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Interview de Gojira (Novembre 2012)

Alors que Gojira traverse actuellement l’Europe et les États-Unis pour défendre son dernier joyau, L’Enfant Sauvage, «Joe» Duplantier, voix et guitare rythmique du groupe, s’est arrêté quelques longs instants avec nous pour se livrer d’une façon rare sur les intentions musicales du dernier opus, la vision «spirituelle» du groupe, sur son extraordinaire batteur de frère, mais également sur cette éclatante tournée. Sincérité, contrastes et profondeur de l’âme: la parole de la tête pensante du plus grand groupe de Métal français de tous les temps est à la fois passionnante et passionnée.

Après des dates américaines, une tournée dans le Nord de l’Europe et le Royaume-Uni, vous êtes de retour en France, avant de repartir aux US avec Devin Townsend… Comment réussit-on à garder l’énergie en live avec un tel programme?

Il faut être fait pour ça. Il faut réussir à se rappeler ce que l’on fait là, le matin quand on se réveille. Surtout quand on a une famille et des gens qui vous manquent, quand on est loin, c’est très difficile. Mais ça demande un équilibre, et il faut trouver le sien. C’est du sommeil le plus possible et une hygiène de vie minimum. Et en même temps on est sur la route tout le temps, c’est une ébullition constante, il n’y a pas de routine. C’est difficile et physique, surtout pour le chant, mais la clé, c’est du sommeil et de l’eau. Beaucoup d’eau.

Dans trois semaines, vous serez têtes d’affiche d’un festival Métal en Inde… D’où est venue votre volonté et cette opportunité de jouer là-bas?
Il y a une scène et un public là-bas, un truc qui est en train de se passer, qui s’est passé en Amérique du Sud il y a quelques années… le métal envahit le monde! Ça fait plusieurs années qu’on est invités par différents organisateurs, et ce n’était jamais le bon moment pour des histoires de timing et là c’est bien tombé, donc on y va. Au final, on est très content d’aller jouer là-bas.

 

Il l’y a pas de grosse date parisienne dans le programme. Au vu de ce que vous représentez pour le métal français, c’est plutôt étonnant, non?
Disons qu’on s’y est pris un peu trop tard et ce qui nous était proposé pour Paris ne nous bottait pas. Les salles qu’on aurait pu faire et qui nous convenaient n’étaient pas dispo, donc on va jouer à Paris mais un peu plus tard, en mars 2013, par là.

Parlons un petit peu de ce dernier album, L’Enfant Sauvage. Maintenant que vous avez un recul de plusieurs mois par rapport sa sortie, comment le perçois-tu musicalement? Comme une étape supplémentaire ou le début d’une nouvelle période du groupe?

On a vécu une fin de cycle clairement, avec The Way Of All Flesh, il y a plein de gens autour de nous qui ont quitté l’équipe pour diverses raisons. On était en fin de contrat avec notre label, on a changé de management… enfin, il y a un moment où l’on s’est retrouvé à poil, vraiment! Il n’y avait plus personne atour du groupe, c’était impressionnant. Mais on l’a pris avec beaucoup de philosophie, c’était la fin d’une période, on n’arrêtait pas de se le dire et on le ressentait. La fin d’une façon de fonctionner, la fin de la période «on est un groupe français qui marche à l’étranger», maintenant on va renaître en tant que groupe «international». On a signé un contrat international, mondial avec Roadrunner, sans perdre de vue notre façon de faire, en gardant la collaboration avec quelques personnes quand même. Après, c’est quand même nous! Gojira reste Gojira. On est toujours dans le même local de répet, on a notre philosophie.

Musicalement, il y a eu également un bouleversement. Ce qui m’a frappé dans L’Enfant Sauvage, c’est l’accentuation des contrastes musicaux. La fin d’ «Explosia», par exemple, où l’on pourrait se croire dans une bande originale d’Ennio Morricone arrive juste avant une déferlante d’une violence que vous avez rarement atteint sur «L’Enfant Sauvage»…

Absolument. Moi c’est un truc qui me fait plaisir, je suis assez obsédé par le contraste, que ce soit dans la vie où j’ai besoin de moments de quiétude extrême, et de moments de violence extrême avec mes amis sur scène… dans la photo, j’aime le contraste noir et blanc… Même dans le jeu de guitare, avec Christian (l’autre guitariste de Gojira, nldr.), on en discute pas mal, comment dans une même rythmique, avoir des notes étouffées et des notes lâchées, par exemple. Ça met en relief beaucoup de choses, le plus et le moins qui font l’électricité… ce n’est pas conscient quand on fait des albums, mais l’un des seuls trucs que je me dis, c’est qu’il faut qu’il y ait du contraste.

Autre élément qui ressort, c’est la portée émotionelle et le grain de ta voix qui ont beaucoup évolué sur cet album. Sur «Liquid Fire» ou «The Gift Of Guilt», les refrains sont hyper chargés émotionellement et très mélodiques, un peu à la façon d’un Jonathan Davis sur les premiers albums de Korn. Comment es-tu arrivé à faire évoluer ta voix de cette façon?
C’est un truc dont j’avais besoin en fait. Je n’ai fait qu’effleurer ce que j’ai besoin de faire avec ma voix. Je ne me suis jamais dit que j’étais chanteur, je voulais faire des albums, produire de la musique, être un guitariste rythmique… mais là je commence à me dire «tiens, je suis aussi chanteur, en fait!», et je me dis que j’ai des choses à faire avec ma voix. Mais par contre je n’ai aucune maîtrise, j’ai un grain que j’ai travaillé, mais un manque de technique incroyable! Je vais peut-être devoir prendre des cours pour atteindre ce que je veux atteindre… Sur «Born In Winter», là par exemple, où je chante plus grave, c’est le genre de truc que j’ai envie d’explorer.

Vocalement, il y a quand même pas mal de nouvelles choses de ta part…
Oui, mais je ne me suis pas dit que c’était si révolutionnaire que ça, parce que je ressens un besoin de faire beaucoup de nouvelles choses et là je n’en ai pas fait tant que ça, par rapport à ce que j’aimerais faire. Par rapport à un manque de temps, et de technique de ma part. Là je suis au début d’un nouveau truc, mais c’est vraiment un besoin de faire de nouvelles choses.

Au cœur de l’album il y a deux titres «Planned Obsolescence» et «Mouth Of Kala» sur lesquels vous touchez d’autres fibres, avec un des riffs plus profonds, des méandres mélodiques dissonants, une fin avec un arrangement trip-hop, un rythme ternaire, une guitare western… pour un ensemble progressif, hypnotique, lent et violent… Est-ce que vous lorgnez un peu vers ces sphères plus émotionnelles et hypnotiques?
Peut-être, je n’ai pas de recul par rapport à ça, tellement on est à fond dedans, avec Mario, on a des discussions là-dessus, on analyse un peu le truc… On fait des essais, de la recherche… J’aime bien ta façon de le décrire, comme des méandres dissonants… Ça fait plaisir! La musique, pour moi, il faut que ce soit complètement libre, profond, que ça raconte un truc. Si ça vient juste caresser les oreilles, pourquoi pas, mais nous ce n’est pas notre job, de caresser les oreilles des gens! Il faut créer un truc plus intéressant. J’aime bien que la musique ressemble à nos tripes, un truc un peu complexe… Mais en même temps sur cet album, on est resté assez simples… J’ai une vision d’un album qui soit un peu comme une tempête, un truc violent, inquiétant, et à la fois naturel.

Pour parler de l’aspect un peu plus rationnel, que ce soit sur cette tournée ou sur l’album, Mario (le batteur et son frère, nldr.) semble avoir pris une dimension technique encore supérieure par des passages un peu fou sur l’album et une grande assurance dans son jeu en live…
Oui, il a encore progressé. Mario, c’est un gros, gros bosseur. Pendant toute cette période où on restructurait un peu le groupe et ce qu’il y avait autour, et que moi j’envoyais des mails, lui tous les jours il était derrière sa batterie! Lui a un potentiel de musicien énorme, moi çe ne m’intéresse pas, presque, de travailler ma guitare tous le jours pour jouer comme Joe Satriani. Ca ne fait pas du tout partie de mes préoccupations!

De plus, il n’est pas dans la démonstration technique, il apporte beaucoup dans la musicalité des morceaux…
Bien sûr, ce que je veux dire c’est que moi je me vois plus comme producteur du groupe et lui comme musicien. La façon qu’il a de bosser la batterie, c’est dingue… Des fois il me dit «tiens, regarde j’ai bossé un nouveau break!», il me montre des trucs et je suis effaré… Je ne sais même pas quoi lui dire! Il y aurait un fan dans la salle, il serait fou! (rires) Il écoute de tout, il a un bon équilibre dans sa vie, il ne fait pas que traîner avec des musiciens, il va surfer dans les vagues, il revient, il se met sur sa batterie… et puis il raconte des choses, il a des émotions, c’est un mec très sensible, il a besoin de sortir des choses, il a une intelligence des émotions qui est forte, une intelligence du cœur… et quand il joue, ça se ressent. Et après il faut une grosse dose de technique, évidemment, pour que ça ait du sens! Il y a un truc qui m’a frappé, c’est quand on a fait les prises à New-York, pour le nouvel album, on était que tous les deux dans le studio avec le producteur, il faisait ses prises, et c’était la première fois qu’on pouvait écouter des prises de batterie et se dire qu’on aurait pu le sortir comme ça, sans rien d’autre, tellement c’était beau! Sa frappe était tellement constante, pas d’effet à mettre sur sa batterie, pas de recalage à faire, des breaks super fluides…

On va parler un peu de vos projets à venir. Quels sont-ils pour l’année à venir, en dehors de cette tournée avec Devin Townsend?

Eh bien se reposer un petit peu! Un tout petit peu, mais on ne peut pas trop non plus. Après les Etats-Unis, on va se prendre trois semaines, et puis ensuite on va tourner en Europe, on fera Paris… on est en train de le mettre en place. On n’a pas encore trouvé la taille de salle adéquate, donc on se dit qu’on va faire deux Bataclan… ou cinq Nouveau Casino! (rires)

Un Zénith?
On y a pensé, je t’avoue! Mais ce n’est pas encore le moment, on verra ça un peu plus tard…

Vous avez tourné avec plusieurs autres groupes français sur cette tournée, dont Klone, Hacride et Trepalium, quel est ton regard sur cette scène Métal française actuelle, notamment la Klonosphère?
C’est des connards! (rires) Non je déconne, je m’entends hyper bien avec ces mecs, on est super potes avec eux, d’ailleurs ce n’est pas tout à fait fini ,car on doit encore les retrouver en Belgique et à Lausanne… J’ai vraiment adoré cette tournée, j’ai adoré voir la tronche des norvégiens, des suédois et des finlandais qui ont vu trois groupes français débarquer! Quoi, trois groupes français??? Mais ça veut dire qu’il y a d’autres groupes en France, alors? (rires) En fait on a fait des clubs de taille raisonnable, on se demandait au début si on allait les remplir, et finalement cette tournée a été un super succès. On voit qu’on a passé un cap, que l’album plaît et qu’on a fait une bonne promo, et surtout ça faisait un bail qu’on n’avait pas fait une tournée en tête d’affiche en Europe! Mais franchement la tronche des mecs quand il se sont pris Trepalium ou Klone dans la gueule! C’est des mecs qui ont l’expérience d’une décennie au moins, et qui ont un univers bien à eux, une originalité incroyable. C’était une chouette expérience, et j’aimais bien parler d’eux sur scène, les chambrer un peu… Je disais au public: «Vous êtes tous venus voir une bande de bouseux français sur scène!» car on vient tous de la campagne, et c’était assez marrant. Mais c’était très bien, une très bonne ambiance, des super musiciens… Une super expérience, cette tournée.

En guise de conclusion, je voudrais revenir sur le documentaire du DVD de The Way Of All Flesh qui est sorti cette année: un fan américain y décrit votre musique comme «spirituelle». Est-ce que cela te convient, finalement, comme définition de l’univers de Gojira?

Oui ça me convient, mais ça dépend du sens que tu donnes au mot spirituel. Pour moi, vu le sens que je prête à ce mot, ça me convient. Chaque acte de ta journée peut-être spirituel, ou non. Cela dépend de l’attention que tu portes au geste. C’est comme cela que je définis la spiritualité. C’est quelque chose qui s’insuffle dans les choses de la vie quotidienne. Dans Gojira, on insuffle une attention particulière, du mystique. On est très attaché à l’impact que notre musique va avoir sur les gens. On prie, littéralement, pour que ce soit un impact positif, on veut renforcer les gens qui vont être à notre contact. Et pourquoi pas les élever et que les gens nous élèvent à leur tour. C’est un espèce de cercle vertueux pour tout le monde. Même si c’est du métal et que je dis «Allez vous faire foutre!» sur scène pour rigoler, il y a quand même quelque chose qui se passe… il y a une attention de notre part, on ne monte pas juste sur scène pour attirer les gonzesses! Il y a une intention très ambitieuse derrière. Être spirituel, c’est aussi ne pas se mettre de limite, être dans la spontanéité et le développement de certaines intentions positives, même si on ne se met pas non plus dans une position supérieure aux autres. Donc oui, dans ce sens là, Gojira est spirituel.

Un grand merci à «Joe» Duplantier pour sa disponibilité, sa gentillesse et sa «spiritualité».
Merci également à Karine (Roadrunner Records) et à l’équipe du 106 (Rouen) qui nous ont permis de faire cette interview.
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.net

 

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