La musique est malade. Le monde de la musique va mal, très mal. Les maisons de disques marchent sur leurs têtes. Elles ont la fièvre des chiffres de ventes, comme ordonnance on parle de plans sociaux, et l’on ne sait pas bien si cela va amener le patient à se diagnostiquer (trop tard) le typhus, le choléra ou même la peste. En effet alors que l’on empaquette des kebabs dans un single vomissant certains se voient notifié une faim de non recevoir. Dorénavant et encore plus aujourd’hui qu’hier la rentabilité est un fusil d’assaut qui laisse certains artistes sur le carreau. Et pas des moindres. Eiffel en fait partie. Eiffel explique que les fusils aussi peuvent pêter à la gueule de ceux qui les tiennent.
Bonjour Romain, pour débuter : peux tu me donner ton humeur du jour ?
Romain Humeau : Assez speed et tendu en ce moment.
On sent chez toi comme une rébellion ? un besoin de gueuler la vérité à la face du monde ?
Romain Humeau : Je ne sais pas si c'est de la rébellion . Disons que plus on avance, plus les sens sont aiguisés pour mettre le doigt sur les mouvements du
monde qui te débectent le plus. Cela reste empirique, il n'y a donc pas de vérité à gueuler à la face du monde, cela voudrait dire que nous la détenons. C'est loin d'être le cas. Mais cela ne m'empêche pas pour autant de "chercher à voix haute ", puisque je chante….
On s’était rencontré pour la sortie de « Tandoori » et tu m’expliquais tous les espoirs mis dans cet album, qu’en est il aujourd’hui ?
Romain Humeau : Ils sont réduits à néant, et ce, du fait de problèmes uniquement techniques : cet album n'a quasiment pas été travaillé par EMI /qui a happé Virgin/ qui a happé Labels / qui nous avait initialement signé. Après, c'est un album que nous ne regrettons pas d'avoir fait , nous en sommes plutôt fier .Le public vient à nos concerts, il est même plus large qu'avant, ce qui parait contradictoire avec la situation dans laquelle nous sommes actuellement. Pas mal de gens ont compris notre démarche et nos textes sans forcément nous coller une étiquette réductrice. Pas mal de chouettes artistes aussi.
Un disque est la somme d’une collaboration entre un artiste ou un groupe et une maison de disque, as-tu ressentis de la réticence de leur part quand vous avez proposé cet album ?
Romain Humeau : Ce que je vais dire est peut-être dur mais un artiste ou un groupe écrit et joue la musique, un label est uniquement là pour essayer de la vendre. Le directeur artistique n'est pas l'artiste, et ce n'est d'ailleurs pas une insulte. Juste qu'il ne faut pas tout mélanger. Actuellement, pas mal de chanteurs ou groupes pourraient travailler en maison de disque tant ils ont capté la manière dont le business marche. Pas moi. Quand tu fais écouter les maquettes d'un album à un patron de maison de disque, tu sens tout de suite qu'il ne sait pas trop où camper. La question qu'il se pose en son fort intérieur à cet instant précis , est : "Quelle est la cible potentielle", qui va bien pouvoir acheter ça, et comment faire pour qu'il en redemande? Territoire à conquérir, créer son espace etc… Il reste donc poli et tente de déceler le single potentiel. Je ne pense jamais à tout ça , pour moi, quand quelqu'un chante la vie des hommes à un instant T, il s'adresse fonda! mentalement à tout le monde. Cela vient aussi de ma culture, je n'ai pas de problèmes avec les genres musicaux. Nous pouvons autant écouter Peaches, Richard Gotainer et John Coltrane que Cure, Brigitte Fontaine et Gene Vincent, en passant par Aphex Twin , Debussy et les Pixies. Bref, la culture devrait être pour tout le monde sans pour autant tomber dans la médiocrité ou dans une sorte de jeunisme populiste. Raison pour laquelle je reste persuadé qu'un gars comme Loïc Lantoine peut-être grand public. Je crois fondamentalement en l'être humain et toutes ces fragilités. Je ne crois pas aux médias. Ils sont devenus de très puissants propagandistes. A tel point qu'ils peuvent agir en amont et influencer le label qui essaiera à son tour d'influencer l'artiste. Le trajet doit totalement rester inverse, sinon cela s'appelle de l'art d'entreprise et c'est tout sauf rassurant quant à l'avenir.
Comment s’est passée la tournée ?
Romain Humeau : Nous avons fait beaucoup de concerts en moins d'un an, une centaine. Il nous en reste une dizaine dont l'Olympia le 19 Novembre. Nous avons joués devant pas mal de monde et ne prétendons pas avoir fait que des bons trucs, mais dans l’ensemble, c’est une très bonne tournée puisque tout est sorti du coeur. Des moments très excitants.
Qu’est ce qui a foiré pour qu’on vous rende votre contrat chez EMI ?
Romain Humeau : Avec le peu de recul que j'ai , je pense pouvoir dire que cela s'est passé sur trois ans. En 2004 Labels s'étant fait bouffé par Virgin, une partie des gens qui nous ont signés ont été remerciés. Début 2007, EMI a bouffé Virgin et viré tous nos derniers potes. Nous nous sommes donc retrouvés dans le lit d'une demoiselle qui n'était pas follement amoureuse de nous… De plus, plus rien n'a été fait sur Tandoori depuis Avril (ce que nous avons appris, il y a peu de temps…). Je ne sais pas si cela est un mal pour nous , EMI qui bouffe Virgin qui bouffe Labels ne veut pas dire que le premier nommé s'engraisse, il semble même qu'il ai chopé le Vers solitaire. Cela ne l'empêchera pas de faire bonne figure avec son quota d'artiste à bazouter aux prochaines Victoire de la musique.
Cela s’est il fait de manière disons « cavalière » ou « honorable » ?
Romain Humeau : Cavalière, dans ce sens ou nous n'avons même pas pu rencontrer le nouveau patron d'EMI… ça en dit long sur la notion d'humain là dedans mais notre manager nous soigne là dessus, il nous apprend à ne rien attendre de qui que ce soit, même un sourire!) Honorable car nous ne partirons pas sans rien, même s'il a fallu pour cela prendre un avocat. Ils nous devaient un quatrième album. Tout ceci n'est pas très sexy.
Eiffel était il le loup dans la bergerie ?
Romain Humeau : Pas vraiment, nous ne sommes pas un groupe assez connu. Mais cela ne nous a pas empêcher d'ouvrir nos gueules et de refuser tout ce qui nous aurait entraîné à ne pas bien dormir la nuit. {multithumb thumb_width=450 thumb_height=320}
La politique de rentabilité imposée par les maisons de disques a-t-il eu raison d’Eiffel ou y a-t-il d’autres causes ?
Romain Humeau : Personne n'aura raison d'Eiffel si ce n'est le groupe Eiffel lui même. La politique de rentabilité imposée par les maisons de disques est un suicide culturel en marche, c'est aussi, à moyen terme, son propre suicide qu'elle signe là. Retour à la case départ : ou est la création? Dans d'obscurs endroits? Et bien, allons de ce pas y jeter un coup d'oeil. Et là, je peux vous dire qu'il se passe de très belles choses, même si personne n'en parle.
L’Olympia était prévu de longue date mais il prend une autre signification ?
Romain Humeau : J'ai laissé un mot sur notre site officiel il y a quelques temps qui n'avait pas pour valeur d'affoler les fans. Il s'agissait juste de leur laisser la possibilité de mieux prendre la température. Je le redis, en Décembre Eiffel peut continuer, s'arrêter ou se vêtir d'une nouvelle redingote, nous n'en savons rien du tout. Ce qui nous semble important, ce sont les concerts qui arrivent. Dont l'Olympia. Quoi qu'il arrive, ça ne sera pas le chant du Cygne. Attention, n'en déplaise à certains, Eiffel peut continuer aussi pendant cinquante nouvelles piges…..à voir. Il y aura toujours de la musique et pas mal de choses sont déjà écrites.
Qu’allez vous faire de ces quelques heures de live ?
Romain Humeau : A priori, rien du tout si ce n'est les embrasser goulûment à pleine bouche.
L’avenir d’Eiffel après ça ?
Romain Humeau : Comme, je le disais, on n'en sait rien. Tout peut arriver dans un sens comme dans l'autre. La solution trouvée sera, je le souhaite, la meilleure.
Ne penses tu pas que la catastrophe n’est pas pour vous mais bien pour le reste de la culture en France ?
Romain Humeau : Nous sommes avant tout amoureux de musique, et il est vrai que ce que l'on nous refourgue via les médias nationaux n'est rien d'autre qu'un triste panel des "différents genres à vendre". En général, la médiocrité prends la tête de ces "charts-panier de crabe". Le peuple a droit à l'écume. Maintenant, en faisant preuve de curiosité, il y a de superbes choses à découvrir en France. Je ne m'inquiète pas pour ce qui est de la créativité, je m'inquiète de problèmes comme, par exemple, le financement d'une sous culture de masse (afin de mieux mettre le grappin sur les libertés) par des personnes comme Monsieur Lagardère qui, finalement détient, de près ou de loin, les moyens de grandes diffusions de la Pop en France. Contradictoire non? C’est, aussi, une chose qui est rarement dite. J'oublie de répondre à ta question : l'éventuel perte d'Eiffel ne serait vraiment pas une catastrophe pour la culture
française….Ah Ah Ah.
Serais tu enclin à penser qu’insidieusement l’arrivée de Sarkozy au pouvoir avec son discours libéral est l’ouverture de la boite de Pandore pour le milieu musical ?
Romain Humeau : Non. Il y a longtemps que tout ce petit monde se barre en sucette. L'arrivée de Nicolas Sarkozy ne fait et ne fera qu'empirer les choses, c'est évident. La boîte dont tu parles sera, d'ici peu, pleine à ras-bord. Il n'y a aucun espoir. Notre président, comme pas mal de Star (musique, sport, cinéma etc… confondus), a tout compris au marketing agressif, au culte de l'image et de sa symbolique. Et il en joue. Très bien même. Ça tape au bas ventre, l'endroit qui fait vibrer les masses. Il n'est même pas question de droite là dedans, mais de nihilisme.
Quand on incorpore « Indochine » aux victoires de la musique dans la catégorie rock français, n’est ce pas la preuve que tout reste à faire ?
Romain Humeau : Je ne connais pas bien Indochine. Quand j'entends de loin cela ne me touche pas. Ainsi qu'une ribambelle d'artistes rock nominés pour ce genre d'occasion. En variété, la France est un peu plus douée, et ce n'est pas de la provocation. Franchement, qu'est-ce qu'on en a à foutre des Victoires de la Musique ? Elle est où la Bataille?
Etes vous soutenus par les médias ?
Romain Humeau : Ne soyons pas manichéens, c'est jamais tout noir tout blanc. On peut dire qu'on a été snobés par énormément de médias et que d'autres ont essayé de nous aider sans pouvoir vraiment. Il y aussi une différence entre entité et identité… Nous pourrions nous poser la question de savoir pourquoi "Les inrockuptibles " n'ont jamais fait part de notre existence à leur lecteurs….sûrement parce qu'ils n'aiment pas Eiffel , et c'est leur droit (si tant est qu'ils aient écouté). Mais le rôle d'un journal n'est-il pas avant tout celui d'informer ? On sait depuis belle lurette que non. Pour être soutenu par un média national quelconque, soit il faut être "sur la place", soit il faut avoir le profil du poète ou looser maudit (ce que l'on appelle une "vitrine indé"), soit, et c'est la solution qui marche le mieux, ton label doit pouvoir bazouter assez de fric pour faire de jolis échanges commerciaux avec eux partenariats, achats d'espaces, etc…) Certains rédacteurs en chef sont aussi directeurs artistique ou "apporteur de talents" dans une maison de disque : conflit d'intérêt… Un truc de plus en plus regrettable, est que la technique sensationnaliste de la Presse People est maintenant utilisée par des journalistes considérés comme "crédibles". On sait plus où on en est, si ce n'est qu'émouvoir sans raisons les gens, c'est taper dans leurs portefeuilles.
Par vos collègues artistes ?
Romain Humeau : Oui, c'est là où tu te dis que l'amitié, l'humain et donc la musique, c'est fabuleux.
A toute calamité répond une reconstruction, finalement c’est peut être le moyen de rebondir cette histoire et de rentrer en résistance ?
Romain Humeau : J'ai l'impression que nous sommes en résistance depuis longtemps, je ne vois pas les raisons pour lesquelles nous arrêterions. Au contraire. Deux, trois Rustines à coller sur l'armure et on arrive sur nos fidèles destriers de bois…
Je ne peux pas croire que vous allez lâcher l’affaire ce serait donner raison à vos ennemis ?
Romain Humeau : Nous n'avons pas d'ennemis. Nous n’avons que des amis ou de potentielles amitiés. A partir du moment où les fondamentales restent les mêmes, il y a plusieurs manières de "ne pas lâcher l'affaire". Et il n' y a que les fous qui ne changent pas de manières. On apprend les bonnes.