Une abîme sans fond, terrifiante et vertigineuse. Chaque nouvel album des Manes est au final une reproduction parfaite des sentiments désillusionés de ses membres. Une abîme sans fond, terrifiante et vertigineuse. Car si l'aventure avait débutée sous l'étiquette black-metal au début des années 90, l'expérience et le poids des années n'ont pas été sans marquer leur sceau sur la musique d'une formation injustement méconnue. Avec Vilosophe il y a maintenant quatre longues années, ceux-ci avaient opérés un changement de cap aussi brutal que surprenant et appréciable. Manes ne se préoccupe pas de ses auditeurs, n'ayant aucunement peur de les chambouler, et c'est bien ce qui fait une nouvelle fois la force de ce tétanisant How The World Came To An End.
Car aujourd'hui, Manes ne possède absolument plus rien de metal. Pourtant, ce nouvel opus est tout simplement proche du sublime et se profilera sans peine comme l'un des meilleurs albums de cette première moitié d'année. Qu'importe l'avis des grincheux de la première heure en manque de saturation, le quintet s'oriente encore d'avantage vers les longues étendues électroniques et trip-hop explorées avec succès sur son précédent essai, accouchant de dix pépites dignes (dans l'esprit) de la beauté d'un Radiohead. Les instrumentations s'étirent dans l'espace-temps, habillées par une basse marquée et indispensable à la bonne tenue des morceaux, se plaçant en véritable fil conducteur puisque celle-ci demeure le seul instrument à intervenir sur la totalité des structures. Il y a bien longtemps que Manes n'a plus usé des accords de guitares en tant que mètre étalon, la six-cordes distillant savamment et harmonieusement ses interventions, plaçant quelques notes éparses en apesanteur ou venant électrifier un refrain d'inspiration indus à la suite d'une longue envolée langoureuse et hypnotique (l'arrivée crescendo de celle-ci sur l'outro de l'hypnotisant « Come To Pass », « My Journal Of The Plague Years », plage la plus pesante de l'album). Chaque nouveau titre est une expérience nouvelle, un voyage aussi unique qu'inspiré, certes sombre et désespéré mais sidérant.
Comme chez Radiohead, l'emploi de l'électronique est pour beaucoup dans cette impression d'évasion ininterrompue. Les boucles et samples s'enroulent autour des rares incartades vocales, créant un épais brouillard ténébreux mais pourtant attractif (« Deeprooted », ouverture mystique envoûtante). Certaines autres composantes d'ordinaire étrangères au monde du rock viennent également se greffer aux ossatures des compositions, le xylophone posant quelques sonorités innocentes avant que l'auditeur ne se voie re-plongé dans les tumultes, les claviers atmosphériques se fondant avec brio dans l'ambiance générale de ce The World Came To An End. Bien que ne témoignant que d'une présence mineure, les lignes vocales, en Français ou en Anglais, s'avèrent véritablement variées. Justement placées et exécutées, celles-ci ne viennent nullement entacher la dimension cosmique amenée par les instruments. Laissant vierges de leur présence de longues étendues propices aux diverses expérimentations, ces dernières se parrent d'un écrin à la sensibilité électrisante afin d'habillerpar certains couplets d'interventions oscillant entre un chant haut placé somptueux, des murmures ou encore phrasé parlé langoureux (« Son Of Night Brother Of Sleep »). Malgré son esprit radicalement sombre, Manes ne laisse jamais place à la colère, préférant laisser divaguer l'imaginaire de son auditeur.
A l'écoute de How The World Came To An End, les mots viennent presque à manquer. L'attente aura été longue, mais néanmoins essentielle à la gestation d'un véritable chef d'œuvre. Un disque difficile à décrire, mais néanmoins magique et unique.
.: Tracklist :.
01. Deeprooted
02. Come To Pass
03. I Watch You Fall
04. A Cancer In Our Midst (Plague One)
05. Last Lights
06. Nobody Wants The Truth
07. My Journal Of The Plague Years (Fuckmensch Warmensch)
08. The Cure-All
09. Transmigrant
10. Son Of Night Brother Of Sleep