Azimuté, hors-normes et furieusement impressionnant, le Diablo Swing Orchestra avait su imposer avec The Butcher's Ballroom un album explosant toutes les frontières de la musique actuelle. Alchimiste d’un metal barré et débordant de sonorités aussi inattendues qu’antagonistes, le sextet présentait une vision résolument personnelle d’un mouvement tout aussi difficilement indentifiable. Magiciens et instrumentistes virtuoses, ces six surdoués originaires de Suède récidivent aujourd’hui avec Sing Along Songs For The Damned & Delirious. Bien qu’inscrit dans le direct prolongement de son prédécesseur, ce second essai repousse les confins de l’imaginaire pour s’inscrire encore d’avantage dans l’inconnu musical.
L’histoire a démontrée que le génie n’avait pas de limite. Avec ce second opus, le Diablo Swing Orchestra instaure son univers avec une impressionnante grandiloquence, développant sa propension à bâtir des univers riches et passionnants avec un talent presque insolent. Sing Along Songs For The Damned & Delirious est un album fourmillant de détails, témoignage et fusion d’une page si imposante de la musique des soixante dernières années qu’elle paraît presque irréelle. Le swing et le jazz américain s’invitent dans une composition variée et quasi-indescriptible (« A Tapdancer’s Dilemma »), le groupe greffant ses étendues sonores d’outre-temps sur un canevas résolument actuel et peuplé par une saturation puissante. Malgré l’électricité transcendante et récurrente synonyme d’une indiscutable modernité, ce second essai présente une plus nette propension au métissage des cultures que The Butcher's Ballroom en associant le jazz américain à des influences traditionnelles et atypiques. Le sextet se risque ainsi à des escapades vers le folklore russe (« Vodka Inferno ») ou associant à ses morceaux un côté burlesque et théâtrale très européen (« A Rancid Romance »). Violoncelles, claviers, accordéons ou encore cuivres occasionnels apportent aux ossatures des morceaux une dimension radicalement « free jazz » propice à de nombreuses évasions en solo étonnantes de maitrise (le saxophone mélancolique de « Lucy Fears The Morning Star »), bien que le groupe parvienne à conserver une véritable cohérence et à ne pas sombrer vers des paysages si expérimentaux qu’ils en deviennent inaccessibles. Un fait d’autant plus bluffant que chaque musicien greffe à ses interventions une technique particulièrement démonstrative, tout en conservant un groove et un swing incontestable.
Sing Along Songs For The Damned & Delirious reste cependant un album difficile à aborder par son côté rétro très prononcé (« Vodka Inferno », « Lucy Fears The Morning Star »), mais sur lequel chaque musicien du Diablo Swing Orchestra conserve une main mise totale. La section rythmique se montre de ce fait polymorphe et indispensable à la bonne tenue de cette multitude des éléments, cette dernière s’instaurant avec les riffs de guitare en indispensable fil rouge. Chaque composition impose quelques gimmicks reconnaissables et parsemés de façon imprévisible au fil des mesures, le sextet avançant dans ses constructions sans véritable notion de couplet ou de refrain. Les vocaux délurés assurés par le fantastique tandem Daniel Håkansson / Annlouice Wolgers sublime enfin l'inventivité des compositions. La dualité se veut d’ailleurs encore plus travaillée que sur The Butcher's Ballroom, le penchant masculin du duo ayant acquis une plus grande importance dans l’écriture du Diablo Swing Orchestra. Ce qui n’empêche pas la chanteuse d’opéra de répondre aux intonations graves de son comparse avec une rare prestance, Annlouice Wolgers virevoltant dans les stratosphères les plus relevées avec un côté décalé savoureusement adapté à l'écriture multi-facette de la formation (« A Rancid Romance »). Un jeu malicieux s’installe entre les deux protagonistes vocaux du projet, le talent du sextet se voulant tout aussi éclatant et astucieux dans ses parties chantées qu’au sein de ses instraumentations.
En dix titres, l’orchestre diabolique se fend d’une œuvre au sens littéral du terme : un éclat de génie marquant et probablement intergénérationnel. Un impressionnant et immanquable travail d’orfèvrerie musicale.
.: Tracklist :.
01. A Tapdancer's Dilemma
02. A Rancid Romance
03. Lucy Fears the Morning Star
04. Bedlam Sticks
05. New World Widows
06. Siberian Love Affairs
07. Vodka Inferno
08. Memoirs of a Roadkill
09. Ricerca Dell’anima
10. Stratosphere Serenade