Me voici à Briouze, première interview de la journée sous un Soleil normand bien éveillé. La journée s'annonce bien, les groupes sont de bonne humeur et les festivaliers arrivent dès le début de l'après midi en masse. Cette nouvelle édition du festival Art Sonic nous promet de bien jolies choses. Attention, David et Biloul sont face à moi pour 40minutes de brainstorming…
Cap'tain Planet : Après cette longue tournée, la fatigue ne commence-t-elle pas à se faire ressentir ?
David : Non je ne pense pas sinon nous aurions eu au moins la décence de nous arrêter. L'envie de jouer est là plus que jamais car on vit des choses géniales en ce moment. Après un an et demi d'absence en France, on revient avec un nouvel album en poche et partout où l'on va le public nous accueille à bras ouverts. C'est une bonne surprise et ça passe au-dessus de la fatigue.
C : Appréhendez-vous encore la scène malgré tant de concerts déjà joués ?
D : Quasiment tout le temps. C'est sain d'avoir le trac, ça évite la routine. C'est bon signe.
C : Y a-t-il un public adéquat pour Babylon circus ?
D : Bien sûr que non, de toutes façons tu vois bien qu'il y a personne qui vient nous voir et de toutes façons on a du son pourri ! (rires) (NB : il montre la fosse dans laquelle il n'y a personne puisqu'il n'est que 14h, heure des balances). Non il n'y en a pas, le public n'est pas ciblé. On s'aperçoit que de nombreuses générations sont mélangées lorsqu'on va jouer dans des fêtes de quartiers, des galas ou tout simplement dans des salles de concerts habituelles. Il y a aussi bien des punks que des gars avec des dreads locks, des jeunes qui fument un pétard ou des vieux accrochés au bar… Ce qui fait plaisir c'est que chacun passe une bonne soirée. Ce qu'on veut c'est emmener un maximum de gens dans notre voyage.
C : Pouvez-vous définir votre style de musique ?
Biloul : Les autres parfois arrivent à le définir mais ils se contredisent souvent.
D : C'est bien car ça veut dire qu'on a réussi à les perdre !
B : On fait appel à des cultures musicales différentes qu'on a intégrées petit à petit. On est un groupe dans lequel il y a une diversité très vaste. Il y a des gens qui viennent du jazz, du classique, de la techno, du punk, … On s'est retrouvé autour d'un espèce de ska des années 80-90 avec des groupes comme La Mano Negra, les Négresses Vertes et un peu de chanson française. On ne réfléchi pas aux styles musicaux, on a juste envie de raconter des histoires. On se considère comme des conteurs et on cherche à retrouver certaines émotions. C'est un peu comme des épices qui compose notre cuisine, un seul épice c'est trop restreint.
C : Peut-on vous comparer à une troupe humaniste et épicurienne ?
B : Epicurienne, je pense ! (rires).
D : Ca c'est sûr, y a pas de doutes !
B : Humaniste aussi …
D : Il y a beaucoup d'amour dans Babylon Circus, autant dans le rapport à la musique qu'au public. La donne humaine, collective, communautaire, tribale est essentielle. Ce qui nous a motivé avant tout c'est de voyager entre copains et la musique est le meilleur des passeports pour faire ça. C'est le langage universel par excellence. Dans nos textes il est aussi beaucoup question de l'être humain et de sa condition. La donne sociale est importante. Donc oui, on peut nous considérer comme une troupe humaniste et épicurienne.
B : C'est pas mal, ça me plait.
D : Oui moi aussi … C'est rare …
B : D'habitude on dit un groupe de ska … (rires).
C : Comment se passe un live de Babylon circus ?
D : Bah, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ça car à part en vidéo je n'en ai jamais vu ! C'est indéfinissable car ça repose sur des choses intérieures, une sorte de fluide qui nous traverse. Il est difficile à expliquer pourquoi on a envie d'être ensemble et pourquoi ça explose au moment où on monte sur scène. C'est comme quand tu es gamin et qu'à 10h tu entends la cloche de la récré qui sonne.
B : C'est une rencontre qui a chaque fois est différente avec un public qui l'est lui aussi, c'est ce qui évite la routine.
C : Quelles expériences tirez-vous de vos voyages dans tant de pays différents ?
D : On a surtout enrichi notre culture personnelle. C'est vraiment le meilleur passeport international. On est allé en Syrie, c'est là qu'on a écrit la majeure partie de « Dances of resistance » lors d'une résidence et ça a été l'occasion de se plonger dans une atmosphère différente avec un régime dictatorial islamique. On a fait des rencontres avec pleins de gens et on a pu donner un concert à Damas avec une chanteuse traditionnelle, des percussionnistes, etc…
B : Ca enrichit aussi notre façon de parler aux gens car tu arrives dans un pays où on ne parle ni l'anglais ni le français donc il n'y a plus la parole pour communiquer. Ca va se jouer sur pleins d'autres choses : l'énergie, les émotions, les grimaces, les mouvements du corps, etc… A chaque fois ça réussissait et à chaque fois on a réussi à emmener les gens dans un voyage sans leur expliquer concrètement où ils allaient. Tout se faisait pas émotion et par image. C'est quelque chose qu'on ramène ensuite en France et à chaque fois on a enrichit un petit peu notre vocabulaire. C'est la même chose lorsque qu'on rencontre un comédien, un clown, un danseur, etc… Ce sont des clés en plus pour parler aux gens et provoquer du jeu en concert.
C : Peut-on vous comparer aux Bérurier Noir dans votre thématique du cirque ?
B : Eh bien c'est un honneur …
D : C'est très élogieux, merci. Tu n'es pas loin de la vérité. Au début du groupe il y avait trois amis comédiens qui étaient avec nous et qu'on appelait les clowns. C'était très influencé Bérurier Noir. C'était délirant, y avait du feu, ça crachait, etc… Les bérus nous on influencé sur l'aspect visuel du cirque déglingué, fourre-tout, cirque trash cyber punk.
C : Pourquoi être attiré par le cirque ?
D : Je sais pas … y en a qui sont attirés par le macramé, nous c'était par le cirque ! (rires)
B : En fait dans les années 90, il y a eu beaucoup de ponts entre le cirque et la musique. Entre le rock et le théâtre de rue. Pour nous c'est un tout : ce n'est pas la musique d'un côté et le cirque de l'autre. Quand on était plus jeune et même avant, on traînait beaucoup dans des festivals où il y avait des troupes qui faisaient tout : elles montaient le chapiteau et ensuite elles jouaient. Ca commençait à 17h avec les gamins et à finissait à 2h avec de la techno. Il y avait tout les gens du quartier qui se rendaient là. Tout fait partie intégrante de notre art. On se sent obligé de faire le pont entre les arts de rue et la musique.
C : Pour vous est-ce que la musique est un art populaire ou est ce que c'est une matière à travailler pendant des années avant d'obtenir réellement quelque chose ?
D&B : C'est le deux …
D : Je vais nous prendre en exemple. Dans le groupe il y en a qui ont des grands diplômes de jazz et de classique et qui sont passés par pas mal de conservatoires alors qu'il y en a (comme moi) qui ont apprit en jouant dans la rue. C'est de là que vient notre forte influence pour les arts populaires de rue. L'élitisme n'existe pas selon moi, pour donner un exemple les punks l'ont très bien démontré dans les années 70 car à partir du moment où tu connais 3 accords et que tu as quelque chose à dire tu peux jouer de la musique.
C : Comment percevez-vous la musique un peu plus sombre d'autres groupes (comme Aqme qui joue ce soir) ?
D : Ca dépend qui la joue et de ce que le groupe envoie. Je n'ai pas d'a priori sur les différents styles de musique tant que les groupes arrivent à faire passer une émotion forte. Je n'écoute pas ça tous les jours au petit déjeuner mais bon … je n'ai pas d'a priori.
B : Nous aussi on arrive à faire passer des ambiances Dark. On aime bien le sucré-salé. Nos concerts peuvent vite passer du soleil et de la joie à un côté plus urbain et plus froid.
D : Ca dépend aussi de l'histoire qu'on raconte. Par exemple, « Lost in the jungle », qui parle de violence urbaine, demandait une ambiance plus dure.
C : Comment est née cette chanson ?
D : La musique est partie d'un beuf. C'était quelques accords qui tournaient continuellement dans le local de répétition.
B : Pour les paroles j'ai juste voulu appuyer un peu sur les gens qui sont le plus souvent accusés de violence : ceux qui cassent les voitures, qui brûlent les poubelles, etc… J'ai voulu parler de la violence que ces gens là recevaient. Je la trouve parfois plus destructrice que celle qu'ils provoquent.
D : Une voiture c'est juste spectaculaire.
B : Je suis donc parti de l'expression « perdu dans la jungle » puis on a ajouté des images faisant référence au livre de la jungle. On peu raconter une histoire en ajoutant de la poésie et des choses qui semblent opposées.
C : Est-ce que le titre « Dances of resistance » annonce un album plus nuancé : à la fois festif et énervé ?
D : Dans le titre il y a effectivement beaucoup de choses qui « résument » l'album. « Dances of resistance » est né dans une manifestation à Barcelone où il y avait deux millions de personnes qui hurlaient à la grève et à la démission du premier ministre. Pourtant, dans cette manifestation pour se donner du courage il y avait des instruments et de la musique. Il y avait du Soleil et des sourires. Le titre vient de ces gens qui chantaient, dansaient, souriaient tout en hurlant.
C : Est-ce que dans cet album vous avez fait apparaître plus d'influence que par le passé ?
B : En fait, dans le précédent album on avait ouvert beaucoup de portes, on n'a fait que les enfoncer un peu plus. La diversité est un peu l'image favorite du groupe et c'est au service du voyage. On ne cherche pas à faire varier notre musique uniquement pour la faire varier. On cherche à construire quelque chose.
D : En plus le groupe s'est enrichi au fur et à mesure, il y a plus de musiciens. On a réussi sur le nouvel album à jongler avec tous ces sons et l'oreille est surprise et accrochée.
C : Pourquoi ce retour aux paroles en anglais ?
D : Avec tous ces voyages on en est arrivé à manier presque plus la langue de Shakespeare que celle de Molière. Ces chansons sont des carnets de voyages et vu qu'on parlait parfois pendant plus d'un mois uniquement en anglais ou en allemand on en est arrivé à penser en anglais. C'est ces mots là qui nous sont venus. Si un jour on apprend le Croate, on chantera peut-être en Croate.
C : En comparatif quel album vous a posé le plus de problèmes ?
D : Je ne saurais pas répondre parce que ça nous pose toujours des problèmes différents. Plus tu apprends et plus tu as à en apprendre. En toute logique j'ai envie de te dire que c'était le premier album. On était vierges à ce moment là … enfin je parle au niveau de nos connaissances musicales (rires).
B : Scoop !!!
D : Scoop, effectivement ce n'est pas la musique que j'ai appris en premier.
C : On va partir dans l'imaginaire désormais, pour vous, c'est quoi le rêve ?
D : Si c'est le rêve en général, c'est quelque chose sans limite, c'est la liberté de penser comme dirait l'ami Florent Pani ! (rires). Notre rêve à nous c'est de faire le tour du monde, notre premier rêve à été de monter un groupe de rock quand on était accrochés aux barrières en disant « ouah, il a une belle guitare ». On vit notre passion et ce n'est pas donné à tout le monde. On se sent un peu privilégiés mais plus tu réalises tes rêves et plus ceux-ci deviennent gigantesques. Pour ce qui est du deuxième rêve (voyager autour du monde), on en a déjà réalisé une partie. L'important c'est d'essayer de se rapprocher le plus possible de son rêve.
C : Si vous aviez tous les moyens possibles et inimaginables pour organiser un de vos concerts, à quoi ressemblerait-il ?
D : On a un autre rêve dont on ne t'a pas parlé, en fait c'est celui de monter un festival itinérant comme un cirque. En un temps il crée un lieu et une rencontre. Ce festival ferait place à différentes disciplines artistiques (concerts, arts de rue, etc…) et se déplacerait dans d'autres pays. Il faudrait un partenariat avec les institutions locales pour pouvoir faire vivre une ville, un village ou un quartier pendant quelques jours de façon gratuite. Chacun pourrait venir poser sa pierre à l'édifice.
C : En enlevant le conditionnel de ma question, est ce que ça peut se faire ?
D : Oui, je le pense, mais il faut du temps et de l'argent. On a déjà l'envie et les idées…
C : Si vous pouviez faire entendre un message de façon universelle, lequel serait-il ?
D : Tu vois ça peut paraître un peu con « danser les danses de la résistance », mais « dances of resistance » c'est déjà compréhensible par un bonne partie de la planète.
C : La dernière question, stupide de surcroît mais que je pose à chaque artiste que j'interviewe (l'humour est conseillé !) : Préfèrerais-tu que les jeunes filles du premier rang pleurent ou s'évanouissent en vous voyant ?
D : Ni l'un ni l'autre, je n'ai pas envie de faire pleurer ou les faire s'évanouir.
B : On a envie qu'elle sourient …
D : Si elles aiment pleurer … pourquoi pas … tant qu'elles prennent du plaisir !
B : Si elles pleurent de joie, ça va !
Un grand merci à Babylon circus et surtout à l'association Art Sonic qui sort de l'ordinaire !