En préambule du concert de La Phaze à L’Aérogare à Metz ce jeudi 2 décembre, le groupe au complet s’est prêté au jeu de l’interview, jusqu’à se priver de repas avant le concert au profit d’un long entretien. Encore une preuve que le groupe sait se démarquer et mérite toute l’attention qu’on lui porte depuis plusieurs années. C’est parti pour 70 minutes avec une formation hors norme !
Commençons par une question assez simple…Vous avez repris le chemin des concerts en novembre après plus de trois années de silence… Ça fait du bien de revenir à la scène ? Qu’est ce qui vous a le plus manqué ?
Damny : l’humain, les gens, le contact, la scène en soi et tout l’organique, tout le vivant. Parce que quand tu fais des choses dans ton coin, au bout d’un moment c’est quand même très aliénant !
Vous n’aviez pas trop d’appréhension niveau ambiance / relation avec le public ?
Damny : c’est un peu particulier, compte tenu des conditions actuelles. Il y a une attente, oui. On sent bien que les gens sont contents de nous voir et nous on est très heureux de les voir aussi. Mais il y a une difficulté à remplir les salles, parce que les gens ont du mal à revenir, à cause de ces histoires de covid. Personnellement, j’étais tellement content de refaire de la scène, c’est tellement un bonus dans ma vie, que j’ai pas envie de me mettre de pression. C’est une chance de pouvoir le faire. On va pas gâcher notre plaisir une seule minute.
Arnaud : comme tu le disais, il y a 10 jours, on a fait nos premiers concerts de retour, après 10 jours passés ensemble à répéter, parce qu’on habite dans trois pays différents. On ne s’était pas vu tous les trois avec Louis depuis la signature à la maison de disque, c’est barjo quand même ! On était coincés. Les deux premiers concerts, de ce qu’on a vu, les salles étaient pas pleines OK, mais 98% du public danse et s’éclate à donf ! Et ça, c’était un énorme kiff ! Nous, on retrouve aussi ce plaisir, que ce soit en répèt, en jouant les anciens morceaux ou avec les nouveaux. On est content de pouvoir enfin défendre le nouvel album. Y a une alchimie, le set est varié, il y a des vagues, il y a 18 ans de carrière qui sont condensés dans ce set.
Speaker Louis, tu étais initialement très fan de La Phaze, tu les avais contactés pour jouer avec eux au moment de leur séparation et tu as finalement intégré le groupe par la suite. Comment ça se passe d’intégrer un groupe qui a déjà pas mal d’années de carrière, de souvenirs, d’automatismes ?
Speaker Louis : C’est cool ! C’est un condensé de plusieurs choses. A cause de cette ancienneté, moi j’apprends beaucoup. En termes artistiques, au niveau de la scène…
Damny : des conneries aussi ! (rires)
Arnaud : très bon élève ! (rires)
Speaker Louis (imperturbable) : oui c’est vrai, des bonnes leçons ! Après, musicalement on est tous sur la même longueur d’onde, ça aide. Là, on a construit pas mal de choses ensemble, le nouvel album, le nouveau set. Moi j’adore, c’est un énorme kiff. Il y a eu beaucoup de taff pour rattraper le retard, apprendre les nouveaux morceaux…
Damny : et trouver ta place !
Speaker Louis : en tout cas, c’est quelque chose qui m’apporte beaucoup, dans lequel je me sens très confortable, qui m’est très naturel. C’était absolument pas stressant pour moi. Ça aurait pu l’être, mais c’est tellement excitant d’être à nouveau là à jouer de la musique devant des vrais gens, que ça éclipse toute forme d’angoisse. J’adore !
Justement, vous précisez que vous ne vous êtes pas trop vus durant cette longue période. Damny et Louis, vous avez notamment proposé quelques sets live sur Facebook pendant les confinements, mais au-delà de ces interludes, est-ce que ça a changé quelque chose dans votre façon de travailler ? Et de dialoguer avec votre communauté ?
Damny : on a gardé un contact assez régulier entre nous, qui a maintenu l’énergie. Pendant la période, tu peux vite te retrouver à jeter l’éponge, passez à autre chose et te dire qu’il n’y a plus d’envie. Mais au contraire…
Arnaud : il y avait le nouveau set à préparer, des passages radio à organiser et puis surtout on a fait des covers ! On a fait un petit cover club, où on fait des reprises pur kiff, de Social Distortion (Dont drag me down) à Twenty One Pilots (Ride).
Damny : …et puis on a fini un album accessoirement !
Arnaud : oui, carrément, on a fini un album à distance. Même si on était sur la toute fin.
Damny : enfin pas que, déjà après mon accident on a commencé à bosser à distance.
Speaker louis : oui c’est clair. Ce qui est bien c’est que vu qu’on a une formation très électronique, y a quand même beaucoup de taff qui peut être fait à distance. Autant pour les répétitions, qu’on pratiquait chacun de notre côté, mais aussi pour la composition et la production. Bon c’est pas pareil que de le faire en physique, mais ça marchait quand même.
Damny : ça implique quand même une envie et une direction commune. Travailler de son côté, sans synergie de groupe, tu peux très très vite…
Arnaud : … faire de la merde !
Damny : ouais et ne rien faire ! Parce que tu n’as pas les discussions de groupe. A un moment tu dois faire des choix et ils se font à distance. Alors qu’ensemble, on ne ferait pas la même chose.
Speaker louis : on s’en est rendu compte là en répèt sur des morceaux à jouer en live. On a changé des choses et c’était super excitant de faire des trucs un peu créatifs. Et surtout de le faire en direct plutôt qu’à distance. Y a des trucs qui nous viennent, c’est plus spontané.
Damny : moi je reste convaincu que c’est une bonne expérience mais ça a ses limites.
Louis : on a tiré notre épingle du jeu de la situation mais…c’est pas la meilleure situation !
Arnaud : ça décuple le plaisir de retourner sur scène ! Après, si tu regardes la situation aujourd’hui, on est en pleine cinquième vague, on flippe grave, pour certains on est au contact des gamins, les conjoints, on flippe grave. Je touche du bois pour qu’on finisse la tournée !
Damny : moi je flippe pas !
Speaker Louis : il faut trouver le juste milieu entre la prudence et la paranoïa !
Damny : il faut se faire confiance, aussi. Je dis pas qu’on peut pas avoir un point d’arrêt parce que l’un d’entre nous choppe une merde, mais il faut se faire confiance et vivre l’instant. Se projeter dans le fait que demain on pourra pu faire de dates, c’est ce qui pend au nez de tout le monde. Mais c’est comme ça !
Complètement ! Je reviens sur le sujet des reprises…j’avais vu les deux citées, il y en a d’autres prévues ou déjà enregistrées ?
Arnaud : on en a fait trois ! La troisième c’est un titre de The Interrupters et il y en a une quatrième en cours, qu’on dévoilera après la tournée.
Speaker Louis : c’est une bonne track !
Je reviens côté son sur cet album – Visible(s) – paru en 2020 et que vous n’aviez pas pu encore défendre sur scène. Vous pouvez nous parler de la pochette de votre nouvel album et sa genèse ?
Damny : c’est venu d’une réunion virtuelle entre nous. Les textes étaient déjà passablement écrits, on avait pas mal avancé sur l’album et moi j’avais vu cette photo…
Arnaud : …qui a été prise en Australie.
Damny : c’est ça, où t’as donc ces mecs qui jouent au golf, avec un incendie derrière et les mecs ne se pressent pas, parce qu’ils savent qu’ils sont totalement protégés et qu’ils auront le temps de se rapatrier dans leur belle villa avant que la catastrophe ne les touche. Enfin, c’est le sentiment que ça donne. J’avais donc proposé ça aux gars, on en a parlé, on s’est dit « tiens, c’est pas une mauvaise idée par rapport à ce qu’on a envie de dire sur ce disque ». C’est finalement bien représentatif de l’actualité, du moment historique qu’on vit.
Arnaud : c’est un graphiste qui a l’habitude de travailler avec notre label, AT(h)OME. On lui a demandé de réinterpréter cette photo. On est très content du résultat. Cette pochette, je la trouve tellement…bien (rires) ! Elle est puissante, elle agrippe l’œil, le message est hyper strong, elle colle au disque et à l’époque. C’est une super pochette !
Et justement, vis-à-vis du titre, vous disiez dans une autre interview que le titre éponyme n’était pas prévu sur le disque initialement. Qu’est ce qui a motivé ce choix de titre pour l’album en définitive ?
Damny : pour moi c’est une évidence. C’est à dire que, même historiquement, par rapport aux gens qu’on prétend représenter d’une certaine façon, qui nous sont similaires, on se sent porte-parole de toute cette population composée des personnes invisibles. Ce sont ces gens qui ne sont pas représentés dans les grands médias, les gens du local, qu’on croise en asso, qui se démerdent pour monter des concerts dans des lieux comme ça, qui se débrouillent pour faire des concerts de musiques actuelles et je trouvais que c’était important, c’est toujours important de parler de ces gens là, de la dame pipi à l’ouvrier de chez Peugeot. Je pense que c’est au cœur du siècle actuel. C’est quelque chose qui a été mis sous tutelle par la gauche, une certaine gauche, sans vouloir faire de la politique et aujourd’hui, ça va rejaillir dans le débat. C’est même indispensable ! On a beau le camoufler à travers une novlangue en trouvant par exemple des noms aux chômeurs, en mettant tout ça dans un emballage, mais immanquablement ça va arriver. Là, il faut un peu des mecs qui s’étripent à coup d’extrême-droite, mais immanquablement les générations à venir vont devoir remettre ça au centre du débat. On le voit. Tous les enjeux, écologiques ou autres, sont liés à des enjeux sociaux.
Et justement, concernant la montée des extrêmes, ça ne vous fait pas peur qu’une partie de la population plébiscite des personnes pour le moins extrêmes dans leurs propos…
Speaker Louis & Arnaud (ensemble) : moi ça me fait peur
Speaker Louis : on a eu une grosse discussion là dessus juste avant dans le bus. Moi, je veux pas en parler trop, mais j’ai l’impression que Zemmour par exemple ça pourrait être le Trump français. C’est le mec qui a pas le même genre de pudeur que l’extrême droite habituelle. Il y a beaucoup de gens qui peuvent se laisser tenter par ça. C’est aussi important d’avoir certaines personnes, pas forcément nous, mai aussi le public, qui s’inscrivent contre ça, de manière volontaire. Ce qui me fait peur, c’est au contraire la banalisation de ce type de discours. Je sais pas comment ça va se passer cette année, ça me fait un peu flipper.
Damny : je suis assez d’accord avec ce que dit Louis. Après, je veux pas passer pour quelqu’un de cynique, mais j’ai le sentiment que c’est presque un espèce de passage obligé pour qu’il y ait une vraie secousse. On l’a vu nous, parce qu’on est un peu plus âgés, on a eu trente ans de nivellement, d’endormissement à tous les étages et petit à petit tu rentres dans une espèce de confort établi. On le voit même dans les salles de concert, y a des institutions, des subventions… c’est un peu hiérarchisé. Mais en fait, à force de le prendre pour acquis, tu finis par te prendre un boomerang. Ce boomerang aujourd’hui, quelque part, c’est un peu normal qu’il nous revienne en pleine gueule.
Mais, dans le fond, n’est-ce pas une forme d’échec, quand tu reprends les Bérurier Noir qui te disaient déjà il y a trente ans, « plus jamais de 20% », de voir qu’aujourd’hui on est bien loin de cette idée de révolte vis-à-vis d’un tel phénomène ?
Damny : c’est une autre époque, c’est un autre moment d’histoire. Les Bérus j’aime bien, mais on ne peut pas toujours ramener l’histoire à cela.
Speaker Louis : mais justement, à l’époque il y avait un peu un truc de « le fascisme a quelque chose d’exceptionnel » à la fin des années 1980. Il y avait une grosse force de la gauche.
Damny : c’est vrai, la gauche des classes populaires. C’est ça qu’il faut rappeler.
Speaker louis : oui c’est ça et à l’époque, tout le monde chantait « la jeunesse emmerde le front national ». Maintenant, la jeunesse n’emmerde plus le front national. Et pourtant, c’est un parti qui a très mauvaise presse. Si tu annonces aujourd’hui que tu les soutiens, tu passes pour un boloss, à juste titre. Soutenir ce gars-là (Zemmour ndlr), c’est beaucoup plus facile à assumer en société. Ce qui, à mon avis, est vachement risqué. C’est pas la même situation que dans les années 1980, où on estimait que ça n’arriverait pas. Qu’on allait se battre contre ça. Là, à chaque élection, ça arrive. Chaque élection, on a le choix entre le fascisme pur et dur ou le capitalisme un peu débilos à la Macron. C’est le seul choix qu’on ai.
Arnaud : le « capitalisme un peu débilos » (rires), j’aime bien ça !
Damny : oui mais il a raison Louis, cet album, on l’a intitulé Visible(s), parce que justement, la partie la moins visible de l’iceberg, c’est tout un tas de gens qui se disent « à qui je peux faire confiance ? » par rapport aux messages qu’ils essaient de porter, ce qu’ils pensent. Ce sont des gens qui ne sont pas extrémistes, dans un sens ou dans l’autre, mais qui ont juste envie de se dire qu’il y a peut être moyen d’aménager une société avec un peu plus d’équilibre.
Speaker Louis : ce qui est vrai c’est que ces gens-là dont on parle, qui sont invisibles, qui potentiellement nous ressemblent, ne sont pas représentés dans ces milieux. Si quelqu’un peut finir par voter pour l’extrême droite, pour autant, l’extrême droite ne défend jamais ces gens-là. Tout autant que Macron peut séduire un certain nombre de personnes…
Damny : le militantisme d’extrême droite ça n’existe pas. Il n’y a pas de mecs qui vont dans la rue pour défendre ça. C’est un fétu de paille. Mais c’est un épiphénomène. On va le vivre, je suis très cynique, mais on va devoir en passer par là.
Je reviens à l’album, histoire de ne pas faire la soirée sur l’extrême droite ! Je voulais revenir sur un sujet plus personnel. Je parle du morceau Sortie de route, un morceau qui parle de la disparition de votre premier ingé son, une personne très proche du groupe, qui s’est suicidé. Est-ce que vous avez eu des retours de personnes, des témoignages vis-à-vis de cette chanson qui parle d’un phénomène qui malheureusement touche de plus en plus de gens, qui ne se sentent pas représentés, pas écoutés et qui ont le sentiment que cet acte est une solution unique, finalement…
Damny : on a eu pas mal de messages sur cette chanson, effectivement. Je crois que c’est un sujet qui n’a pas été beaucoup abordé dans la chanson française, en tout cas pas sous cette forme-là. Cette chanson a un message positif en définitive. Je ne sais pas si les gens l’ont interprété comme ça. En fait, ce n’est pas uniquement une chanson qui parle du suicide, c’est aussi une chanson qui parle de l’après. Comment quelqu’un qui perd la vie, peut être prolongé par quelqu’un qui décide de prendre le relais de cette vie là.
Oui, c’est exactement le sens des paroles que tu as écrit : « tu n’es plus là mais je te continue »…
Damny : voilà c’est ça ! Bon, après, moi, je l’ai vécu dans ma chair… donc j’en parle comme ça, mais je me suis dit qu’au-delà du côté thérapeutique de cette chanson, à titre plus général, ça pouvait aussi être une autre lecture par rapport au suicide. C’est pas juste tout cet aspect pathos… la vie n’est pas juste un corps qui disparaît. Il y a aussi tout un parcours, un passé, une âme, des choses qui se sont produites, et cette transmission là se fait quelque part. Je pense qu’il y a des milliers de personnes qui ressentent ça. La personne n’est plus là, tu la cherches d’une certaine façon mais c’est à toi aussi de porter ce qu’il y avait de mieux chez elle et de lui rendre honneur.
Le morceau est effectivement magnifique, au niveau du message comme de la composition. En terme d’écriture, il me fait penser à un autre de vos morceaux, La Langue…
Arnaud : ah ! Pour moi c’est les deux meilleurs textes qu’a écrit Damny. C’est les deux plus beaux textes de La Phaze.
Damny : alors, c’est marrant, parce que c’est deux morceaux qui ont la même genèse. C’est deux morceaux qui partent d’un riff de guitare que Arnaud fait en balance et où spontanément je lui ai dit « ah c’est quoi ça ? Garde le ! » Sur La Langue, on avait pas enregistré l’idée sur le coup, on l’a enregistré en studio après. Sur Sortie de Route, on s’est retrouvé en studio pour enregistrer les deux premiers titres qu’on a diffusé, Avoir 20 ans et Sourire au teint de glace et je lui ai dit « oh enregistre ce petit truc là ». On a enregistré ça, hors tempo, ou juste au clic et j’ai retrouvé ça plus tard et j’ai composé le morceau à partir de ce riff de guitare. Et c’était pareil pour La Langue, mais La Langue on l’a vraiment faite en studio ensemble.
Arnaud : tous les 2 ! Dans ta chambre ! En revenant de rendez-vous avec Because Music !
Tu as décidément une mémoire incroyable (Arnaud nous avait déjà rappelé au préalable les deux derniers passages du groupe à Metz il y a près de 20 ans. On exagérerait à peine en précisant qu’à 3 personnes prêt, il serait capable de nous indiquer le nombre d’entrées réalisées ce soir là, le repas servi et la météo d’alors !)
Arnaud : ah ça ! J’en ai des anecdotes sur le rock’n’roll !
Damny : Sortie de route, j’avais juste cette prise et ça a démarré comme ça !
Un petit mot peut être sur l’artwork du clip, de Carlos Olmo Art ?
Damny : c’est lui également qui a fait le graphisme de toute la pochette. Très honnêtement, ça a été une discussion entre lui et moi sur ce sujet là. Je lui ai laissé pas mal carte blanche. Je lui avais donné quelques images. C’est mon frère, en fait, qui est décédé. C’était le premier ingé son de La Phaze, en 1999. Carlos Olmo a reconstruit autour de ça. C’est lui qui a eu carte blanche, il avait une bonne sensibilité. Il a fait en fonction du texte. Mais c’est vrai que je voulais que ça respecte vachement l’imagerie du groupe. Il y a des éléments liés au tag, au street art, un mouvement sur lequel on s’est un peu construit. C’était les grands angles mais il a fait à sa sauce.
Tu évoques la construction du groupe et sa mémoire à long terme…à ce propos, ce n’était pas un peu risqué de proposer un titre comme Avoir 20 ans, pour un groupe de quarantenaires qui a déjà 20 ans de bouteille en tant que formation musicale ? Il n’y avait pas cette peur de passer pour les « vieux cons » donneurs de leçons ?
Damny : faut que tu t’adresses à Louis là dessus, parce que nous, on sera pas les bons juges !
Speaker louis : Je trouve ça super intéressant, en fait. Je pense que la chanson Avoir 20 ans parle du fait d’avoir 20 ans mais aussi de ne plus avoir 20 ans. Le gros drop du morceau c’est « j’ai plus vingt ans ». C’est un espèce de regard rétrospectif qui est à mon avis très bienveillant et peut être une reconnexion avec la jeunesse maintenant. Ça parle de la manière dont la jeunesse est perçue, avec un gouvernement comme celui que nous avons actuellement, par exemple. Je pense que c’est très sincère et honnête de la part de Damny et Arnaud de se dire « OK, qu’est ce que c’est que d’avoir 20 ans maintenant » ? Et c’est rigolo, on avait fait une petite vidéo où on voit Macron dire, en substance, « oh avoir 20 ans en 2020, c’est pas facile ». Ça, au contraire, y a 0% de sincérité là dedans. Il n’y a aucune connexion avec les jeunes de 20 ans. Les jeunes de 20 ans, c’est quand même les gens qui viennent à nos concerts, dans les festivals, il y a une connexion naturelle pour nous. La chanson, ça aurait pu être sur autre chose, ça aurait pu être très racoleur. Se mettre dans la tête de quelqu’un de 20 ans quand t’as pas 20 ans, ça peut être super foireux. Comme les films sur les ados réalisés par des adultes avec d’autres adultes qui jouent des ados.
Arnaud : Avoir 20 ans, c’est un morceau que j’adore jouer. J’adore le clip, j’adore le morceau…perso, j’ai 49 ans, Damny 44, on a plus 20 ans mais on assume ce fait-là. On assume notre âge, d’être un « vieux couple de 18-20 ans d’âge » (rires). On est toujours là et on assume ce fait-là. C’est un regard qu’on porte aussi sur nos enfants, la génération d’après. Et ce qui est hyper cool aujourd’hui sur les premiers concerts, c’est que des mecs qui ont notre âge, qui nous suivent depuis les débuts, viennent avec leurs mômes qui ont entre 16 et 22 ans. Ils viennent et on discute avec eux au stand de merch’ ensuite. On se rend compte qu’ils ne sont pas du tout obtus, et ça tchatche à mort et c’est juste gé-nial. C’est une passation de génération ce morceau.
Damny : alors, je vais dire un truc que les gars ne savent pas, c’est que sur ce titre là, l’angle de départ c’était vraiment pour dire « on revient, faut montrer qu’on est encore dans le coup ». Mais je voulais aussi faire un constat sur notre vécu. J’avais commencé le texte d’une certaine façon et, entre temps, j’ai passé pas mal de temps avec Louis, qui était plus jeune à l’époque. Je me souviens qu’on a eu beaucoup de grandes conversations sur de grandes interrogations qu’il avait, de sa génération quoi. On a parlé du futur de sa génération et ça m’a assez ébranlé à ce moment là. Je me suis transposé à son âge, avec les interrogations que je pouvais avoir alors, qui étaient différentes des siennes mais avec malgré tout des points communs. Je me suis souvenu que j’avais tout un tas d’incertitudes, pas les mêmes vis-à-vis de la société de l’époque, mais je me suis dit qu’à un moment donné il fallait arriver à faire la synthèse de toutes ces discussions et trouver les mots justes. D’où l’utilisation de certains mots que moi je n’utilise pas, mais qui sont dans le texte parce que ce serait présent dans la bouche de quelqu’un de cette génération là. Et je suis plutôt content que ce soit pris comme ça, c’est un morceau qui au contraire est très bienveillant et qui pose le fait que c’est toujours difficile de faire sa place quand t’as 20 piges, parce que t’es en recherche de reconnaissance et de repères, et t’es pas forcément entendu ni écouté. Tu n’es tout simplement pas légitime.
Speaker Louis : c’est ça aussi qui fait que le morceau a sa place sur l’album. Les jeunes de 20 ans ne sont pas visibles, pas représentés. Un peu laissés de côté. Quand t’as 20 ans, tu finis le lycée, t’as très peu d’opportunités…
Il y a d’ailleurs un passage dans les paroles très juste à ce sujet, quand vous précisez que les jeunes ont « l’énergie d’Usain Bolt qui court vers la victoire »…
Damny : bien sûr ! Et puis il y a une tendance… je l’ai beaucoup vu à travers le prisme des réseaux sociaux… Il y a une certaine doxa – enfin j’aime pas trop le terme mais c’est quand même une réalité – qui a tendance à rendre plus vulgaire qu’elle ne l’est une certaine jeunesse et à complètement ostraciser des gamins qui se bougent le cul, qui se donnent les moyens et qui ne sont pas représentés. Il faut vraiment aller chercher l’info pour te rendre compte qu’il y en a plein des jeunes motivés. J’en ai rencontré des tonnes des jeunes, via internet ou au quotidien, qui font des choses incroyables que je n’aurais jamais eu l’idée d’entreprendre à leur âge. Et c’est vachement important de donner une image positive de ces personnes là, au lieu de dire « c’est que des traîne-savates qui bouffent de la merde et fument des joins en ayant que des visions capitalistes de la société ». Y a pas que ça !
Je change à nouveau de sujet mais, Damny, tu as parlé à plusieurs reprises ici ou dans d’autres interviews de l’aspect thérapeutique du fait d’écrire. Tu reviens souvent sur la question de la mort, que ce soit sur Peine de vie, avec cette question de la dignité dans le choix de mourir, comme une revendication sociétale avec Comme David Buckel ou lié au suicide comme on l’a évoqué avec Sortie de Route. C’est un sujet qui t’a marqué du fait de ton histoire personnelle et tu as volontairement envie de l’aborder sous différents aspects ou tu le vois plutôt comme la continuité évidente de la vie et donc un sujet incontournable en ce sens ?
Damny : je ne dirais pas que c’est un peu tout ça mais…ce qui est assez présent dans le groupe et qui est addictif, c’est un instinct de vie. Et je pense que c’est ce qui nous rassemble, un peu en dépit de tout. Envers et contre tout même, surtout en ce moment. Là, tu mets le doigt sur quelque chose qui est un peu particulier, que je n’avais pas vu à ce point là…derrière l’instinct de vie, il y a aussi un instinct de mort. Peut être qu’au travers de certains textes, j’essaie de faire un pied de nez à tout ça. En allant vers la vie, je fais une certaine nique à la mort, mais en en parlant aussi de manière un peu rude. Peine de vie, à l’époque, De Buretel (fondateur du label Because Music ndlr) nous avait dit : « c’est un morceau qui passe pas à la radio ça. On parle pas de mort à la radio ! » Et il a raison, c’est vrai. C’est des sujets qui sont assez peu abordés au final, mais moi je trouve que c’est très mis sous le tapis dans la société occidentale. Et de plus en plus. On sécurise beaucoup cette idée que finalement on ne peut pas mourir, ça ne va pas arriver, on ne veut pas montrer ce moment. C’est le but de la vie. C’est pour ça que je dis que ce groupe a un instinct de vie très fort, c’est qu’on s’applique à vivre le truc à fond.
Arnaud : sur scène, avec La Phaze, on n’a jamais fait semblant. C’est ce qui nous a portés pendant toutes ces années. On n’a jamais vraiment été soutenu par les médias ou quoi. La force, c’est que sur scène, on est 100% nous et on veut être totalement en communion avec le public. La Phaze, c’est la scène, on fait des chansons, des bonnes chansons à mon avis, trop hybrides pour les classements des charts, mais ce qui nous réunit c’est cette puissance qu’on ressent sur scène parce que c’est pas du fake. On est pas des poseurs ou quoi que ce soit. C’est juste que quand ça part, ça part.
Speaker Louis : ça, je m’en suis rendu compte en rejoignant le groupe et je peux le dire d’un point de vue extérieur comme intérieur, c’est sincère à 100%. C’est cool, parce que il y a beaucoup de groupes avec une grosse épaisseur de pipeau, de personnages inventés…
Damny : c’est beau ça, « une grosse épaisseur de pipeau » (rires) ! En vrai, il a raison Louis, c’est fatiguant tous ces subterfuges, il faut aller à l’essentiel. Quitte a être vraiment en marge, c’est notre cas…
Ce n’est pas frustrant justement, à force, cette position « en marge » ?
Damny : c’est frustrant ! Honnêtement, on va pas se raconter d’histoires, il y a un côté frustrant parce que je pense qu’on travaille bien. On se pose des questions qui, à mon sens, sont importantes. Mais bon, nul n’est prophète en son pays, ni en son temps… on ne cherche pas à avoir des lauriers mais à un moment donné, quand ça fait 20 ans que t’es dans la place et que tu fais ton job, tu te dis « putain c’est quand même un peu une imposture, quand t’as des gens qui mettent au pinacle certains artistes qui font des révolutions de canapé en regardant Netflix ». C’est un peu rageant, oui. Tout le battage qu’on fait sur un texte d’un mec avec des vérités et des contrevérités, il n’y a pas de réelle prise de position. Moi quand j’écris Comme David Buckel, je ne dis pas « ils, elles ont… », je dis « Macron », je dis « Castaner » et je dis pourquoi. Et j’essaie de donner une direction à ça.
Speaker louis : c’est vrai que ça marche toujours de faire des trucs qui vont parler au plus grand nombre, en essayant de trouver des trucs que tout le monde s’est dit genre « bosser c’est chiant mais pas bosser c’est chiant aussi »…et ça coûte rien ça comme message !
Je réagissais dans le sens où j’avais eu l’occasion d’interviewer Ez3kiel qui faisait un peu ce même constat d’avoir « bien bossé » mais ne pas avoir bénéficié de la reconnaissance eu égard au travail fait au fil des années et ne pas avoir pleinement rencontré la totalité de leur public.
Damny : tu ne peux pas dissocier la culture, la musique, de la politique d’un pays. Il y a eu une bulle dans les années 1980 jusqu’au milieu des années 1990 et nous, on est arrivé sur le tard, vis-à-vis de ça. C’est d’ailleurs une chance et c’est pour ça qu’on arrive un peu à exister. Un jour De Buretel m’avait appelé pour une préface de bouquin, et il m’avait dit « tu sais, un groupe comme le vôtre, je serais le dernier à le défendre ». Maintenant il n’y a plus personne. Et il avait raison. Je sais pas s’il lira cette interview, mais il avait raison. On est arrivé sur le fil du rasoir de cette bulle.
C’est finalement ce que je trouve assez intelligent avec Visible(s). Vous avez de la bouteille, vous venez d’une « autre époque », mais vous abordez des sujets actuels. Le disque parle immigration, écologie où un certain consensus se fait, mais on va aussi sur des sujets plus risqués. Je pense notamment au morceau Visible(s), où tu prends la parole d’une femme pour évoquer les violences faites aux femmes, un sujet hautement discuté ces dernières années.
Damny : et personne prend le relais de ça…
Arnaud : on a eu aucun reproche vis-à-vis de ce texte qui est d’une violence folle !
Damny : mais comme Peine de vie… ce type de chanson doivent servir à quelque chose. On les sort pas pour toucher des royalties ou gagner de l’argent ! Ce qui nous anime c’est ce qu’on laisse en tant que groupe avec une chanson comme ça. Une chanson comme Sortie de route, ça aurait pu apporter dans le débat public. Comment arrive-t-on à parler du suicide sans que ce soit du pathos, des témoignages Konbini avec l’éclairage dramatique où t’as juste envie de chialer dès que la personne prononce une phrase ? Au contraire, on veut que les gens se disent « bon, y a un élan de vie derrière ». Je comprends même pas en fait. Peine de vie, c’est une chanson importante aussi je crois…
Arnaud : et pourtant c’est pas un titre « fort » du groupe, finalement. On est passé à côté de Peine de vie. Alors oui, on a fait du morceau un single mais je pense qu’il était soit trop explicite soit trop en avance. Le sujet est énormément discuté ces dernières années, ça commence à s’ouvrir, ça met du temps. Peine de vie, mon sentiment, c’est que le texte était peut être un peu trop précurseur. Sur scène on est plutôt cool, on a l’habitude de rigoler, on a une communication très très positive, mais le clip était peut être un peu trop dur… bref on va pas refaire l’histoire, mais c’est pas un morceau qui a marqué le public comme on le pensait. De Buretel il y croyait à ce thème à l’époque…
Damny : et c’était tout à son honneur. Je vais faire un parallèle très relatif mais ça me fait penser à une situation similaire. J’ai écouté la chanson One de Metallica, ça parle quand même d’un mec qui revient de guerre, qui a perdu l’usage de son corps, qui ne peut pas communiquer par la parole. J’ai fait un peu le parallèle avec Peine de vie, elle est aussi dérangeante et fascinante quelque part. Et bizarrement, quand ils l’ont sorti avec un clip bien plus dur que ce qu’on a fait nous, la parole était ouverte là-dessus, aux Etats Unis. Ca reste un pays qu’on critique beaucoup, notamment pour leur côté prude. Et nous, quand Peine de vie est sorti, ça a été l’omerta. Trois passages sur Virgin Radio, ce qui était déjà un score et puis voilà, terminé. On est aussi passé un peu, très tard sur M6, des fois on le voyait quand on rentrait de concert…
Arnaud : c’est pas arrivé beaucoup (rires) !
C’est vrai que comme tu le soulignais Damny, ça reste un sujet tabou, même aujourd’hui…
Speaker Louis : c’est beaucoup plus facile de faire passer des chansons légères, qui ne s’engagent pas. Il faut des grosses tripes pour défendre une chanson comme ça. Comme Sortie de route. Il y a peut-être des gens dans d’autres pays, dans d’autres scènes, avec des décisions basées sur la passion, où ça passerait mais c’est pas le cas ici.
Damny : c’est vrai que c’est un peu frustrant parfois, mais on continue à le faire parce que c’est comme ça. On va pas réinventer notre façon de faire, on va pas se travestir par rapport à notre ADN.
Alors justement, question assumer des chansons différentes, je voulais parler de Haute sécurité, le point de vue de quelqu’un dont on parle peu dans la société : le détenu. Qu’est-ce qui a motivé la rédaction de ce morceau ?
Damny : alors, c’est très égoïste ce que je vais dire mais j’ai une fascination pour le monde carcéral. Un peu malsaine, mais j’ai une fascination pour l’enfermement. Comment tu gères ça, comment tu survis, sans jugement de qui a fait quoi. Dans le morceau, c’est un personnage fictif, qui est tombé pour un casse. Je suis un peu old school, j’ai tendance à fantasmer un peu le…
Arnaud : le borsalino (rires) !
Damny : ouais…la vieille école, la connexion nantaise, tous les mecs de l’époque sur lesquels je me suis documenté. J’en ai rencontré certains des anciens. Ils ont disparu aujourd’hui. Cette chanson là c’est le morceau le plus fictif de l’album. Mais avec autour la question de l’enfermement et de la rédemption, dont il est pas mal question dans le disque. A une époque, j’étais branché à fond sur la radio et les témoignages. Le dimanche, sur des radios catholiques des familles appellent et laissent des messages pour des détenus au mitard. Ça permet au détenu d’avoir cette démonstration que quelqu’un pense à eux. A une époque, j’écoutais beaucoup ça.
Il y a un point qui m’a toujours beaucoup intéressé dans la création des chansons de La Phaze, c’est le choix des langues, assez diverses. Sur Visible(s), tu es pas mal revenu au français à part sur One way. Qu’est ce qui préside ce choix ?
Damny : comme tu le soulignais, je vis à l’étranger (à Barcelone ndlr) et c’est un sentiment que tu retrouves chez pas mal d’expatriés. Vivant à l’étranger, j’ai eu un attachement encore plus fort à ma langue d’origine. Je me suis aussi mis à lire de manière frénétique, j’avais un peu de temps pour ça, j’ai eu envie de me réexprimer en français. Je me suis rendu compte à quel point c’était une belle langue.
Arnaud : L’hommage à La Langue ! Un morceau de 2008 !
Damny : oui et puis je trouvais assez illégitime de chanter en anglais. En plus, Louis est arrivé et il est parfaitement bilingue. Je me sens un petit peu…(rires)
Arnaud : c’est de la faute de Louis (rires) ! En plus, il y a une anecdote concernant les langues. On a beaucoup tourné à l’étranger et notamment en Allemagne, en Europe de l’Est et sur le dernier album avant qu’on arrête, Psalms & revolution, on était vraiment aux deux tiers voir aux trois quarts sur des morceaux en anglais. Justement, pour les tournées à l’étranger. On avait même plus de monde à Berlin ou Madrid qu’à Paris ou Nantes !
Damny : c’était même presque un choix stratégique de faire cet album en anglais, oui !
Arnaud : oui ! Parce qu’on tournait vraiment dans le monde entier ! Et donc, on fait cette tournée en Allemagne et j’ai le souvenir de quinze dates dans ce pays où les mecs venaient au stand de merch’ et nous disaient systématiquement : « ah ouais nous on préférait quand vous chantiez plus en français, ça donnait votre typicité. On vient voir un groupe de pungle ! » Le punk, la jungle, le contest rock, c’est des trucs qui marchent très bien en Allemagne, pas du tout comme en France et c’est la raison pour laquelle on a bien marché dans ce pays. Et il y avait ce truc revolt rock mélangé à de l’électro qui pulse qui était apprécié.
Damny : d’ailleurs Peine de vie est un texte qui a été étudié en collège.
Arnaud : exact ! On a eu un concert à Kiel, dans le nord de l’Allemagne, les classes étaient venues à la rencontre de « l’auteur du texte » qu’ils étudiaient à l’école. Improbable ! Et du coup on a eu plein de « reproches » en nous demandant de reprendre le français. Les gens répétaient « on kiff à mort quand vous chantez en français » et nous on hallucinait. Ils s’en foutent de l’anglais, ils voulaient du français. Et c’était exprimé franchement tous les soirs.
Damny : je me souviens que quand on avait été jouer en Angleterre, ça avait fasciné les mecs ce choix du français. Ils disaient « we don’t understand a shit de ce que vous racontez », mais musicalement c’était exotique, c’était nouveau. On reprenait des trucs de leur musique, parce que ça vient de là notre métissage drum’n’bass et du Clash mais avec un truc en français qui est très rugueux, très agressif pour des Anglais. La langue française est assez agressive. Ils trouvaient ça vraiment cool. Et puis, aujourd’hui, grâce à internet, c’est plus du tout un handicap. Si on avait connu Youtube au moment où on s’est lancé, ça aurait plus rapidement ouvert des portes je crois. On ne saura jamais !
Petit moment de flottement vu que sur les 30 minutes accordées initialement, on arrive (déjà) à 50 minutes. Après quelques échanges de politesse et une privation entendue de repas par le groupe pour pouvoir continuer l’interview (et on ne les remerciera jamais assez), les questions reprennent, sur une punchline bien sentie d’Arnaud : « ramenez du vin blanc et des poulardes ! »
Alors, reprenons… Damny, tu parlais de l’écriture et son aspect thérapeutique pour toi. As-tu déjà pensé à écrire un livre, une nouvelle ou est-ce que la chanson te « suffit » finalement pour t’exprimer ?
Damny : c’est pas le même format ! Bizarrement tu as beaucoup d’écrivains qui te diront « c’est dur d’écrire une chanson ». J’ai un ami écrivain qui essaie de se faire publier et lui me disait à propos du fait d’écrire des paroles : « c’est difficile, faut synthétiser ». Mais pour moi, ça voudrait dire faire l’exercice inverse. J’ai jamais expérimenté ça. J’ai essayé 2-3 fois et je me lasse vite. Peut être quand je serais plus vieux. C’est encore plus solitaire d’écrire un bouquin. J’ai besoin du contact.
Arnaud : moi, comme je me souviens d’absolument tout (et il a raison ndlr !), je pourrais écrire un bouquin sur trente ans de route dont 20 avec La Phaze. Je me souviens de chaque anecdote. Mais je me demande qui ça intéresserait. C’est toujours ça la question qu’il faut se poser !
Speaker Louis : moi, moi, moi !
Arnaud : non mais avec Damny on a vécu des trucs de dinguo. Je peux te donner quelques anecdotes…
Alors, côté anecdote, ça me fait penser à une publication que vous avez partagé récemment, avec une photo d’un concert altermondialiste (sur le plateau du Larzac) démarré au petit matin…
Arnaud : ah oui, il n’y avait « plus que 15 000 personnes » à cette heure-là. C’était le plus gros concert de Manu Chao le soir là (au début de la soirée, il y avait plus de 250 000 personnes sur le plateau du Larzac ndlr) ! Question anecdotes, on a vécu plein de trucs incroyables. Par exemple, on est un des seuls groupes français a avoir fait le Hammersmith de Londres et le Circo Voador de Rio de Janeiro. On a aussi fait 6 semaines de tournée avec Gogol Bordello, des trucs de dinguo, on a même joué à Bercy ! C’est des trucs de ouf pour un groupe comme nous ! On a fait des tournées dans le monde, on a fait des grosses salles en Russie, des bars au Mexique, on a des anecdotes de route de dinguo et des équipes extraordinaires (et après pareil teasing, il se demande encore qui va vouloir lire ça ndlr) ! Il y a eu plusieurs phases dans La Phaze, sans faire de jeu de mots, plusieurs formules de groupes, plusieurs équipes techniques, on est pour beaucoup restés proches, on a toujours eu une super bande sur la route et ça a joué sur l’image live, sur notre accueil dans le monde professionnel. Il y a toujours du plaisir à accueillir La Phaze parce qu’on est pas des cons, on respecte les gens qui nous reçoivent. J’ai envie de rendre hommage au groupe et aux équipes techniques, tu vois tous les mecs qui sont là autour de nous, qu’on voit pas (il y avait effectivement toute l’équipe technique dans les environs en train de s’affairer durant l’interview ndlr) c’est que des mecs qui jobent à mort en bon esprit, avec le smile, pour que tout se passe bien.
Damny : C’est un honneur d’avoir des gens comme ça avec nous ! Tu parlais tout à l’heure de la frustration du manque de reconnaissance. A l’inverse, c’est ça la récompense, d’avoir des gens investis qui te suivent. C’est pas qu’une histoire d’humains, ils sont aussi engagés par rapport à ce que tu racontes, ce que tu fais, ce que tu représentes et ça c’est un honneur. Nous on a démarré tous les deux dans le camion…
Arnaud : ouais, 1999, à deux dans le camion.
Speaker Louis : on a du bol, les équipes qu’on a en ce moment, c’est que des tueurs (c’est là où on verra si l’équipe a tenu jusqu’à cette onzième page d’interview 😉 ndlr)
Damny : et on a des personnages historiques, comme Cali (Olivier Fournier ndlr), le frère d’Arnaud, on a enregistré Cushy Time et Pungle Roads chez lui. Il y a eu du temps qui est passé entre et on se retrouve, sans s’être jamais vraiment quitté.
Tu parlais des vieux de la vieille qui revendiquent pas mal de choses, la dernière fois que je vous ai vu c’était au Watts a Bar à Bar-le-Duc, en compagnie de Tagada Jones, avec qui vous clôturez votre tournée le 18 décembre Chez Narcisse au Val d’Ajol…
Arnaud : on va leur mettre une branlée ! On tourne avec M.O.K.O aussi sur cette date là !
Speaker louis : ca va être le bordel !
Arnaud : ca craint à mort !
Damny : alors là pour le coup c’est le terme à la con mais pour de vrai, c’est la famille, Nico, les Tagada c’est la famille. Ça fait des années qu’on se connaît !
Arnaud : c’est des supers bonhommes. Les Tagada c’est de la balle en barre !
Damny : c’est des gens qu’on adore, y a 0 embrouille, c’est vraiment très fluide, on a les mêmes bases.
Arnaud : on a commencé ensemble, y a plein d’anciens techos de La Phaze qui sont chez Tagada.
Damny : ils sont plus vieux que nous !!
Arnaud : ah mais oui, ils ont commencé en 93, nous en 99 (quand on vous dit que c’est l’archiviste du groupe, que dis-je DU ROCK – et en plus il vous sort tout ça du tac au tac, impressionnant ndlr)
Damny : oui, on est quand même très très synchro, mais on va quand même leur mettre une branlée au Val d’Ajol ! Ils ne savent pas ce qui les attend.
Speaker louis : alors, faudra éventuellement penser à éditer ce moment-là de l’interview, si jamais après coup on se rend compte que ça n’a pas été le cas hein (rires) !
Arnaud : non mais on joue après M.O.K.O et avant Tagada, on est bien entouré !
Damny : on est la tranche de jambon (rires) ! En tout cas, il faut signaler que c’est un groupe qui s’est construit à la force du public et je trouve ça vraiment vraiment vraiment merveilleux et j’ai un maximum de respect pour ce groupe. Ils ont gagné leur légion d’honneur du rock’n’roll. Ils ne doivent rien à personne !
Petite dernière question (attention, la réponse prend 9 minutes des 70 de l’interview ndlr), la réponse pourrait être très attendue finalement, mais elle m’intéresse ! Qu’est-ce-que ça représente pour vous la musique ?
Damny : ouh. Ça c’est chaud…
Arnaud : moi je vais le dire très simplement. C’est toute ma vie professionnelle. Jusqu’à ce que j’ai des enfants, c’était la chose la plus importante, y avait rien au-dessus. Depuis que j’ai des enfants, je vais te dire, c’est les enfants. J’ai décidé quand j’étais jeune en fac de droit que je ferais de la musique. Je me suis donné les moyens de le faire mais c’est aussi une histoire de rencontres. Avant La Phaze, j’ai eu un groupe, Hint, avec lequel on fait encore des concerts. Je suis devenu professionnel avec ce groupe-là. Et c’est dans le local où on répétait avec Hint que Damny est arrivé. Il débarquait de Paris sur Angers et il m’a appelé pour pousser du matos, pour installer ses claviers. Je te jure que c’est vrai, on s’est téléphoné, on a commencé à tchatcher, j’ai été le voir chez lui, on écoutait de la jungle et du post rock.
Damny : ça c’est exactement passé comme ça !
Arnaud : ce n’est que des histoires de coup de bol
Damny : bon on a bu des coups aussi…(rires)
Arnaud : ouais aussi ! Mais à l’époque on était gentil, maintenant on encaisse beaucoup plus (rires). Non mais sincèrement c’est des histoires de rencontres pour des parcours de vie. Moi je fais aussi du coaching de scène pour pas mal de groupes. La chose la plus importante pour développer un groupe sur la longueur et pour faire entre guillemets une « carrière », c’est que les musiciens qui forment un groupe doivent être liés mais surtout alignés sur ce qu’ils veulent, sinon ça ne fonctionne pas. C’est tout, c’est un tips de vieux pro, il faut être aligné sur où tu veux aller sinon ça ne fonctionne pas. Là, on a un trio qui fonctionne bien parce qu’on sait ce qu’on veut.
Damny : il a raison à 3000% mais c’est vrai qu’il a raison aussi en précisant que c’est des histoires de rencontres, totalement.
Arnaud : faut jamais être fermé dans le milieu de la musique. Tu as beaucoup d’effets papillon, je le sais vraiment ! Si on a joué sur le fameux plateau du Larzac, c’est un effet papillon d’un coup de téléphone quand on était bloqué sur un périph’ nantais en rentrant de répèt’. Tout est effet papillon et je parle par expérience ! J’ai démarré une carrière de coach de scène parce qu’une fois un jour un mec m’a vu en concert, dix neuf ans auparavant dans une salle en Suisse en première partie d’un groupe anglais (ne le poussez pas trop, il se souvient également de ce que portait le mec chauve du deuxième rang ! Ndlr). Il faut être hyper ouvert quand tu tournes en tant que musicien entre les assos, les orgas, les autres groupes avec qui tu partages la scène. Moi je dis « halte aux cons », faut pas s’enfermer dans les loges. Si je tourne encore aujourd’hui à mon âge, c’est parce que je m’ouvre aux gens. Damny a d’ailleurs commencé l’interview comme ça, en rappelant que la musique, c’est avant tout une histoire d’humains. Si on est là, c’est parce qu’on kiff rencontrer des gens et être ensemble. On aime être bien entouré, que ce soit sur la durée ou lors de rencontres d’un soir, de rencontrer des gens avec qui tu vas devenir très proche durant ces moments là. L’avant et l’après concert sont aussi importants que le concert en lui-même. C’est un tout. C’était mon choix de vie et j’ai pas envie de l’arrêter ! Chacun dans nos trucs on cherche des moyens de poursuivre ça, toujours, toujours. C’est que de l’humain !
Damny : il a raison Arnaud ! Et pour aller dans la lignée de ce qui est dit, en fait, moi, ça s’est arrêté à un moment donné, c’était des choix qu’on a fait, qui m’ont marqué et ça m’a manqué. Beaucoup. Je me suis rendu compte que j’avais perdu ma place. Et là, je vise plutôt les jeunes, pour faire un parallèle avec Avoir 20 ans. Quand tu sens que t’as trouvé ta place quelque part, faut y rester. Ça sert à rien de vouloir péter plus haut que son cul mais trouver sa place c’est la clé d’une existence, le chemin d’une existence. Dans ce groupe, on a réussi à s’aligner sur des choses où on avait une même envie, une même direction. Je me souviens très très bien que quand on avait fait notre toute première interview, le mec disait juste avant Noël pour rire « à Noël vous allez signer un label » et tu lui avais répondu « non mais avec la volonté on signera après » et c’était symbolique. Quelque part on s’en foutait on avait un but.
Arnaud : on voulait faire les meilleurs concerts possibles, dès le début. Dès les premiers concerts de La Phaze, au Batofar à paris, en octobre 1999, le but de La Phaze c’était de faire les meilleurs concerts possibles.
Damny : moi j’avais 0 expérience par rapport à toi, Arnaud !
Arnaud : moi j’avais pas du tout la même expérience. Là, je cassais tous mes codes. J’arrivais d’une carrière dans un genre complètement différent. La première tournée d’Asian Dub Foundation ça a été le cataclysme. Quand j’ai vu ça, j’ai pris une révolution en pleine gueule. C’était une telle branlée je me suis dit « c’est quoi ce truc ». Le chanteur avait seize ans, j’ai acheté tous les disques qui existaient à l’époque. Après, on aimait aussi beaucoup le post rock et on s’est rencontré là dessus.
Damny : c’est vrai, comme il y avait pas les réseaux sociaux, on était pas en comparaison avec d’autres groupes, on y allait, décomplexé total !
Arnaud : surtout au début !
Damny : on était obligé de le faire !
Arnaud : on avait une référence, quand même, souviens toi ! Y avait un live de la Mano qui était sorti, on regardait les lives de la Mano Negra. Si Manu (Chao ndlr) a flashé sur nous à l’époque du Larzac c’est parce qu’on jouait notre vie comme la Mano la jouait sur scène. La Mano sur scène c’était complètement gue-din.
Damny : ouais mais je me souviens clairement de cette sensation la première fois que je les ai vus. J’étais gamin, et je me disais « je veux faire ça ! ». Il y a une vraie sincérité et je crois que c’est ça qui nous nourrit. Ce truc de dire « tu viens tu donnes tout ce que t’as et peu importe, quoi qu’il arrive ». J’y ai laissé ma guibolle dans un concert et d’autres y laisseront peut être autre chose – je vous le souhaite pas les gars (rires). Tu ne calcules pas ces choses-là. Tu le fais parce que tu as besoin de le faire. C’est viscéral et c’est pour ça que je disais que ça m’a manqué, la scène.