Comment s'est effectuée la création du label ?
Le plus naturellement du monde : nous avons eu simultanément l'opportunité d'avoir un contrat de distribution au niveau national pour tous nos artistes à venir, l'envie commune de se professionnaliser dans le domaine de la musique, et des disques à sortir ! Tout ça début 2004. Nous avons alors choisi d'arrêter nos jobs respectifs pour monter cette structure, s'y investir à temps plein, et tenter l'aventure de l'indépendance. {multithumb thumb_width=500 thumb_height=350}
Quel a été votre parcours pour en arriver là ?
La création de Jerkov est la suite logique de nos rencontres. En 2000, Matthieu et moi-même étions (et sommes toujours) membres de 2 des trois groupes fondateurs du collectif Toulousain Antistatic, Psykup et Delicatessen. Mathieu est bénévole pour Antistatic, et a été rédacteur en chef de notre fanzine « LA REACTION POSITIVE » pendant quelques années. Au fil du temps, du développement des groupes, et des rencontres, l'envie de proposer un label qui correspondrait à nos attentes a émergé peu à peu.
Que représente un label comme Jerkov dans l'industrie musicale ? (niveau humain / financier/ etc…)
En terme de chiffre, pas grand'chose je pense, il faut être honnête. Petit chiffre d'affaire, 3 personnes, bref, une paille dans l'industrie musicale si on nous compare aux majors du disque.
En revanche, dans le milieu indépendant, et malgré la jeunesse de notre structure, nous avons en peu de temps réussi à acquérir une bonne crédibilité, notamment par la qualité de nos artistes. Le choix artistique est prédominant pour nous, et reste le fil conducteur de nos choix en terme de signatures, même si bien sûr, des critères de rentabilité sont à prendre en compte pour qu'on puisse continuer à exister.
Est-ce que le fait que Jerkov soit une petite structure vous oblige à être beaucoup plus polyvalent dans votre travail ? (c'est-à-dire : devez vous jouer plusieurs rôles au sein de l'entreprise ? attaché de presse, gestionnaire, etc….)
Aujourd'hui, le label est constitué de 3 personnes, qui ont chacune une activité bien distincte, même si bien entendu nous sommes tous amenés à soutenir l'un ou l'autre dans ses activités parfois.
Matthieu a en charge le booking des artistes (organisation de tournées). Mathieu gère la promo nationale (radios, presse…). J'ai en charge les aspects contractuels et financiers, suivi de distribution, développement à l'étranger. Nous avons actuellement un stagiaire, Gwen, qui a en charge la promo locale. Nous venons de recruter un assistant booker également, pour assister Matthieu dans son travail d'organisation de tournées.
Cette répartition des tâches s'est faite selon nos parcours respectifs, les connaissances, envies et compétences de chacun. Et pour le moment, ça marche pas mal !!
Quelle est votre stratégie de communication ?
La plus large possible en terme de medias visés, mais adaptée à chaque artiste. Mathieu met en place un plan de promotion lors de chaque sortie d'album, avec l'ensemble des medias à contacter, susceptibles d'être intéressés par l'album en question, ainsi que l'échelonnement dans le temps des medias à démarcher. Le but est de coller le plus à l'esthétique de l'artiste. Pour caricaturer, démarcher la presse spécialisée metal pour un artiste world ne sert strictement à rien, et décrédibilise à la fois l'artiste et le label. Nous cherchons à être pointus, à travailler de manière utile à l'artiste,
Nous utilisons également énormément les supports papiers (flyers, stickers), qui permettent de diffuser dans les lieux ciblés (salles de concerts notamment) la tournée de tel ou tel artiste, et d'informer le public de la sortie d'album.
Avez-vous une recherche esthétique ? (Votre visuel …)
Oui en ce qui concerne le label. Nous tenons à ce que les albums soient de beaux objets (digipacks notamment).
Moins directement en ce qui concerne les artistes. Ils gèrent leurs visuels de leur côté, mais nous émettons un avis par rapport au résultat. Ils restent toutefois les maîtres de leurs choix esthétiques, et nous les respectons. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu grand'chose à reprocher, et en toute sincérité, tous les visuels que nous avons eu jusqu'à présent nous ont beaucoup plu, et correspondaient à ce qu'on attendait.
Quelle est votre démarche pour la recherche de nouvelles signatures?
L'écoute, l'écoute, l'écoute. Nous recevons pas mal d'albums, que nous écoutons tous, systématiquement. Ca prend parfois un peu de temps, mais c'est fait. Et nous répondons à tous, avec quelques commentaires sur ce que nous avons pensé.
Par ailleurs, lorsque nous entendons une musique qui nous plaît, nous contactons parfois directement les groupes ou leur management, pour leur proposer une signature. C'est comme ça que ça s'est fait pour Sybreed, notre dernière signature, qui est un groupe Suisse.
Etes-vous spécialisés dans un seul style de musique ?
NON ! Définitivement NON ! Tous les trois, nous écoutons toutes sortes de musiques, et nous prônons la diversité musicale. Nous cherchons à décloisonner les genres, et nous tenons à ce que ça se retrouve dans notre label. Des groupes comme Sybreed, Delicatessen, Agora Fidelio n'ont pas grand'chose en commun dans leur manière de composer, et se situent dans des démarches artistiques différentes. Et nous souhaitons vraiment rester dans cette logique d'ouverture.
Recherchez vous une démarche artistique particulière chez vos artistes ?
Comme je le disais juste avant, nous ne cherchons pas une musique particulière. Nous aimons en revanche trouver une certaine originalité, une créativité dans nos artistes. Bref, de la musique de qualité. Nous estimons que le seul argument de vente d'un disque est la musique. Pas le marketing du genre « LA NOUVELLE SENSATION BLABLABLABLA ». Et nous cherchons donc avant tout des musiques avec une réelle dimension artistique, émotionnelle, créative.
Peux-tu me décrire en quelques mots qui sont les groupes du label Jerkov ?
Je vais essayer de répondre de manière synthétique à ça, mais c'est forcément extrêmement réducteur…
MARY SLUT : Tribal transe et metal du collectif Antistatic – Ou comment la transe et l'énergie peuvent fusionner.
AGORA FIDELIO : Rock Intimiste et Aérien. Très beau et intelligent.
MANIMAL : Open Death. Violent, ouvert et classe à la fois…
FEEDING : Au confluent du néo et du hardcore. La preuve que le décloisonnement des genres est l'avenir de la musique
DELICATESSEN : Rock ouvert et cinématographique. Le chaînon manquant entre dEUS et Terry Gilliam
PSYKUP : Metal ? du collectif Antistatic – Ou le métal réinventé
SYBREED : Nourris à Nine Inch Nails et Fear Factory, ils réconcilient l'ancienne et la nouvelle école.
Encore une fois, c'est très réducteur…
Comment expliquez vous la notoriété récente des groupes signés chez Jerkov ?
Pour moi, ça rejoint exactement ce que je disais plus haut : la qualité artistique de nos artistes finit par porter ses fruits. Nous ne faisons que donner le petit coup de pouce qui permet parfois de passer un cran au-dessus au niveau notoriété.
Est-ce que le bilan financier et humain depuis la création du label est positif ?
Oui, sans hésitation. Humainement, aucun doute là-dessus : entre les fondateurs du label, avec les groupes signés, avec les structures avec qui nous travaillons. Financièrement, nous progressons plus vite que prévu, et le bilan est déjà positif.
Est-ce que les récents problèmes de l'intermittence vous touchent dans ton travail ?
Oui, bien sûr. Nous nous sentons solidaires de tous ces artistes et techniciens. Si une remise en cause du système en place était souhaitable, et même préconisée par les professionnels du spectacle, la nouvelle donne n'a fait que reproduire le système existant, en excluant les plus fragiles. Le tout par un passage en force, comme de nombreuses évolutions ces dernières années…
Est-ce que la dissolution des labels Yelen et Trypsichord est une opportunité ou une contrainte pour vous ?
Ca a surtout été une source d'inquiétude : il s'agissait de labels et distributeurs en place depuis de nombreuses années, avec une certaine assise dans le milieu de la musique. Or, nous sommes à peine en train de construire notre assise. Va-t-on tenir ? Combien de temps ?
Par ailleurs, ça représente un nombre conséquent d'artistes qui se retrouvent tout-à-coup sans label ou sans distributeur. Les structures existantes ne sont pas à même de tous les prendre en charge, elles mettraient leur stabilité en péril. Bref, c'est symptomatique d'une restructuration du milieu du disque, et c'est plutôt une source de questions et de problèmes qu'une opportunité.
Quels sont vos projets ?
Continuer sur notre lancée, continuer à faire des découvertes, sortir des albums intéressants, et développer nos artistes en territoires étrangers. Continuer à élargir notre catalogue à d'autres courants musicaux. Toujours en conservant notre exigence artistique au niveau des artistes signés.
Comment voyez-vous l'évolution de votre travail dans le futur (niveau national / international) ?
Nous allons, je pense, limiter les signatures pendant quelque temps, pour avoir le temps de bien travailler au développement des artistes déjà signés en licence. Je ne parle pas d'un arrêt total des signatures, continuez à nous envoyer vos albums !! Mais nous estimons que plus d'une dizaine d'artistes représentent trop si on veut travailler correctement au développement des groupes, à l'étranger notamment.
Pour résumer, nous allons plutôt essayer de développer les artistes déjà signés que chercher à signer plein de nouveaux artistes.
Quel regard portez vous sur votre région en matière de musique ?
Je pense qu'on a une région particulièrement riche en artistes créatifs, avec un potentiel largement national, voire international. Il faut les pousser vers l'avant.
La politique de la région consiste plutôt à financer certains organismes chargés de faire ce travail. Dans la pratique, ça n'est pas fait comme on l'aimerait. D'où l'existence de structures comme Antistatic, No Larsen…qui prennent le relais des structures officielles sur les créneaux rock. De nombreux autres activistes non subventionnés existent, et c'est ce qui fait que l'activité artistique reste entretenue dans la région.
Dans quelle mesure, selon vous, Internet a changé l'activité des labels comme Jerkov ?
Pour être honnête, vu l'âge de notre structure, nous avons toujours travaillé avec Internet. Je ne sais donc pas concrètement comment c'était « avant ». Je ne peux que faire des suppositions.
Ce qui est sûr, c'est que ça permet de toucher en quelques minutes des personnes situées à l'autre bout de la France ou du monde, à un moindre coût !! Et pour une structure comme la nôtre, aux faibles moyens financiers, c'est un paramètre essentiel. Ca permet également d'entrer en contact avec des structures à l'étranger pour le développement de nos artistes. Les webzines, de plus en plus reconnus, permettent une visibilité des groupes (chroniques d'albums, live reports partout dans le monde !!). Merci à vous !
Nous avons par ailleurs mis en place une boutique de VPC (paiement sécurisé et tout et tout sur http://www.jerkov.net/shop ), qui permet à des personnes situées dans des zones où les albums sont mal distribués de se procurer les disques. C'est important ça aussi.
Une question totalement conne pour tester votre humour : Préféreriez-vous que les jeunes filles qui adulent vos groupes vous envois des cartons de lettres remplies de mots d'amour et de photos d'elles ou qu'elles assiègent, hystériques, le bureau du label ?
Je préfère les salades de fruit, pas toi ?