A l’occasion de la sortie récente de Derrière l’œil, les rennais de X Makeena ont bien voulu répondre à nos questions concernant la conception de ce troisième album, la mise en scène de leur nouveau spectacle ou encore leur vision du marché du disque actuel. Retranscription d’un entretien à la fois riche et instructif.
Votre dernier album est sorti en septembre dernier : comment s'est passé son enregistrement ?
Says : contrairement aux deux albums précédents, que nous avions joués sur scène avant de les transposer en studio, nous avions relativement peu de morceaux aboutis lorsque nous avons commencé Derrière l'œil. L'enregistrement de ce troisième album s'est donc déroulé en deux temps. Il y a eu toute une période au cours de laquelle nous avons composé les morceaux. NiCo, à la programmation musicale, produisait des instrumentaux sur lesquels Stefo venait poser des lignes de basses. Pendant ce temps là, Vicking et moi planchions sur l'écriture des textes en concertation avec les frangins. On a fait pas mal d'essais, certains morceaux sont passés à la trappe tandis que d'autres ont aboutis… Le processus de création quoi ! Du coup on a fait pas mal d'enregistrements « témoins » de voix et de basses en home studio qui nous ont servis à structurer les nouveaux morceaux. Puis, quand on a réuni suffisamment de matière, nous sommes allés faire les prises définitives au Passage à Niveaux à Rennes, qui est le studio d'enregistrement d'un de nos ingénieurs du son, Seb Lorho. Fabrice Bayard, notre ingénieur du son principal, nous as accompagné au moment des prises, notamment pour nous donner un avis extérieur dans l'interprétation. Le mix de l'album a été fait au Passage à Niveaux par Fab et Seb en concertation avec le groupe. Le disque a été ensuite masterisé par Julien Courtois à Master +.
Pourquoi l’avez-vous d’ailleurs intitulé Derrière l’oeil ?
Stefo : c'est le nom du morceau le plus introspectif et on trouvait qu'il résumait bien l'approche de cet album. On aime laisser de l'interprétation au public et ce nom évoquait plusieurs choses pour nous… Derrière l'œil, on trouve le cerveau, le côté psychologique. Ca peut être aussi derrière l'œil qui nous regarde, nous surveille, derrière l'œil de la caméra… Au moment d'attaquer le visuel de l'album, j'ai essayé de garder cette approche en rajoutant en plus une dimension de paysage, de voyage intérieur, tout en appliquant un traité graphique très technologique sur un élément très humain…
A l'écoute de vos morceaux, on ressent un tournant dans la musique de X Makeena : le son est plus travaillé, voire plus « posé », vous touchez à d'autres influences… Vous pouvez m'en dire plus sur ces changements ?
NiCo : c'est vrai que cet album est beaucoup plus posé que les précédents. A chaque nouveau disque, on en apprend énormément sur le travail de composition et de traitement du son. Pour Derrière l'œil, on avait une vraie volonté d'épurer chaque élément musical pour gagner en puissance et en lisibilité. Le fait d'avoir ralenti le tempo, sur certains morceaux dubstep par exemple, nous a ouvert de nouvelles portes en terme de dynamique sonore. En cherchant des sons qui avaient le temps et l'espace pour se développer, on était loin de la frénésie propre aux morceaux drum’n bass avec des tempos autour de 200 bpm ! Il y a également eu un gros boulot collectif depuis nos débuts pour arriver à une meilleure qualité sonore. Ca fait très longtemps que nous sommes accompagnés par Madfab de Zf Prod et Choupi du studio P.A.N. Ils nous ont vraiment appris au fil des ans à comprendre et à travailler sur la dynamique du son, de la composition au choix des instruments, des micros, autant pour le live que pour les disques. Pour le dernier album, nous avons notamment fait le choix de faire un mastering beaucoup moins fort et agressif que la moyenne des productions actuelles, afin de gagner en subtilité et en musicalité et de ne pas cautionner la « baston sonore » qui existe actuellement. Notamment « Loudness war », à explorer sur le net pour les intéressés. Il faut donc tourner son bouton de volume pour apprécier, comme on le faisait avant !
Les textes de Vicking et Says sont également plus subtiles, mais toujours aussi revendicateurs. Est-ce que vous avez gagné en maturité dans votre approche de l'écriture ?
Vicking : je pense que les textes sont à l’image de tout le reste. On a évolué tout en gardant notre approche de départ, à savoir que depuis le début, nous essayons de développer l’univers d' X Makeena de manière très visuelle et je pense que c’est ce qui nous pousse aussi à privilégier l'écriture de textes imagés, avec parfois plusieurs niveaux de lectures, ce qui ne dévalorise en rien l'importance du fond, bien au contraire. Derrière l'œil nous a aussi permis d'expérimenter des voies que nous n'avions pas trop emprunté jusqu'ici : des textes plus sombres et plus introspectifs et des flows assez lents où le texte peut prendre une toute autre ampleur, sans précipitation ni volonté de rapidité comme sur morceaux « Les signes » ou « Derrière l'œil ». On retrouve le côté plus « habituel » et cinglant d' X Makeena sur un morceau comme « Imagine » et aussi le côté descriptif, avec la volonté de décrire une partie du monde et de la présenter comme tout droit sorti d’un tableau, d’un film ou d’une photo comme sur « La fin d'un monde », « Programmés » ou « Masse critique ».
Vous avez invité une nouvelle fois le MC canadien Bleubird à participer à l'album, mais aussi Robert Le Magnifique et Arm. Comment se sont déroulées ces collaborations ?
Says : pour la sortie d'Instinctive dérive (ndlr : 2èle album), nous avions une soirée carte blanche à l'Antipode. Nous en avons profité pour faire venir Bleubird de Montréal. Il est arrivé la veille pendant que nous étions en résidence. Comme il jouait en guest sur le set des X Makeena (ndlr : le morceau « Noise conspiracy »), nous lui avons proposé d'écrire un couplet sur le thème des énergies. Il s'est pris au jeu et le lendemain il est arrivé avec un texte dont le sens collait vraiment aux parties que nous avions déjà, ce qui a donné « Masse critique ». Puis, nous avons fait une tournée commune d'environ 20 dates et enregistré le morceau dans la foulée. Robert le Magnifique était déjà présent sur l'album précédent, puisqu'il a posé des scratches sur « En orbite ». NiCo était en train de composer un morceau instrumental qui sonnait ludique par rapport au reste de l'album. Il a donc pensé à Robert pour étoffer la production. D'une part en envoyant du scratch sur un beat en ternaire, mais aussi en y mettant directement sa patte puisqu'il a rajouté des lignes mélodiques de synthé sur « Robots in love ». Le featuring avec Arm est quelque chose de plus nouveau. Nous l'avions déjà rencontré notamment quand il jouait avec Abstrakt Keal Agram. On aime bien sa plume et on a tous pas mal écouté Psykick Lyrikah, du coup ça nous motivait bien de faire un titre avec lui. C'est Vicking qui a initié la rencontre. Il l'a contacté pour qu'il passe écouter les morceaux en chantier quand nous maquettions. Puis, quand les ambiances se sont un peu affirmées, nous nous sommes arrêtés sur un hip hop noisy bien apocalyptique. On lui a envoyé une version provisoire avec nos couplets et de son côté il a gratté un pur texte « madmaxien », suite à quoi nous avons décidé d'appeler le morceau « La fin d'un monde ».
Arm et Robert Le Magnifique sont très présents dans le milieu de la musique à Rennes : c'est un environnement très soudé ?
Stefo : effectivement on a la chance d'avoir une scène assez soudée à Rennes. Quand on compare avec d'autres villes françaises, on se rend compte que souvent les styles de musiques sont assez compartimentés : les fans de hip hop vont aux concerts de hip hop, les rockeurs aux concerts rock et les publics se mélangent très peu… À Rennes, j'ai l'impression qu'il y a tout un public qui ne s'arrête pas aux étiquettes et qui aime la musique en général… C'est peut-être dû à l'éclectisme de la programmation des festivals bretons, les Transmusicales par exemple… L'autre explication possible est que nous avons des lieux de répétitions et de diffusions très ouverts comme le Jardin Moderne, où on peut facilement rencontrer d'autres groupes et échanger sur nos pratiques… Rennes est aussi une très petite ville où on croise souvent les autres musiciens dans les bars, ça facilite les rencontres et les collaborations !
Pourquoi avez-vous décidé de distribuer l'album uniquement sous forme digitale, via le web et sur vos concerts ? C'est un contre-pied au système de diffusion de la musique traditionnel ?
NiCo : complètement ! Ca fait plusieurs années que le marché du disque s'effondre lentement mais sûrement et sans aucune surprise… Les disquaires indépendants ferment les uns après les autres, les gros réseaux comme la Fnac réduisent sans arrêt l'espace réservé aux disques, au profit des dvd et jeux vidéo, et tout le monde parait dépassé par un phénomène qu'on prévoyait depuis 10 ans déjà ! Il faut donc réinventer un système viable pour que les artistes puissent vivre de leur musique, et notre choix de quitter le réseau traditionnel de vente est une manière d'anticiper un peu ce qui va fatalement se produire dans les années a venir… Le fait de vendre directement nos disques lors de nos concerts ou en digital, VPC sur internet, nous permet enfin de fixer le prix auquel nous souhaitons vendre le disque. Nous avons donc décidé de proposer une version cartonnée très simple et donc plus abordable. Nous pensons qu'en plus du problème du téléchargement pirate, il y a un véritable ras le bol des prix pratiqués en magasin et qu'il est peut être temps de revenir à une économie plus réaliste, en produisant des disques sans cautionner la surenchère de moyens investis en promotion et en prod, et ainsi proposer directement des CDs accessibles pour le public.
Pouvez-vous m'en dire plus sur la nouvelle mise en scène de votre live ? Comment effectuez-vous la transition entre le studio et la scène ?
Karlton : la transition ne se fait pas si rapidement que ça. À la base, on a pas mal d’idées, d’images que l’on veut caler. Cette année, on a essayé d’être plus en accord avec les ambiances et les thèmes des morceaux. On essaye toujours de créer une image forte par morceau. Mais après, tout dépend de l’ordre des morceaux dans la set list et certaines choses restent difficilement réalisables. On essaie d’abord de se simplifier la vie en faisant ce que l'on sait faire pour être dans les temps pour les premiers concerts. Mais on voit notre spectacle sur du long terme, comme un spectacle évolutif. On continue à changer des choses au fur et à mesure de la tournée en calant de nouveaux effets après les avoir suffisamment travaillés en amont. On a intégré de nouvelles structures de scène : les « Pratix » qui sont des praticables de 1 mètre par 1 mètre où 125 leds sont intégrées. Il faut réussir d’abord a bien les placer, apprendre à les déplacer et comment tout cela évolue d’un morceau a l’autre. Après avoir modélisé les mouvements en maquette, on fait des tests en taille réelle. C’est là qu’on se rend compte de ce qui marche ou pas. Heureusement il y a Gildas qui est là. C’est bien, il nous force à faire des choix là où nous hésiterions pendant des jours pour nous décider. Gildas est aussi l’œil extérieur, il nous dit quand une chose ne passe pas du point de vu du public…
Avec votre précédente tournée, vous avez parcouru les quatre coins du monde : vous prévoyez de vous rendre à l'étranger pour 2009/2010 ?
Says : pour l'instant, on vient de fêter la sortie de l'album à l'Antipode après 15 journées de résidence acharnées. Comme le nouveau spectacle est encore tout frais, il faut qu'on se rôde en jouant sur des scènes de tailles diverses et devant des publics variés. On tourne donc plutôt en Bretagne et en France, avec un passage par la Suisse, pour cette fin d'année 2009. Pour 2010, on verra. On espère être programmés dans pas mal de salles et de festivals, histoire de présenter notre nouvel album. On fera probablement des dates en Belgique, par le biais d' Artbag notre tourneur belge, d'autant plus que la structure qui va remplacer le Magasin 4 ouvre en ce moment à Bruxelles ; et également en Espagne, via la K-rabarna, la structure qui nous fait tourner en Espagne, probablement du côté de Barcelone… Sinon, Gravier, qui s'occupe de Mekkis, notre label, et qui manipule les structures scéniques lors des concerts, est en train de monter une tournée vers l'Europe de l'est et les Balkans. Ce serait sur une quinzaine de jours vers le début de l'été 2010. Après pour ce qui est de l'international hors Europe, il n'y a rien d'engagé pour l'instant. Ce sera un peu en fonction des plans qui se présentent… Mais on espère revoir du pays !
Dernière question : vous écoutez quoi en ce moment ?
Says : en ce moment du Why?, le coffret Afrique du sud de Jarring Effects (Sibot, Cape Town Beats, Dj Fuck & MC Totally Rad), Rusko, Edit, Atach Tatuq. Rien a voir avec l'électro : Iva Bittova, une pure violoniste-chanteuse de Tchéquie.
Stefo : j'écoute pas mal de dubstep, notamment les compilations Dubstep Allstars. Dans un registre plus rock, Lightning Bolt que je rêve de voir en live, le dernier Bikini Machine qui est excellent, The Clash, Blonde Redhead, Bad Brains et pour me détendre la série des Ethiopiques ou Sigur Rós.
NiCo : beaucoup de dubstep aussi ! Kode9, The Bug, Caspa, des sons un peu plus barrés comme Murcof, Aoki Takamasa, ou du bon vieux Venetian Snares, et des classiques que j'écoute depuis longtemps sans me lasser : Company Flow, Anti Pop Consortium ou Dr Octagon… On a pas mal laissé trainer nos oreilles du côté du Québec, qui développe une scène super intéressante dans pleins de styles avec des groupes comme Pawa Up First , Gatineau , Plaster ou Karkwa…
Un grand merci aux membres de X Makeena pour leurs réponses, mais aussi à Vincent Bazille (Promonline) pour l’organisation de l’interview.