A l'occasion de la sortie de l'album "Mémoire de singes", le 8 octobre 2007, Reuno, éternel chanteur de Lofofora, revient sur chacun de ses textes. Cette auto-interview de Reuno est présente avec la biographie du groupe envoyée aux médias. {multithumb thumb_width=450 thumb_height=320}
1/ MEMOIRE DE SINGES
« L’idée m’est venue suite à un reportage sur la découverte d’une autre planète qui serait fréquentable pour l’Homme, avec la même atmosphère que sur Terre. On nous annonçait ça comme une bonne nouvelle. Moi j’y voyais une sorte de sous-entendu, du genre : ce n’est pas grave si la nôtre tourne à l’asphyxie, on peut continuer à tout niquer, vu qu’il y a de la place ailleurs. C’était complètement hallucinant. “N’ayez pas de regrets, on en aura bien profité. On ne saura jamais ce qui nous restait à essayer.” Cette phrase m’est venue rapidement. Parce que bientôt l’humanité va se retrouver à ce stade-là. »
2/ NOUS AUTRES
« Au départ, le titre devait être : “Nous autres du vacarme”, mais c’était incompréhensible. C’est une chanson d’amour pour les miens, mes gars. Les quatre qui sont dans le local de répète, les huit qui sont sur la route. Une phrase comme : “Si jamais l’aventure nous sépare, j’en suis sûr, on se retrouvera”, c’est un peu pour la fin de l’histoire de Sriracha. Il y a aussi ce respect qu’on a dans Lofo envers tous les gens, que ce soit le public, les bénévoles, les organisateurs, les petits groupes, les mecs des bars qui se font chier avec leurs voisins pour pouvoir filer 50 euros à un groupe et en ramasser à peine plus dans leur caisse. Voilà, il y a des gens avec qui on n’a pas besoin de se renifler le cul pendant des heures pour savoir qu’on est de la même famille. »
3/ DERNIER JUGEMENT
« C’est Pierre qui a appelé cette chanson “Dernier jugement”, pensant qu’il y avait ces mots dans la chanson, alors qu’ils n’y figurent pas. Mais je trouvais que ce titre collait bien à la chanson. Avant, quand on me demandait s’il y avait des chansons que je regrettais d’avoir écrites, je disais non. Je les ai faites sous l’impulsion, même si je ne pense plus forcément la même chose sur certains sujets aujourd’hui. Sur le premier album, dans “Irie Style”, je disais que la religion n’est pas mon truc, mais si ça peut vous servir, amusez-vous avec. Aujourd’hui, je pense différemment. Là-dessus, je rejoins Dieudonné, à dire que ce n’est plus d’actualité. Dans toutes les religions, ce qui revient, c’est que Dieu est amour, mais en fait leur Dieu a fait plus de massacres et de victimes qu’autre chose. »
4/ TOUS LES MEMES
« Le refrain fait un peu le bilan de notre époque : À quoi peuvent rêver les hommes quand ils ne croient plus en rien. Ça s’inscrit dans l’intox politicienne qu’on a pu subir ces derniers mois. On a beau avoir accès à toute l’information, on peut prétendre avoir tout vu, nous autres, gens civilisés, mais en fait on n’a rien compris, on fait toujours les mêmes conneries, comme des bêtes. »
5/ TRICOLORE
« Arrêtons avec la sacralisation de la nation. Je n’ai pas à être fier de vivre dans le pays des droits de l’homme, parce que ce n’est pas moi qui les ai faits. On vit dans un pays où, à un moment de notre histoire, on a essayé de tirer le truc vers le haut, mais il n’y a pas de raison de vouloir s’arrêter là. À un moment, je parle d’Albert Einstein. Bizarrement, j’ai toujours détesté les maths, mais j’aimais bien Einstein pour ses citations. Après avoir découvert la fission de l’atome, quand il a vu ce qu’on en faisait, il a dit : “Si j’avais su, j’aurais fait plombier”. Il a dit aussi : “Je méprise ceux qui marchent au pas, ils sont dotés d’un cerveau alors qu’une moelle épinière leur suffirait”. Enfin, ça c’est juste un clin d’œil pour me justifier, montrer que ce n’est pas juste un propos de réactionnaire gauchiste. »
6/ COMME DES BETES
« Ça, c’est parce qu’on a fait l’album à Paris, et que, tous les jours, je prenais le métro ! Je voulais écrire une chanson sur cette espèce de routine, cette impression de vivre dans un vase clos. Quand tu prends le métro aux heures de pointe, tu as l’impression de monter dans une bétaillère. “Dessines-moi un monde idéal, je deviendrai ton animal.” Nous autres humains, on a besoin de rêves pour avancer. Mais aujourd’hui, c’est des rêves de supermarché. »
7/ LA BELLE VIE
« J’avais envie de raconter une histoire, d’opter pour une forme plus narrative. Il y a des gens dans les pays pauvres qui donnent tout leur argent pour pouvoir venir chez nous pensant que c’est l’Eldorado. Il faut du courage pour tout laisser tomber, payer un passeur véreux et arriver ici avec une valise en carton. J’ai donc imaginé cette histoire sur ces gens qui ont fait preuve d’un courage énorme, et pour lesquels on n’a aucun respect sous prétexte qu’ils viennent nous manger notre pain… »
8/ TORTURE
« Celui-là a été écrit dans la semaine qui a suivi les résultats des élections. C’est en opposition à la France qui se lève tôt, à ces valeurs de travail et de mérite. Ça paraît idéaliste. J’ai un grand-père qui a commencé à travailler à 7 ans (et qui a trimé) jusqu’à sa retraite à 60 ans. Il a bossé plus de cinquante ans en usine. Quand j’étais môme, je l’entendais râler : “Aujourd’hui on jette les gens dehors pour mettre des machines à leur place”. Moi je trouve ça bien, on va pouvoir produire plus de richesses en ayant besoin de travailler moins, finalement. C’est peut-être une vision naïve du truc. La France n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui, et en même temps, il n’y a jamais eu autant de pauvres. Aujourd’hui, on a de quoi faire bouffer tout le monde, c’est juste qu’il y en a qui ont besoin de bouffer 250 fois plus que les autres. Dans le même journal on te montre des tentes sur les quais, et on te dit que Total et la BNP n’ont jamais fait autant de bénéfices que cette année. À un moment, il faut arrêter de se foutre de notre gueule. »
9/ NOBODY’S PERFECT
« Chacun sa caste et tous dans la secte. Quand j’étais petit, on disait “un clochard”, maintenant on dit “un sans domicile fixe” ou “un SDF”, parce que c’est plus propre. On ne dit plus les maladies vénériennes, mais les MST. Mais ce n’est pas pour autant qu’on a les mains plus propres. »
10/ EMPLOYE DU MOIS
« Un mec qui se fait virer de son boulot, il se sent coupable. C’est bizarre quand même. Quand tu ne produis pas, ça te met dans la galère, et c’est dégradant, humainement. Quand j’ai vu pour la première fois dans un fast-food, le portrait de l’employé du mois, j’ai cru que c’était une blague. C’est encore cette notion de mérite, de compétition dans un système où on sait très bien d’avance qui sont les gagnants et les perdants. »
11/ NUIT BLANCHE
« C’est un truc sur la drogue. Même si je n’ai jamais été accro à quelque substance que ce soit, j’ai fait un peu la même expérience que dans “Macho Blues”, en me mettant à la place de quelqu’un, comme un acteur. J’ai imaginé le délire jusqu’au bout. »
12/ 5H43
« Je n’ai pas voulu faire un concept-album, mais j’avais toujours en tête cet univers qu’on retrouve dans Brazil ou 1984. Il y a ces arrestations arbitraires, comme on en voit encore aujourd’hui. Il y a des gens qui ont pris de la prison ferme au lendemain des élections, juste parce qu’ils passaient par là. C’est l’histoire de Buttle et Tuttle dans Brazil. Poutine s’était payé une journaliste pour son anniversaire. Alors j’imaginais que Sarko se payait la tête d’un révolutionnaire pour sa première année de règne, le 6 mai 2008. Il y a rarement une seule idée dans mes textes. Il y a aussi ces mecs qui attendent des années dans les couloirs de la mort et qui ne savent pas si demain on va venir les chercher pour les foutre sur une chaise. C’est dramatique. Sinon, j’ai lu le bouquin de Mesrine cette année, sur la liberté, l’enfermement. »
13/ TROP
« Je me suis rendu compte, il y a peu, que je ne ferai plus marche arrière, en même temps que je me suis fait tatouer “Lust For Life” sur le ventre. Je suis condamné à finir adolescent. C’est la chanson la plus autobiographique. Histoire de remettre un peu les pendules à l’heure. Il y a encore des gens qui pensent que, vu que tu fais des disques et des tournées, tu vis comme une star. Cette chanson, je l’ai écrite quand on était à Brainans. J’y parle de notre expérience de groupe, sur la route. Même si c’est crevant, j’en veux encore jusqu’à la mort. »