Le cas Will Haven illustre bien les difficultés rencontrées par plus d'un groupe sans concession dans son orientation musicale. Malgré une poigné d'albums impeccables, une réputation qui n'est plus à faire et une amitié de longue date avec les Deftones, la formation de Sacramento explosera en plein vol alors qu'elle vient de livrer avec Carpe Diem son œuvre ultime, véritable monument d'agressivité et de noirceur. La faute à un Grady Avenell décidé à faire vivre une famille plus dignement, même si son amour de la musique le rattrapera finalement à l'occasion d'une ultime tournée de réformation. Il convient donc de se poser la question quand à la réelle légitimité de ce nouvel opus, tant l'âme de Will Haven semblait contenue dans les lignes vocales habitées du frontman démissionnaire.
Rassurons nous, Will Haven ne compte aucunement amorcer un retour en demi-teinte, et se voit épauler pour ce cinquième opus par un nouveau chanteur connaissant le travail et le fonctionnement du groupe sur le bout des doigts. Le successeur de Avenell n'est en effet autre que Jeff Jaworski, un nom bien connu des aficionados du quatuor puisque l'individu avait déjà posé ses lignes de chant sur un morceau portant son nom pour l'album WHVN. Reprendre le micro s'avérait néanmoins être un défi de taille pour ce nouveau venu, tache ardue dont il s'acquitte avec un talent certain. Le timbre exposé demeure assez proche des productions passées, même s'il demeurera quelque peu en déca pour ce qui est des sentiments véhiculés. Les lignes de chant se montrent certes agressives comme il se doit, le bonhomme bannissant fort heureusement tout véritable chant clair de son langage (si l'on ne considère pas les couplets aux intonations malsaines de « Firedealer » en tant que tel), mais n'amènent pas vraiment cette incroyable intensité avec laquelle Grady Avenell avait pris l'habitude d'habiller les instrumentations de ses trois virulents camarades. Le chant ne s'avère pas mauvais pour autant, loin de là, et conserve en grande partie toute la noirceur enivrante présentée par les anciens travaux de Will Haven. Jeff Jaworski sait moduler ses lignes vocales à merveille en intégrant quelques passades moins virulentes (« Caviar With Maths », peut-être le titre le plus mélodique jamais composé par le groupe, les couplets presque parlés de « Skinner »), évitant d'installer chez l'auditeur la lassitude par l'emploi d'un ton monocorde. Bien que visiblement moins habité par ses paroles et moins emprunt à livrer ses tripes sur la table, le hurleur en chef use et abuse en contrepartie de tirades arrachées qui se marient parfaitement aux tissus musicaux composés par la section instrumentale.
Car de ce côté là, The Hierophant n'amène guère de grand changement, si ce n'est une dimension mélodique légèrement plus développée. Will Haven a en effet mis une petite cuillerée d'eau dans une soupe hardcore auparavant ultra-compacte (les guitares acoustiques de sortie pour un « Dark Sun Sets » instrumental de conclusion), couchant sur bande son disque le plus accessible, même s'il ne demeure néanmoins aucunement adressé à un large public. Les incartades ambiancées permettant à l'auditeur de reprendre une bouffée d'air frais sont plus nombreuses, mais les instrumentations de The Hierophant conservent toute leur efficacité et surtout l'ambiance sombre et torturée, presque crasseuse, dont Will Haven s'est fait le spécialiste. Ces treize nouvelles compositions se montrent toujours aussi oppressantes, le groupe employant pour ce faire une série de riffs percutants ainsi que de rythmiques ternaires lourdes et martelées sans modération, amenant bien souvent au sein des tessitures instrumentales une répétitivité très marquée et écrasante (le fantastique « Sammy Davis Jr's One Good Eye », déjà dévoilé en live avec Grady Avenell au chant). Les instruments se fondent dans un ensemble en béton armé, un tout redoutable d'efficacité faisant preuve d'une violence épileptique qui évite la technicité inutile en faveur d'un marteau-pilonnage de rigueur.
Malgré le changement d'une composante importante, ce cinquième album de Will Haven ne s'apparente en rien à une mascarade et n'entache aucunement une discographie jusque ici sans faute. On lui préférera toujours Carpe Diem, mais l'association de ces quatre gaillards pourrait bien faire d'encore plus conséquents ravages par la suite. Un excellent nouvel effort.
.: Tracklist :.
01. Grey Sky At Night
02. King’s Cross
03. Helena
04. Hierophant
05. Caviar With Maths
06. Landing On Ice
07. Skinner
08. Handlebars To Freedom
09. A Day Without Speaking
10. Singing In Solitary
11. Sammy Davis Jr’s One Good Eye
12. Firedealer
13. Dark Sun Sets