Chroniquer un disque de techno minimale n'a jamais été chose aisée. En effet, une musique qui dans son essence se base sur la retenue, la sobriété, voire l'aridité, ne constitue pas franchement un appel aux superlatifs en tous genres, que la qualité soit au rendez-vous ou non. Après, Gui Boratto, c'est autre chose. Avec son précédent album, Chromophobia, le brésilien a prouvé haut et fort que oui, on pouvait produire quelque chose de globalement empreint à la froideur du genre tout en apparaissant sexy et groovy. Alors forcément, quand son nouvel opus, nommé Take My Breath Away, pointe le bout de son nez, on se dit que le résultat risque d'être alléchant. Novateur, ce nouvel album de Gui Boratto ?
Aux premières notes (et aux premiers pieds feutrés typiques du genre), la patte présente sur Chromophobia est reconnaissable entre mille : une deep techno sensuelle et onirique, se démarquant des productions allemandes par son côté un brin plus chaleureux et sympatoche. La mélodie, voilà ce qui fait la différence. Quand, à Berlin, ce concept est presque prohibé dans les clubs underground, Gui Boratto nous propose une relecture de la minimale façon cocooning, et il faut reconnaître que ce n'est pas déplaisant. Ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, que le bonhomme ne sache pas y faire en matière de simplicité poussée à l'extrême, mais cela paraîtra toujours plus avenant du côté du Brésil. « Atomic Soda » semble s'être échapée du Unreasonable Behaviour de Laurent Garnier, son passage central un brin distordu amenant une touche aventureuse dans ce paysage feutré. Mais le plus surprenant, c'est que Gui Boratto, avec ce disque, met carrément les pieds sur des sentiers s'éloignant de la techno. Certains titres, à l'image de « Colors », sonnent clairement electro-pop dont les contours ont été dessinés à l'aquarelle, mais toujours élégante, question de style.
Pop, c'est bien ça ? Oui, et n'ayons pas peur du mot, car Gui Boratto, quand à lui, semble maîtriser le concept sans états d'âme, ce qui joue clairement en faveur de sa musique. Une ambiance que l'on retrouve dans ce qui est sans doute le meilleur morceau de son album, à savoir « No Turning Back », un des titres les plus efficaces en matière d'incitation à danser de ces derniers temps. Le titre, porté par une voix féminime et charnelle sur les temps calmes, laisse place à ce qui se rapproche plus d'une house enjouée que d'une techno minimale soporifique dans ses moments d'explosion. Bombe dancefloor, grosse tuerie bien entêtante, appelez ça comme vous voulez, Boratto avance, en faisant ce qu'il lui chante. « Les Enfants » pourrait presque rappeler certains moments de M83, « Besides » nous installe dans un nuage, on touche ici à l'atmosphère d'une electronica éthérée. Si les deux morceaux suivants sont plus dans ce que l'on connaît mieux de lui (ce qui n'est pas un reproche, au vu de la qualité des morceaux, et de leur nouvelle force impulsée par le contraste salvateur instauré par l'artiste dans cette galette), l'unique piano de « Godet », qu'on imagine née d'une fusion entre Apparat et le Piano Works de Craig Amstrong, referme ce disque comme il avait été commencé, avec classe, simplement.
La question que l'on peut se poser maintenant, c'est « y'a-t-il vraiment quelque chose d'apparenté à la techno minimale dans Take My Breath Away » ? Oui, mais ici, Gui Boratto a bien pris soin de digérer soigneusement ses racines (processus déja bien entamé à l'époque de Chromophobia) pour les intégrer parfaitement à sa composition, si bien qu'une fois le disque terminé, et même avec l'étonnante variété qui se dégage de l'album, on ressente une atmosphère d'unité, qui fait exister l'album en tant qu'entité. Le spectre des possibles est ici décuplé, et l'air parfumé qui circule entre les pistes de cet album rend l'écoute infiniment plus appréciable. Que l'on dodeline du chef, que l'on plane, que l'on rêve, ou que l'on soit touché par ce qu'on vient d'entendre, on peut en tout cas dire une chose : avec Take My Breath Away, Gui Boratto est passé du stade de très bon producteur de deep techno à celui de très bon artiste tout court. A écouter définitivement.
.: Tracklist :.
01. Take My Breath Away
02. Atomic Soda
03. Colors
04. Opus 17
05. No Turning Back
06. Azzurra
07. Les Enfants
08. Besides
09. Ballroom
10. Eggplant
11. Godet