Cult Of Luna est inarétable. Mais Cult Of Luna est surtout intouchable, c’est désormais une certitude. Alors que chaque pièce d’orfèvrerie composant l’impressionnante discographie des suédois semble avoir été pensée toute une vie durant, le groupe ajoute avec Eternal Kingdom une nouvelle pierre angulaire à son édifice, tout juste deux années après un Somewhere Along The Highway qui semblait marquer l’apothéose des expérimentions sonores sur lesquelles travaillaient les musiciens. Ce nouvel opus atteint pourtant une nouvelle marche, et continue de propulser Cult Of Luna au firmament des formations les plus douées de sa génération.
La surprise n’aura certes rien de comparable à celle affligée par Salvation à sa sortie, album qui avait vu Cult Of Luna emprunter occasionnellement des chemins plus éthérés. Une alchimie entre un calme apaisant et une tourmente sauvage que le groupe maîtrise une nouvelle fois à la perfection, la formule s’appliquant à Eternal Kingdom avec le même savoir-faire que pour ses prédécesseurs. Mais si les musiciens semblent désormais avoir joués toutes leurs cartes en matière d’originalité, s’inscrivant définitivement dans une voix qui leur est totalement personnelle, ces derniers conservent bien heureusement toute la sensibilité musicale propre à leur musique. Eternal Kingdom est un album qui touche. Un disque qui ferait presque mal, manifeste d’une profonde désillusion en l’humain, tant chaque morceau s’évertue à explorer des contrées sombres et torturées. Un univers dépouillé, sale et froid, mais pourtant passionnant et hypnotisant. De ces contrées lugubres s’élève la musique d'Eternal Kingdom, envenimée d’une noirceur encore plus venimeuse que sur le désenchanté Somewhere Along The Highway (le pesant « Owlwood » d’ouverture en témoignera de par une rage comme trop longtemps contenue). Le mur de guitares bâti par le trio Persson / Kihlberg / Olofsson se montre inébranlable, détenteur d’une puissance qui viendra terrasser la moindre élément dressé sur son passage. Terrifiants, les accords instaurent en quelques secondes un horizon décharné, un ciel d’ocre écrasant.
Si l’éclaircie guette au loin, matérialisée de rares notes virevoltantes satinées des interventions électroniques raffinées de Anders Teglund, Eternal Kingdom ne promet pourtant aucun échappatoire à son univers cauchemardesque (« The Great Migration », envoûtant et glacé, le fantastique « Following Betulas », « Curse »). Des percées lumineuses éparses, mains tendues insaisissables aux damnés du triste monde imaginaire de Cult Of Luna. A cette abîme musicale sans fond répondent les voix du binôme Klas Rydberg / Johannes Persson, chant qui s’écrase sur les vagues d’électricités matérialisées par une section instrumentale redoutable de cohérence. La composante vocale demeure disséminée avec la même parcimonie, laissant de vastes étendues vierge de sa présence, interludes propices à de nombreuses divagations sous acides (« The Great Migration », le langoureux « Ghost Trail »). Précieuses, les tirades vocales transcendent lorsque ces dernières daignent marquer au fer rouge la musique de Cult Of Luna, les deux vocalistes laissant échapper des hurlements douloureux et arrachés.
Avec Eternal Kingdom, Cult Of Luna parvient à conserver toute sa sensibilité et son aura magnétique. Dans le petit monde du postcore, les suédois évoluent à mille lieux d’une majeure partie de ses concurrents, et ce cinquième album tend à prouver que l’inspiration des musiciens ne se dresse définitivement aucune frontière. Immanquable.
.: Tracklist :.
01. Owlwood
02. Eternal Kingdom
03. Ghost Trail
04. The Lure
05. Mire Deep
06. The Great Migration
07. Osterbotten
08. Curse
09. Ugin
10. Following Betula