Si Bristol est la seule contrée de l’ouest de l’Angleterre qui vous semble familière, si les mots Mezzanine ou Blue Lines font encore trembler vos oreilles de bonheur, si vous vous souvenez d’un bébé qui nage dans un clip que vous regardiez à pas d’heure sur la 6ème chaine hertzienne française, vous avez tous les symptômes d’une victime consentante de la révolution électronique incarnée par Massive Attack dans les années 90. Mais le diable s’est mordu la queue: avec Heligoland, sixième opus du duo britannique, Massive Attack tente de s’imposer, ou du moins de garder sa place d’icône, au sein d’un univers électronique qu’ils ont eux-même créé. Alors que Portishead a réussi ce pari avec Third, c’est au tour de l’autre pierre angulaire du trip-hop de s’exprimer.
Le glorieux passé de Massive Attack dans les années 90 s’articule autour de deux hommes, Robert Del Naja (3D) et Grant Marshall (Daddy G), et de trois albums essentiels, Blue Lines, Protection et Mezzanine. Si la formation originelle était un trio avec la présence d’Andrew Wolves (Mushroom), celui-ci quitta le groupe en 1994, juste après la sortie de Protection. C’est à Cameron Mc Vey, mari et manager de la chanteuse Neneh Cherry, que nous devons l’éclosion de ces DJ-producteurs issus d’un Sound-System de Bristol, The Wild Bunch. Au départ très orienté hip-hop et soul, le son de Massive Attack s’affirmera au gré des expérimentations électroniques diverses et de l’incorporation de plus en plus importante d’instruments « réels », pour créer un univers musical sombre, ambiant, aux beats syncopées et nappes vertigineuses accompagnés soit d’un chant masculin posé, presque parlé, soit de voix mélodiques féminines dues aux nombreuses participations de chanteuses diverses.
Ce qui caractérise ce Heligoland est la progression de la qualité des productions du duo tout au long de l’album, comme si les retrouvailles de 3D et Daddy G prenaient du temps à refaire fonctionner la magie des opus précédents. D’un début timide, voir fade, où pourtant s’expriment tour à tour la voix chaude d’Horace Andy et le groove mélodique de Martina Topley Bird, on arrive petit à petit à retrouver ce qu’on a tant aimé chez Massive Attack ,à savoir cette unique atmosphère douce mais sombrement oppressante et ces arrangements rythmiques et vocaux inattendus. Car même lorsque l’on s’appelle Massive Attack, une boite à rythme répétitive couplée à une ligne de basse en arrière et une voix monotone forme toujours un morceau ennuyeux… ce qui est malheureusement le cas sur les titres « Pray for Rain » et « Babel ».
Mais peu à peu, les sensations reviennent, l’ambiance s’assombrit, les différentes instrus se multiplient (violons notamment) et on atteint le point culminant avec « Atlas Air » qui nous emmène grâce à un synthé envoutant à faire pâlir DJ Shadow et son « Organ Donor ». Ca y est, on est lancé, le duo de Bristol nous a embarqué dans son monde… Mais la musique s’arrête et vous retombez vite sur terre, car vous êtes arrivés au terme du voyage Heligoland, piste 10. L’album ne contient en effet que dix titres, et même si des featuring prestigieux (Damon Albarn de Blur/Gorillaz, Guy Carvey d’Elbow, entre autres) sont présents sur presque tous les morceaux de l’album, ce qui l’enrichit forcément (mais pose la question des performances live à venir, car on doute de voir tout ce beau monde monter sur scène avec le groupe), c’est un laps de temps trop court pour profiter du potentiel musical de Massive Attack.
Rassurez-vous, il y a quand même des pépites atmosphériques dans cet opus, qui est plus abouti et original que le précédent 100th Window. Le manque de consistance et d’âme de Heligoland réside en partie dans la présence de longueurs rythmiques qui ternissent des idées pourtant parfois très bonnes et au fait que, on y revient, du temps et des disques ont passé dans nos oreilles, transformant Massive Attack, autrefois à l’avant-garde de la mouvance électronique, en un groupe rentré dans le rang, et qui doit la fascination qu’il exerce toujours sur le public et les artistes, à son éminent rôle joué dans l’exploration sonore des mondes électroniques.
.: Tracklist :.
1. Pray For Rain
2. Babel
3. Splitting The Atom
4. Girl I Love You
5. Psyche
6. Flat Of The Blade
7. Paradise Circus
8. Rush Minute
9. Saturday Come Slow
10. Atlas Air