedim Cisic, redoutable d’intensité lors de la retranscription d’un « Re : How We Are Connected » à l’outro rallongée et fracassante. Le tandem développe sur scène un côté plus brut, découplant son appétit bruitiste pour livrer une prestation encore plus expérimentale.
Tournée oblige, Vuneny a dénué ses morceaux de leurs rares interventions vocales. La musique retranscrite s’avère donc légèrement moins variée et encore plus difficile d’accès que sur disque, mais conserve cependant toute son efficacité et se dimension purement hypnotique. Sans témoigner d’un travail visuel aussi intéressants que les Français d’IDEM, le duo passionne, tétanise par ses flirtes avec les sonorités drum’n’bass, électrise par ses incartades sombres et régies par une saturation dévastatrice. « Define Violence II », l’incroyable « We Gave Vasko Away, And The Plant Is Male » ou encore « Hold That Thought », Vuneny revisite les pépites de son dernier opus d’une facon transcendante, y mêle quelques extraits de ses précédentes œuvres et livre une heure de set effrayante d’inventivité et de maitrise. A IDEM de succéder à cette prestation en forme de voyage inoubliable parmi les ruines d’un monde dévasté.
Malgré l’horaire, la fosse ne s’est guère remplie pour la venue d’IDEM. En attendant la soirée club qui fera suite à ces deux concerts lives, c’est donc devant une dizaine de véritables connaisseurs et une petite poignée de curieux que les angevins investissent la scène du BT59. Malgré des moyens plus limités que leurs cousins d’EZ3kiel, le désormais quatuor propose un show mêlant musique, lumière et image, pour un rendu soigné et original. La formation a donc disposée une boule faisant office d’écran, sur laquelle sont projetées les images les plus étranges, en partie extraites de vieilles pellicules oubliées de l’après-guerre. L’effet visuel impose donc que le groupe ne retranscrive sa musique dans une semi-pénombre, ce qui sied à merveille à leurs tribulations sonores à haute teneur en réverbérations envoutantes. A l’instar de leurs prédécesseurs, IDEM propose un trip hallucinatoire, une traversée dans des stratosphères sombres et glacées.
Impeccablement mené par trois musiciens débordant de maitrise, le concert est à l’image de leur dernier opus en date, The Sixth Aspiration Museum Overview, et marque la juste jonction entre musiques électroniques et rock. Moins prédominantes que chez Vuneny, les machines laissent ici place à une guitare plus présente ainsi qu’à une véritable section rythmique. Le trio d’origine se voit de plus accompagné de la chanteuse Isabelle Ortoli, qui avait contribuée à plusieurs compositions du dernier opus (« E.C.O.W. », « Trauma », « Wake Up Wake Up »). IDEM a donc particulièrement mis en avant les titres accompagnés de son chant écorché, retranscris avec une grande justesse. Intimidé par le peu de spectateurs présents devant la scène sur les premières mesures, le groupe prend très vite ses aises, et parvient à créer une ambiance intimiste avec ces quelques fidèles qui semblent connaître le répertoire sur le bout des doigts.
Si le nouvel opus est mis à l’honneur, Isabelle quitte la scène afin de laisser les musiciens s’aventurer dans leurs plus anciens morceaux. Moins rock dans l’esprit que leurs derniers travaux, d’excellentes pièces comme « Dum Agree » ou encore « Down The Line » permettent à IDEM de proposer un set varié, oscillant constamment entre décharges électriques retranscrites par les instrumentistes et passades électro-dub dominées par la froideur des machines. On pourra regretter l’absence de « Aimless One », l’un des meilleurs titres du groupe, mais la prestation s’avère tellement maitrisée que le temps défile sans que l’on puisse véritablement en prendre conscience. Devant la motivation des irréductibles des premiers rangs, IDEM regagne les planches pour un ultime sursaut, et se fend d’une reprise d’Amon Tobin aussi impressionnante que la prestation dans son ensemble.
En un peu plus d’une heure de show, les quatre musiciens ont livré un spectacle tout simplement incroyable, qui aurait largement mérité à être présenté à une plus large audience. Si le format disque semble désormais condamné, la scène Française a plus que jamais besoin de soutien, et nul doute que ce 13 mars les Bordelais sont passés à côté de deux groupes parmi les plus intéressants d’une scène électro-dub-rock qui ne se cantonne définitivement pas à EZ3kiel, aussi bons soient-ils. Carton rouge.
Photos : Tfred.