Certains artistes mettent toute une vie à accoucher d’un disque que l’on qualifiera de chef d’œuvre intemporel. Chez les membres de Tool, il n’y aura eu aucun tour d’échauffement. Pas de raté, pas même d’album ne serait-ce qu’un tant soit peu bancal. Summum de virtuosité, l’édifice Aenima proposé par Tool en 1996 paraissait indétrônable. Cinq années auront été nécessaire à l’aboutissement d’un Lateralus qui parvient pourtant aisément à se hisser au même niveau, si ce n’est encore plus haut.
S’engager d’un l’écoute d’un album de Tool s’avère toujours être une démarche aussi complexe. Mais qui veut bien s’y aventurer n’en ressort que rarement indemne. Bien que difficile à cerner aux premières écoutes, l’univers des quatre génies les plus subversifs du rock américain révèle petit à petit des tréfonds passionnants et d’une indescriptible richesse. Pourtant, Lateralus utilise à la base les mêmes mécanismes qu’un Aenima qui avait propulsé Tool au firmament des formations les plus respectées de tous les temps. Mais peut-on seulement demander à un musicien de pousser ses expérimentions sonores toujours plus loin lorsque celui-ci à déjà atteint quelques années plus tôt les confins de l’excellence ? Difficile, et Tool remplit les mêmes objectifs que ceux fixés cinq ans auparavant avec treize morceaux absolument incomparables à ce qu’il nous ait d’ordinaire donné d’écouter. La musique du quatuor reste avant tout unique et inimitable, tant dans sa construction si parfaitement ciselée et réfléchie que dans le talent dont chaque musicien sait faire preuve afin de dresser des horizons inconnus et enivrants. Chaque son, oscillant entre pureté cristalline et décharge d’électricité terrassante, semble résonner dans un infini inexploré, redéfinissant à sa manière les frontières de paysages ou la gravité n’aurait pas lieu d’être (le superbe et planant « The Patient », les sonorités orientales quasiment incongrues d’un surprenant « Reflection » par ailleurs satiné de nappes électroniques). Une invitation à l’évasion, voyage subjuguant et marqué par une avalanche de détails qui, aussi nombreux et divers soit-ils, fusionnent afin d’obtenir un tout fantastiquement prenant et cohérent.
Lateralus pourrait être appréhendé un ultime témoignage de fin du monde, tantôt désespéré et baignée d’une électricité oppressante (la mécanique grinçante de « Triad », les élucubrations stridentes de « Faaip De Oiad »), tantôt ouvert vers des horizons desquels la lumière filtre en quantité réduite. Inutile de s’échiner à chercher, Lateralus ne souffre simplement d’aucun défaut. Dans cet ultime périple des sensations, les musiciens emportent leur auditeur dans diverses phases de transe rythmées de mélodies sublimes, embardées subtilement embrumées de la voix d’un Maynard James Keenan perché à mille lieux du chant d’un simple mortel (le remarquable enchaînement « Parabol » / « Parabola »). Le frontman habille des instrumentations déjà magnifiquement complexes d’interventions revisitant une incroyablement large palette d’émotions, mutant sans cassure d’un chant susurré et étouffé à un hurlement arraché d’une incomparable puissance (la conclusion explosive d’un « Lateralis » s’achevant dans un chaos bluffant). Maynard James Keenan entre définitivement dans une caste très restreinte, celle des artistes capable d’infiniment décliner le noir. Magique.
Lateralus est unique dans le sens ou chaque auditeur abordera l’édifice à sa manière, puisant de ci et là les nombreux éléments qui finiront par le transporter vers un autre dimension. Magistral. Pouvait-on s’attendre à un résultat autre de la part d’un groupe qui n’a définitivement plus rien à prouver ? Indiscutablement, non.
.: Tracklist :.
01. The Grudge
02. Eon Blue Apocalypse
03. The Patient
04. Mantra
05. Schism
06. Parabol
07. Parabola
08. Ticks & Leeches
09. Lateralus
10. Disposition
11. Reflection
12. Triad
13. Faaip De Oiad