Il fallait bien laisser un peu d'eau couler sous les ponts avant d'aborder la dernière production de Gorillaz, sortie au printemps dernier. Plusieurs raisons justifient de ne s'attaquer à Plastic Beach que maintenant. Parmi celles-ci, tout l'abord, l'attente un peu trop grande empêchait de se forger un avis nuancé, faisant fit de la comparaison systématique avec les deux opus précédents. Ajouter à cela, cet album pouvait aussi faire partie de la famille des « plus one », ceux qui se bonifient avec le temps et deviennent incontournables. Bref, l'heure aujourd'hui n'est plus à l'émotion mais au bilan.
Après un album novateur et un autre fédérateur, que pouvait-il sortir de la plume de Jamie Hewlett et de la corde de Damon Albarn ? À la recherche de l'adjectif le mieux placé pour qualifier Plastic Beach, si on fait confiance aux déclarations dans la presse, on pourrait se contenter de la formule bancale d'« album concept ». Quelques paroles à l'effet miroir, notamment les nombreuses occurences du mot « plastic » et le mention d'un « glitter freeze » pendant « Broken » y ferait presque croire. Pourtant, ce n'est vraiment pas l'impression que l'album laisse à la fin d'une écoute complète. Illustration avec l'introduction : l'instrumentation orientale est automatiquement contre-balancée par le flow si atypique de Snoop Dog et des nappes électroniques. Re-belote sur « White Flag ». Autre idée : le concept repose dans l'opposition entre musique du monde et rap américain ? Car le plus troublant est l'absence de superposition (jusqu'au final de « White Flag »), mais bien d'une juxtaposition bizarre.
Très rapidement donc, cela ne fonctionne plus, la faute aux treize titres suivants qui prennent leurs distances. On se retrouve plutôt dans un grand foutoir, où il n'y a pas de couleur uniforme. L'histoire de l'île paraît définitivement fumeuse. A moins de se l'expliquer en cela qu'elle permet de « justifier » une politique de création bien particulière : la table rase. En quelque sorte, grâce à cet îlot artificiel, il s'agit pour Gorillaz de tout construire depuis le début, sans contraintes radiophoniques, sans étiquettes dont il est impossible de se défaire intégralement sinon, sans limites.
Malgré tout, le résultat est inséparable de tout ce qui a été accompli par Damon Albarn auparavant. L'influence de sa musique, de ses tâtonnements précédents avec Blur, avec The Good The Bad And The Queen, de ses productions de musiques africaines, est particulièrement présente. Plastic Beach alors peut être réduit à un patchwork de toutes ses anciennes productions, ponctué de cette petite touche supplémentaire de maturité pour solidifier certains choix.
C'est à ce moment-là que l'effet des multiples invités se fait sentir. En effet, ce n'est pas un hasard s'il n'y a que quatre morceaux où aucun featuring n'est à signaler. Dans le jeu des couleurs, chaque participant a un rôle très précis à jouer. À noter que dans cette valse, les grands gagnants ne sont pas les noms les plus ronflants. La jolie surprise se nomme Little Dragon. Le groupe suédois et sa chanteuse d'origine japonaise à la voix si doucereuse participent aux deux moments les plus charmants d'entrée de Plastic Beach : les deux dernières minutes de « Empire Ants » et « To Binge ».
A l'instar de son grand frère, mais encore plus aidé de l'extérieur, Gorillaz a-t-il encore signé un grand album pop à single ? Difficile à dire, même avec un peu de recul, pour ce qui est des singles. Il est certain qu'il manque des morceaux qui font mouche dès le premier abord. Mais n'était-ce pas déjà un peu le cas pour Demon Days ? « Feel Good Inc. » n'avait pas la puissance de frappe de « Clint Eastwood », tout comme « Stylo ». Pourtant, la machine s'était emballée par la suite. Deux singles. Trois. Quatre. Cinq. Tous plus évidents les uns que les autres, tout simplement ; et devenant même de beaux tubes bien qu'ils soient presque anodins sur album, comme « Dare » et « Dirty Harry ».
Dès lors, oui, cet album est incontournable de l'année. Non pour l'écouter d'une traite mais bien parce qu'il y a matière pour chacun de trouver son moment de grâce à droite et à gauche, en picorant selon l'humeur quelques morceaux. Un jour, l'écoute fera état d'une admiration renouvelée pour l'ambiance délicieusement estivale de « To Binge ». Le lendemain sera le tour du minimalisme électronique façon « Glitter Freeze ». Sans oublier de rendre hommage parfois à la rondeur de la basse de Simonon. Une seule constante dans ce méli-mélo d'humeurs : on ne s'ennuie jamais sur Plastic Beach.
.: Tracklist :.
01. Orchestral Intro
02. Welcome to the World of the Plastic Beach
03. White Flag
04. Rhinestone Eyes
05. Stylo
06. Superfast Jellyfish
07. Empire Ants
08. Glitter Freeze
09. Some Kind Of Nature
10. On Melancholy Hill
11. Broken
12. Sweepstakes
13. Plastic Beach
14. To Binge
15. Cloud Of Unknowning
16. Pirate Jet