Partager quelques moments avec Mass Hysteria est toujours un véritable plaisir. Non content de s’avérer accueillant au possible, le groupe a en effet toujours tenu à aborder son expérience et son histoire avec une franchise rare. L’occasion pour Vacarm de revenir sur les événements et les sorties passées, ainsi que sur la sortie de l’excellent Failles. Interview fleuve et passionnée avec Mouss et Stephan, quelques heures avant leur prestation à la Rock School Barbey de Bordeaux.
BEN : Deux ans après sa sortie, quel regard portez-vous sur Une Somme de Détails ?
Stephan (basse) : Nous en sommes toujours très contents. Le disque nous a permis de retrouver des sensations, sur disque ainsi que sur scène. On nous attendait peut-être d’avantage que sur l’album précédent. On était plus à l’aise dans le style abordé, qui est plus proche de nos origines, et aujourd’hui, on en récolte les fruits avec cette nouvelle tournée, sur laquelle le public répond présent de manière encore plus conséquente. Je pense que les gens sont heureux de nous voir revenir à nos fondamentaux, et on constate un brassage assez étonnant. Il y a aussi bien des spectateurs qui nous suivent depuis nos débuts que des personnes beaucoup plus jeunes.
Avez-vous le sentiment que le public s’est d’avantage renouvelé avec Une Somme de Détails qu’avec ses deux prédécesseurs ?
Mouss (chant) : Je pense. C’est comme si nous avions remis la chaudière en route. Aujourd’hui on revient avec Failles, et l’impact va encore crescendo par rapport au précédent. L’accueil dans les salles est très bon, c’est un peu une renaissance. Sur les derniers concerts, c’était un peu similaire à la grande époque de Contraddiction. Avec De Cercle en Cercle et l’éponyme, c’était un peu différent. Depuis le début de cette tournée 2009, il y a comme un regain d’intensité et d’électricité dans l’air.
Stephan : C’est imputable aux morceaux. Nous étions sur d’autres atmosphères avant Une Somme de Détails, les concerts étaient donc différents.
Des albums comme De Cercle en Cercle et Mass Hysteria avaient demandés presque trois années de travail. Aujourd’hui, vous semblez aussi écrire plus rapidement, peut-être plus spontanément…
Mouss : Il faut remettre l’album noir dans son contexte. Nous sortions de sept ans de tournées, trois albums, un changement de maison de disques. Nous avions envie de nous poser, d'ou la création d'un certaine déliquescence au sein de Mass Hysteria. On ne savait pas trop vers quoi aller dans l’écriture de notre musique.
Stephan : On a eu du mal, on a essayés de changer de studio…
Mouss : Au final, c’est un album qui a été fait aux forceps. Yann, qui est le musicien le plus metal de Mass Hysteria, ne s’y retrouvait pas trop, il n’a pas beaucoup écrit. C’est surtout Olivier, qui avait une personnalité plus pop, qui a composé pour ce disque, qui est de ce fait beaucoup plus calme.
Stephan : Nous avons également été confrontés à des changements dans nos vies personnelles, nous n’avions pas vraiment la tête dans le guidon. On s’est un peu éparpillés, et l’album a été au final composé par séquences plutôt que comme un tout cohérent. Ce n’est pas un hasard s’il n’y a pas de véritable artwork, ni même de nom.
Mouss : D’ailleurs, j’ai eu un véritable problème d’écriture sur ce disque. C’est Miossec qui m’a aidé a composer une bonne moitié de l’album, ca explique aussi sa couleur et son orientation. Mais cet éponyme reflète vraiment notre état d’esprit de l’époque. C’était difficile et… Noir. Du coup nous avons fait la tournée avec ce disque, et notamment quelques erreurs, dont le Europe 2 Campus Tour. C’était l’horreur, il pleuvait tout le temps, on a beaucoup abusés avec l’alcool. J’ai détesté cette période, on jouait avec Vegastar et Melatonine, les salles n’étaient qu’à moitié pleine. J’en garde vraiment un souvenir plus que mitigé, on jouait et on faisait notre travail, mais dans le tour-bus c’était presque punk. C’était un peu comme… De l’auto-destruction. Nous n’étions pas en phase à ce moment là. Je me souviens que Raphaël et Stephan y aillaient à reculons, c’était un cauchemar pour eux.
Ce n’était de plus pas votre public.
C’est un peu Wagram qui nous a poussés sur cette tournée, pour eux c’était une bonne exposition pour Mass Hysteria. Nous n'étions vraiment pas chauds, mais ils nous avaient assurés que ca aiderait à travailler l’album au niveau de la promotion. On a fait le compromis.
Stephan : On ne pouvait jouer qu’une heure, les gens étaient déçus.
Le Europe 2 Campus Tour vous a également empêchés de faire votre « véritable » tournée par la suite…
Clairement. Nous étions déjà passés dans les principales grosses villes, en plus l’affluence n’a pas été fantastique, donc c’était difficile pour nous d’être reprogrammés par la suite sur une série de concerts plus standards.
Mouss : L’album noir a été vraiment laborieux. On a resserrés les boulons pour le suivant. Mais est-ce que ca a été plus facile d’écrire des disques comme Une Somme de Détails et Failles ? Oui et non. Nous étions plus inspirés, mais on retrouve les mêmes complications, il y a la même quantité de travail pour arriver au résultat final. Mais quand tu es en phase avec ce que tu fais, c’est plus agréable, un peu plus rapide. C’est plus naturel, même s’il y a toujours des questionnements au moment de l’écriture. Pour « L’Archipel des Pensées », nous avons par exemple longuement hésités, retravaillés le titre… On ne savait pas trop quoi en faire à l’origine, s’il fallait le mettre en bonus ou non… Tu es toujours plus ou moins enclin au doute.
Stephan : Même constat pour « Plus qu’aucune Mer », personne n’était convaincu par le riff ni la première maquette du morceau.
C’est pourtant l’un des meilleurs titres de l’album.
Mouss : Il faudrait que tu écoutes la version démo de la chanson. En toute franchise, tu ne miserais pas un paquet de cacahuètes sur ce morceau (rires).
Les chansons ont donc beaucoup progressées entre les versions maquettes et l’enregistrement définitif ?
Enormément. Pour Stephan et moi-même, le titre allait de toute façon dégager.
Stephan : Yann a pourtant insisté. Il arrêtait pas de nous répéter « mais non les gars, vous l’avez pas en tête, vous allez voir, faites moi confiance » !
Mouss : C’est un trait de caractère fort chez Yann. Il a une idée très précise, il n’arrive pas forcément à la retranscrire avec les moyens mis à sa disposition sur les maquettes, mais quand il enregistre en studio ça sonne… Wow ! Sur la démo, je n’avais rien posé, je n’avais pas l’ombre d’une idée.
Stephan : De même, je ne l’avais absolument pas travaillé. Pour moi et comme pour Mouss, c’était direction corbeille sans autre forme de jugement (rires) !
Mouss : Comble de l’ironie, le texte de « Plus qu’aucune mer » avait été écrit pendant l’album noir, mais je ne l’avais à l’époque pas utilisé. Il y a d’ailleurs une influence un peu Miossec dessus, il était resté dans un coin. Je l’avais d’ailleurs oublié, et je l’ai arrangé après avoir été scotché par l’enregistrement studio du titre. Pour te dire, le titre faisait presque rock années 80 à la base, on s’imaginait en train de le jouer d’une façon un peu kitch, à la Scorpions ! Là il sonne bien metal, entre la version démo et l’enregistrement studio, c’est presque le jour et la nuit.
Est-ce difficile de ne pas composer un Contraddiction bis quand on effectue un tel retour aux origines ?
On fait attention, mais certaines choses nous sont propres, c’est difficile de passer à côté. C’est un peu notre touche. On a laissés des éléments typiquement « Mass Hysteria » dans cet album, nous n’avons jamais essayés de gommer, ça nous ressemble et nous sommes décomplexés. A l’époque de l’album De Cercle en Cercle, on avait justement cette peur de faire un Contraddiction bis, qu’on nous réduise uniquement a ça. Du coup, nous avions composés un disque très différent, jusqu’à se contredire sur certains aspects. Aujourd’hui, on se pose plus vraiment la question. Si on fait un morceau qui rappelle Contraddiction, c’est parce que c’est notre style, notre sensibilité musicale. Il y a beaucoup de groupes que j’aime, qui ont fait des choses différentes que j’ai apprécié, mais au fond tu rêves malgré tout qu’ils reviennent au son de leurs débuts. Qui n’a jamais espéré que Rage Against The Machine compose un disque dans la veine de son premier opus ? Cela ne veut pas forcément dire que l’on va être limité à écrire une simple copie ou que l’on va tomber dans le simplisme, il faut que le tout reste artistiquement défendable. Aujourd’hui, on garde notre style et on avance.
Failles témoigne cependant d’une évolution dans l’écriture, certains riffs sont presque Thrashs dans la forme…
Yann voulait vraiment un disque metal. Il a amené une vingtaine de riffs, Nico en a aussi apportés quelques uns de son côté, notamment celui de « L’Archipel des Pensées ». Mais le fait est que Yann écoute en ce moment des groupes ultra-bourrins, comme Necrophagist. Il passe du metal hyper technique à… Benjamin Biolay, mais il était vraiment dans une phase très technique. Il s’est gavé de musique extrême, et au final ca se ressent sur l’album. Du coup, on a du polir certaines choses !
Stephan : On impose et on définit ensemble le tempo, étant donné qu’on joue avec des machines. Quand Yann arrivait avec son riff, on restait un peu bouche bée avant de lui demander « Euh… Tu peux nous le jouer un peu moins rapidement là ? » (rires).
Mouss : Même Raphaël, qui est pourtant un énorme fan de metal, demandait à ce qu’on baisse un peu. C’était assez amusant parce que Yann voulait vraiment envoyer à fond, et que Raphaël essayait par petites touches de faire baisser la cadence.
Le prochain album de Mass Hysteria sera Grind (rires) !
Stephan : Peut-être que Yann va monter un projet parallèle sur-bourrin (rires).
Nico avait intégré Mass Hysteria alors que la composition d’Une Somme de Détails était déjà bien avancée. Quelle a été son implication sur Failles ?
Mouss : Même si Yann reste le compositeur principal, Nico a amené beaucoup d’idées sur le disque. Et il aurait pu aller plus loin si on l’avait poussé un peu plus. Je pense qu’il sera encore plus présent sur la composition du prochain album. Mais au delà de l’écriture, il a vraiment assuré, notamment au niveau des prises guitares, puisqu’il s’est aussi chargé des parties écrites par Yann. Nico s’est vraiment très bien fondu dans Mass Hysteria.
Les samples avaient jusque ici été composés par Olivier, malgré son départ du groupe. Pouvez-vous me présenter la personne avec qui vous avez collaborés pour Failles ?
Stephan : Julien a vraiment joué un rôle d’arrangeur sur ce disque. Nous avions les morceaux et il a travaillé dessus. Par contre il n’était pas avec nous en répétitions, il a vraiment disposés de titres terminés, même si ca n’était pas les versions définitives.
Mouss : Julien avait un groupe de néo-metal du nom de NFZ, ils avaient joués sur notre tournée en 2001 ou 2002. Actuellement il fait du DJying dans des formations électro et drum’n’bass, il a plusieurs projets en cours. C’est quelqu’un qui est assez occupé, il est touche à tout. Il a notamment collaboré à des musiques de films…
Stephan : Il a fait quelques samples pour Sinclair également.
Vous aviez des idées très précises au niveau des samples ?
Pas du tout, il a eu carte blanche. Le seul souhait, c’était que cela soit cohérent par rapport à notre passif. On lui a fait un peu écouter nos anciens albums, on voulait quelque chose dans le même ordre d’idée, mais il a vraiment travaillé selon ses envies et sa sensibilité. On ne voulait pas radicalement changer l’application des machines. C’était aussi intéressant d’avoir un regard extérieur, on lui a demandé ce qu’il pensait être le plus opportun à ce niveau. Yann était également énormément avec lui en studio pour travailler sur ce côté électronique.
Mouss : Son travail nous a également apporté des idées, nous avons formulés quelques demandes, des rajouts de percus…C’était une collaboration intéressante, même si on mis un peu moins de machines pour ce disque.
Stephan : Elles sont aussi un peu en retrait parce que le producteur du disque n’aime pas ça ! Il nous coupait tout et nous disait « les mecs, tout est là » (rires).
Mouss : C’est vrai que nous avons eu de longues discussions concernant le niveau des machines dans le mix final (rires).
Enregistrer de nouveau avec Fred Duquesne, c’était quelque chose de rassurant ?
Stephan : Oui. On se connaît assez pour se dire clairement ce qui va et ce qui ne va pas.
Mouss : Il y a une véritable franchise entre nous. Au final, on perd moins de temps en travaillant avec quelqu’un qu’on connaît aussi bien que Fred.
Mass Hysteria a toujours été un groupe très positif dans le propos. Avec un titre comme « World On Fire », on vous retrouve pourtant plus critique, plus engagé. Comment ont été abordés les textes ?
Le processus d’écriture n’a pas changé pour moi. J’écris tout le temps, dès que j’ai une idée. Parfois j’ai des rimes qui viennent spontanément, des phrases clés, voire même des refrains ou des couplets entiers. J’ai des tonnes de cahiers griffonnés de notes sur lesquelles je suis susceptibles de rebondir par la suite. J’alimente, je barre, j’ajoute sur les côtés, en dessous… Et au final j’arrive à des textes utilisables, que je vais greffer sur une instrumentation. Parfois je pars un peu dans tous les sens, j’ai même du mal à retrouver mon texte après coup tellement le brouillon est illisible à force de rajouts. Tout ca pour dire que je n’ai jamais véritablement d’idée claire de ce dont va pouvoir parler un album avant que l’on attaque l’écriture à proprement parler. La poésie m’inspire aussi, j’en lit énormément et j’arrive à la matérialiser en musique. Au final il y a des choses qui sont écrites depuis des mois, mais que je vais retoucher, et qui vont finalement s’orienter vers un horizon tout autre.
Est-ce que le fait que la musique soit plus « dure » t’a poussé à écrire des paroles plus virulentes ?
Peut-être. Mais parallèlement, j’ai quand même réussi à poser un texte d’amour sur « Plus qu’aucune Mer ». Je n’y croyait pas à l’origine, mais les paroles collent plutôt bien. Pareil pour « L’Archipel des Pensées », je me suis laissé happer par le morceau. Mais c’est vrai qu’un titre comme « World On Fire » encourageait vraiment à écrire des paroles tranchantes.
La scène metal a beaucoup changée depuis vos débuts. Quelle vision portez-vous sur cette dernière aujourd’hui ?
C’est malheureusement une scène en péril, notamment par le fait du téléchargement illégal. Malgré tout, le metal Français arrive à se maintenir. Un groupe comme Gojira parvient par exemple à s’exporter de la plus belle des manières.
C’est aussi un cas relativement isolé.
C’est sûr, mais se statut international fait quand même du bien à la scène Française. C’est signe que c’est possible, c’est une porte ouverte. Dagoba aussi fonctionne relativement bien à l’étranger. Après pour ceux qui n’ont pas cette chance, ou même la notre puisque nous n’avons vraiment pas à nous plaindre, c’est difficile. Pour notre part, nous arrivons encore à faire les mêmes tournées qu’avant, malgré l’effondrement des chiffres de vente.
La crise du disque n’a donc pas véritablement rendu la mise en place de vos dates plus difficile ?
Si. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c’est quand même nettement plus dur de vivre de notre musique. On était vraiment dans des situations financières précaires lorsque l’on s’est engagés sur cette tournée. Certaines personnes dans Mass Hysteria on repris une activité parallèle pour conserver le statut d’intermittents, ils bossent sur des plateaux télé ainsi que sur des concerts, au Zénith ou à Bercy. Ce n’est pas une activité régulière, mais on a maintenant besoin de cachets en dehors de Mass Hysteria pour pouvoir continuer.
Vous êtes l’un des derniers résistants des années 90…
Avec Lofofora en effet.
Ce n’est pas effrayant de voir les formations de la génération qui a suivie Mass Hysteria s’éteindre les unes après les autres ?
Si. Certains groupes s’arrêtent parce que l’histoire se terminent, mais beaucoup mettent la clé sous la porte parce qu’ils n’ont plus le choix. A l’époque ils vendaient 15 000, 20 000 disques, aujourd’hui c’est 5000. Avec de tels chiffres, tu ne peux plus rien faire. D’ailleurs, combien reste-t-il de magazines rock aujourd’hui ? Trois ou quatre, mais pas plus. Avant ils fleurissaient. Pareil en ce qui concerne les émissions rock à la radio, il n’y a rien pour défendre cette musique en France. Les nouveaux groupes émergeants n’ont pas le choix, ils font aujourd’hui ça par pure passion, il n’y a plus d’argent à gagner. L’offre va être moins conséquente, j’espère qu’on trouvera des compromis, peut-être que les groupes pourront vendre directement à leur public… S’il y a encore un public pour acheter directement auprès des musiciens. Je pense que les nouveaux groupes vont bien galérer, mais nous allons peut-être arriver à une scène vraiment authentique, de qualité.
Merci à Mouss et Stephan, ainsi qu’à Pierre chez At(h)ome.