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Interview Wax Tailor (Octobre 2012)

De retour avec «Dusty Rainbow From The Dark», deux ans après le pari scénique et discographique que représentait sa tournée avec un orchestre symphonique, Jean Christophe Le Saoult, a.k.a Wax Tailor, a décidé de relever un nouveau challenge, celui du concept-album, dans lequel il va parler du pouvoir d’évocation de la musique. Tout tient du risque calculé dans cette affaire, puisque le DJ s’est entouré de pointures, au chant comme à la narration, pour cet album qui contient autant de titres accrocheurs que d’ambiances cinématographiques qu’il affectionne tant. Toujours passionné quand il parle de ses créations, ce dingue de travail a bien voulu une fois de plus nous donner quelques unes de ses recettes pour nous emmener vers son idéal musical…

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était à la fin de ta dernière tournée en compagnie de l’orchestre symphonique de Rouen. Tu étais ravi de ces dates mais également très fatigué… comment vas-tu aujourd’hui?

Ben tu vois c’est marrant, je n’ai pas été rincé pendant deux ans, et là je suis dans le même état sauf qu’on est en début de tournée! (rires) Et je suis plutôt stressé. Il y a des gens qui disent qu’il faut relativiser le stress et tout ça, mais moi je pense qu’il ne faut surtout pas, car avec le recul tu t’aperçois qu’il y a plein de choses qui ne sont pas essentielles ou dramatiques, mais si tu n’es pas au taquet, ton live s’en ressent. J’ai beaucoup appris au fur et à mesure des tournées, et à un moment il faut savoir être con! Car quand tu as une équipe de quinze personnes, et que tu veux l’emmener vers tel ou tel endroit, il faut savoir dire «Non, là on ne fait pas ça…». Ce n’est pas toujours évident, car c’est mes potes, et l’idée n’est pas d’être un sale con, mais de temps en temps il faut l’être un peu! (rires)

Ton album, Dusty Rainbow From The Dark, vient de sortir, mais nous sommes également au début de cette nouvelle tournée… Qu’est-ce qui prend le dessus aujourd’hui?
Clairement, la tournée. L’album, il est déjà loin pour moi. J’ai terminé au mois de mars-avril, donc ça commence à faire et même avant la fin, j’étais déjà en train de penser au live. On a travaillé sur des vidéos, des contenus, de la scénographie, donc au final, le live m’a pris un tel temps qu’il m’obnubile… Ce qui est excitant avec un live, c’est qu’il y a une nuance avec le disque: le disque est un instantané, dans lequel on souhaite avoir l’excellence, mais ça reste un instantané, alors que dans le live il y a un truc qui se réinvente tout le temps. Donc on stresse sur le fait de ne pas être prêt, mais ça n’a aucun sens d’être prêt, car les choses évoluent forcément, et tu ne peux pas savoir avant d’avoir essayé.

Tu reviens avec un album pour lequel, selon moi, tu as pris des risques: un album concept est souvent un pari risqué, voire raté. Pourquoi ce choix à ce moment de ta carrière?

L’histoire c’est que l’envie initiale n’était pas celle d’un «concept album», car ça ne veut rien dire, mais celle d’un album avec un narrateur, et ce depuis fort longtemps. La première fois que je me suis dit que j’allais le faire, c’était vers 2006, et lors de la tournée précédente, je me suis dit c’est bon, on y va. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que comme dans plein de projets, tu n’as jamais tous les paramètres de ce qui t’attend, et c’est bien en fait, car sinon on n’irait jamais! Et puis j’avais cet écueil en tête comme tu le dis, ce côté casse-gueule, car c’est particulier, il faut avoir le sentiment personnel de le réussir, car tu y mets beaucoup d’énergie. Donc j’ai essayé de déterminer quelles étaient les attentes de mon côté, ce que je voulais faire, je me suis cherché un axe, un thème général, et à partir de là, vu que j’avais choisi le pouvoir d’évocation de la musique, la logique voudrait que je commence par la musique. Donc c’est ce que j’ai fait, j’ai bossé sur la musique, la compo, en cours de route j’ai commencé à me demander si je n’étais pas en train de me planter… Mais en même temps, c’était pas dramatique, car je me suis dit que dans le pire des cas, je serais frustré…


C’était le concept plutôt que la musique, que tu avais peur de rater?

Oui voilà, les titres auraient pu exister seuls, mais j’ai eu un peu peur de ne pas trouver l’idée. Et puis c’est venu naturellement. C’était un jour où j’avais décidé de faire un break, de ne rien faire, et j’ai eu l’idée à ce moment là. La deuxième étape a donc été celle de l’écriture, donc là je suis parti à New-York pour travailler avec Sarah Genn, avec qui j’avais déjà collaboré, car j’avais besoin de quelqu’un de confiance, quelqu’un qui ait aussi une fibre sur la question… On a travaillé, on a trouvé une forme aboutie au bout d’un mois, et début 2012, la phase réalisation, avec les enregistrements des chanteurs, des MCs et du narrateur, ce qui a été un gros boulot.

C’est à ce moment là que tu as réussi le grand écart entre ta narration et les titres en eux-mêmes, vraiment efficaces et accrocheurs, ces «singles» qui jonchent l’album?
C’est marrant que tu pointes ça, car c’est ça qui était compliqué. Moi j’avais une envie, c’était de dire que j’avais pas envie d’un album «perché», genre très particulier, mais plutôt un album que tu aies envie d’écouter et dans lequel tu peux aller piocher des titres, quand tu n’as pas forcément envie d’écouter l’album en entier. Mais c’est vrai que rapidement, ce qui est venu, c’est que je n’avais pas envie de faire une comédie musicale. Le bon chemin de traverse était de dire aux artistes présents sur l’album: voilà l’histoire, ton morceau arrive à tel moment, ça s’appelle «La clef» ou «La fenêtre», par exemple, le thème est là-dessus, et on a avancé ensemble pour trouver des textes qui étaient l’illustration de ce moment de l’histoire. Pour moi, les moments où il y a de la musique sur l’album sont ceux où l’enfant se projette dans l’imaginaire. Donc du coup, tout est possible… et c’est aussi comme ça que j’ai pensé le live.

Charlotte Savary

Autre risque important de cet album, plutôt que de parader avec des featurings ultra-populaires, tu préfères faire découvrir aux gens, par exemple, Jennifer Charles ou Shana Haligan, qui sont des chanteuses remarquables et réputées aux Etats-Unis, mais inconnues en France…
En fait, c’est con à dire, mais ce ne sont pas des questions que je me suis posé, mais plutôt des envies. Il se trouve que les artistes que j’affectionne sont souvent des artistes anglo-saxons, américains, et que ça s’est fait comme ça… Le moteur c’est aussi le fait que ces gens-là sont des gens que je respecte, et qui, et c’est le plus important, ont joué le jeu. Je ne peux pas concevoir de bosser le truc si je vois que les chanteurs ne jouent pas le jeu. Ce que j’entends par là, c’est que j’ai des idées précises, et que je pense qu’il faut qu’ils acceptent cette idée là. Après c’est aussi des gens que je connais à des degrés variables. Aloe Blacc (il chante «I Need A Dollar, NDLR), ça fait longtemps que l’on se connaît, et c’est marrant d’ailleurs, car c’est un peu devenu une superstar maintenant…

Comment est arrivée la rencontre avec Don Mc Corkindale (voix célèbre de la BBC et narrateur de l’histoire, NDLR)?
Alors ça, c’est le plus gros challenge de l’album, objectivement. Pour moi, il y a plusieurs portes d’entrées dans le récit, et c’en est une. Il y a quelqu’un qui m’a interpellé, il y a peu, et qui m’a demandé si je n’avais pas peur que tout le monde passe à côté du truc, avec une histoire en anglais, tout en étant français. Et je lui ai répondu non du tac au tac, parce que ce n’est pas primordial. Pourquoi? Parce que pour moi, le point de départ, c’est le pouvoir d’évocation de la musique: donc j’ai composé une partition musicale qui m’a évoqué une histoire, que je raconte. Et je suis convaincu, qu’il y a plein de gens qui vont écouter l’album, rentrer dans l’univers et qui ne seront pour autant pas capable de te raconter les détails de l’histoire. Et ce n’est pas grave, car c’est une allégorie, il n’y a pas de prétention délirante sur l’histoire, et le plus important c’est le mécanisme. La voix du narrateur, c’est la même chose, et c’est pour ça que c’était hyper important: quand le narrateur a déjà soixante ou soixante dix ans, qu’il a une expérience, une voix très oxfordienne, une assise, et qu’il dit «There once was a boy who lived in a house…», c’est la porte d’entrée à l’histoire.


Et le grain de sa voix est très particulier, aussi…

Exactement, et ce que je cherchais, c’était une voix qui pouvait évoquer les contes que tu as pu entendre étant gosse, une voix extrêmement racée, typée. J’ai écouté pas loin de trois cents narrateurs avant de choisir. Et j’ai eu de la chance car une fois qu’il a accepté, le plus dur était qu’il accepte de le faire à ma façon. Et ça, ça n’a pas été facile. D’accepter que je sois en studio avec lui et que le dirige, en lui expliquant exactement ce que je veux. Quand tu as quarante ans d’expérience, à la BBC, etc, tu es en droit de ne pas accepter cela. Et moi j’ai essayé de lui faire comprendre que ce qui m’importait, c’était la musicalité des mots. Donc je suis plutôt content au final, car j’ai l’impression qu’il a compris. Et on a même gardé le contact, donc c’est plutôt chouette.

Il y a beaucoup de «plus» dans cet album, le petit «moins» par rapport au autres, c’est le plus petit rôle que joue Charlotte Savary sur celui-ci (la chanteuse interprète de nombreux titres des albums précédents, et notamment les plus connus, NDLR)…
Oui, c’est vrai, je suis d’accord avec ça. Je suis le premier spectateur de mes albums, et l’album précédent, j’étais très étonné qu’il y ait si peu de place pour l’instrumental, par exemple, j’étais partagé entre les envies instrumentales et celles, très excitantes, de travailler avec des gens. Pour Charlotte, c’est un peu la même réflexion, je suis allé vers le propos musical, j’avais des envies, je pense qu’il y a largement deux ou trois morceaux qu’elle aurait pu faire, objectivement, si je n’avais pas fait appel à d’autre chanteuses. Et je n’avais pas non plus envie de rajouter des titres qui n’avaient pas lieu d’être, juste pour dire que j’allais faire plus de morceaux avec Charlotte. Et je pense qu’elle l’a complètement compris. Après sur scène, elle reprend «Hard Stop» et «Down In Flame» de manière bluffante…

Pourquoi avoir décidé de réaliser les beats et nappes de cet album uniquement avec des samples tirés de vinyls? Est-ce un sorte de caution old-school?
C’est une envie personnelle, je sortais du précédent où tout le monde me disait que j’allais travailler avec un orchestre symphonique, et comme je prenais beaucoup de plaisir à rejouer certains anciens morceaux, j’avais vraiment envie de revenir à quelque chose 100% sampling, et les choses se sont faites comme ça. Il y a pas mal de titres qui sont une sorte de mix entre les inspirations symphoniques du précédent album et le reste, comme «Phonovision», par exemple, dont je suis super content, qui est complètement cinématographique, sans artifice, sans voix, juste de la musique qui raconte quelque chose, et d’un côté je me dis que sans l’album précédent, je ne l’aurais jamais fait, car il est très orchestral.

Tu viens d’achever une tournée américaine, comment as-tu été accueilli là-bas, et qu’as tu pensé du public américain?
Je suis super content. C’était plus léger, car je suis parti là-bas avec un peu moins de technique, et ça nous permettait aussi de tester des choses. Et par rapport aux Etats-Unis, j’avais un peu peur de jouer devant une centaine de personnes et pas plus car je n’avais rien sorti là-bas depuis trois ans, et au final on a commencé à Los Angeles où c’était quasi-complet, à San Francisco, Seattle, New-York, Montréal, c’était complet, donc ça m’a bien mis la banane! Pour ce qui est du public, je pense que le grand public américain est encore plus Mainstream qu’en France, mais moi il ne me concerne pas, car je fait des niches alternatives là-bas. Je ne touche pas les gens qui écoutent des mauvaises radios! (rires)

Mattic

Justement, là-dessus, toi qui a découvert et fait découvrir le rap à la fin des années 80, avec «Deenastyle» notamment, sur Radio Nova, que penses-tu de la façon dont les gamins découvrent une grosse partie du rap aujourd’hui, c’est à dire sur Skyrock?
J’ai un petit espoir, sans faire dans l’optimisme démesuré, c’est Internet. C’est compliqué car on ne peut pas comparer le début des 90’s à aujourd’hui car on est passé d’une culture alternative, underground à un truc Mainstream qui est partout! Le Hip-Hop est partout aujourd’hui, donc il est partout… il est nulle-part. C’est le problème. Ce qu’on nous donne du Hip-Hop aujourd’hui, ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant. Il y a aujourd’hui plein de gens qui pensent savoir ce qu’est le Hip-Hop et qui ne savent pas. Je pense que c’est un travail de longue haleine, il faut batailler, ne rien dire sur ce qu’ils écoutent pour ne pas les braquer, et faire écouter d’autres trucs.

A quoi peuvent s’attendre les gens qui vont te voir en concert sur cette nouvelle tournée? A du tout nouveau?
La scénographie est totalement nouvelle, on est reparti d’une feuille blanche. Elle s’appuie sur ce concept album, sans jouer que les nouveaux titres, une sorte d’histoire dans l’histoire… le live est découpé en tableaux, en chapitres, avec à chaque fois un retour à la narration où tu entres dans l’imaginaire de l’enfant… Et niveau images, j’ai travaillé avec un vingtaine de réalisateurs, donc il y beaucoup de nouvelles choses!

Un grand merci à Jean Christophe de nous avoir accordé de son temps très précieux avant la grande première.
Un grand merci également à Nicolas Humbertjean ainsi qu’à Denis (management Wax Tailor), et l’équipe du 106 (Rouen) qui nous ont permis de réaliser cette interview.
Interview: Julien Peschaux pour Vacarm.net
Photos: Barbara Chesneau et Julien Peschaux

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