Gojira est devenu, à force de travail, d’humilité et de talent, non seulement le groupe porte-drapeau du métal français et référence pour de nombreux autres, mais surtout l’un des cadors européens du style, surfant sur la vague de leur tournée aux USA avec Metallica et le succès rencontré par leur dernier opus en date, The Way Of All Flesh. A l’aube de la genèse d’un nouvel album, deux des sorciers du groupe, Josef Duplantier (guitare, chant) et Jean-Michel Labadie (basse) ont bien voulu répondre à nos questions, quelques minutes seulement après avoir quitté la scène principale du Festival Le Cabaret Vert.
Parmi les nombreux festivals de l’été, vous avez choisi de venir jouer au festival du Cabaret Vert. Pourquoi ce choix?
Joseph Duplantier: Déjà, parce que notre Tour manageuse est née ici! (rires) Donc quand on a vu ça, on a dit oui les yeux fermés! Non, plus sérieusement, ça arrive rarement que l’on refuse un festival, et surtout la politique du Cabaret Vert colle parfaitement avec notre démarche au niveau du message et des textes. On joue devant du monde, donc c’est bien et en plus on participe à une super initiative qui communique quelque chose de bien, de constructif.
Gojira possède aujourd’hui une renommée internationale… Comment expliquer que le groupe s’exporte aussi bien?
JD: Ca s’exporte bien, c’est vrai. Pour nous ce n’est pas une musique française qui s’exporte car on joue un style international à la base, on a des influences anglo-saxonnes et scandinaves, et il n’y a pas une grosse tradition de groupes internationaux en France. Nous dès le début, on s’est inscrit dans cette optique, on fait une musique qui s’adresse à tout le monde.
La tournée avec Metallica a dû un peu aider tout ça…
JD: La tournée avec Metallica, ça a été le gros boost final. On a noté que l’on a pris du grade depuis ça, c’est assez incroyable, donc je pense que l’on va être encore sur la lancée de ce buzz pour le lancement du prochain album, je pense que ça va bien nous aider. En plus ça s’est super bien passé, on a appris avec les années à être efficaces le plus possible quand on part en tournée et se faire discret quand on joue avec des pointures. On déploie beaucoup d’énergie dans le fait de bien faire les choses. Avec Metallica ça s’est passé comme sur des roulettes, et je crois qu’ils ont apprécié justement notre discrétion et notre souplesse, et eux on été adorables avec nous. Et on apprend énormément aussi, on regarde comment ils sont arrivés au top, comment sont organisées les équipes, combien de personnes bossent, qui fait quoi… Ils sont arrivés à une époque où le disque était en bonne santé et ont une carrière à cheval entre avant l’écroulement du marché du disque et après, en réussissant à tirer leur épingle du jeu. Ce sont des monstres de génie, de business, et de talent, hyper impressionant.
Malgré le style relativement violent du son de Gojira, il y a une forte dimension progressive dans vos morceaux. Est-ce que vous vous sentez proches du mouvement progressif, incarné par Tool et Dream Theater ou du postcore à la Isis?
Jean Michel Labadie: Un peu des deux en fait. C’est vrai que Tool est un groupe que l’on apprécie tous, et pour ma part, des groupes comme Isis ou Neurosis, progressifs aussi mais plus sombres, sont des groupes qui me touchent beaucoup et que je leur ai fait connaître. Du coup c’est vrai que ça a dû un tout petit peu nous influencer. On ne sent pas associé à ce truc là, mais c’est vrai que cela nous parle vraiment.
C’est un aspect que vous aimeriez plus développer dans l’avenir?
JML: Ça vient spontanément, on laisse aller des idées, des riffs, en transe, et on le fait tourner, tourner encore et on se dit tiens, c’est bien on va le faire durer… Ca ressemble un peu à cette scène là, au final.
Le son de Gojira est caractérisé par un death-métal ouvert sur d’autres styles, est-ce que, alors que vous êtes au stade de l’écriture du prochain album, on peut s’attendre à une ouverture plus grande sur d’autres choses?
JD: C’est difficile à dire, le progressif, en gros c’est quand il n’y a pas de structure couplet-refrain classique, et nous on n’a jamais été là-dedans. Quand on écrit une chanson, c’est comme si on racontait une histoire, on n’a pas forcément envie d’avoir un refrain qui vient perturber l’histoire! Après on évolue, on vieillit… avant je disais on grandit, maintenant je dis on vieillit! (rires) On n’a plus les mêmes trucs dans le bide, on n’a plus 19 ans, à vouloir aller le plus vite possible, ça n’a plus de sens pour nous. Sauf pour Mario (Duplantier, le batteur du groupe, NLDR), il est encore à fond, il a encore des challenges! (rires) Il a bientôt trente ans, pas encore, donc après ça ira! (rires) Non le but, c’est de raconter des trucs et que ça nous fasse vibrer, que ça corresponde à une réalité intérieure qui est en constante évolution, donc c’est difficile de savoir à quoi ça va ressembler dans le futur.
On vous a vu jouer aujourd’hui avec la pochette de The Way Of All Flesh en fond de scène, est-ce que vous accordez de l’importance à l’aspect visuel pour la scène?
JD: Oui, oui, ça a de l’importance clairement. Cette image, qui représente une coupe transversale d’humain, chacun peut y voir ce qu’il veut. On propose une musique, des paroles, un visuel et c’est aux gens d’y voir les choses. Je ne tiens pas forcément à décrire exactement les visuels, je ne veux pas trop cerner le truc, les paroles sont suffisamment explicites, mais si ce sont des poèmes, des images… Ne serait-ce que en lisant les titres, les textes et en voyant le visuel, on doit comprendre ce qui se trame derrière. On créée un univers, on n’écrit pas un essai.
Gojira est populaire, tout en pratiquant une musique relativement violente, comment expliquer cela?
JD: Pour nous cette musique correspond exactement à ce que l’on a envie d’exprimer. Si c’est trop bourrin pour les gens, c’est que c’est trop bourrin pour eux, c’est tout! (rires) Tiens par exemple, hier on a vu Massive Attack sur scène, moi j’adore Massive Attack, j’ai trouvé que le spectacle était magnifique, et parfois je me dis que j’aimerais bien faire un truc comme ça, suave, hyper beau, aéré, qui peut parler à plein de gens… Mais quand je prend une guitare, ce n’est pas ça qui sort! Je dirais qu’on a besoin de faire ce style! C’est un truc que l’on voit beaucoup dans le métal, ce ne sont pas des gens violents, ce sont juste des gens qui ont besoin d’exprimer une violence, ils ont besoin de sortir ce truc d’une façon brute, intense, sans compromis et on a ça en commun dans le groupe. Je ne sais pas d’où ca vient d’ailleurs… je crois que personne d’entre nous ne s’est fait tabasser quand il était petit, on n’est pas en train de se venger, quoi… le truc qu’on a en commun, c’est un rapport avec le monde, une aversion pour l’injustice et la violence, et on est tous profondément choqué par l’état de la planète et de la façon dont se comportent les êtres humains en général. On peut se faire maltraiter par ses parents et avoir des choses à sortir, mais on peut aussi juste se faire maltraiter par ce qu’on reçoit du monde et se dire qu’il y a de l’injustice, des règles imposées parfois absurdes, des choses inculquées aux enfants qui sont totalement à côté de la plaque… Il y a une colère qui sort, qui est une réaction par rapport à l’état de la planète, je ne parle même pas des pédophiles, des guerres et de la pollution…
Ces thèmes seront donc encore au cœur des textes du prochain album?
JD: On va dire que ça c’est la toile de fond du monde dans lequel on vit. Après on grandit, on évolue, on mûrit les choses, on discute entre nous… en général une composition d’album se fait sur 4-5 mois, et ça correspond à ce que l’on a envie d’exprimer pendant cette période bien précise. L’actualité vient aussi nourrir la compo, parfois la perturber… on est aux quatre vents, on chope tout ça avec nos émotions…
Justement sur la composition en elle-même, comment se passe ce processus de composition, est-ce tout le groupe suit tes compos où êtes-vous plus dans une «démocratie participative» de la composition?
JD: C’est limite indiscret comme question ça! (rires) Non je plaisante, on met tous notre patte, on est un vrai groupe, ce n’est pas un type qui recrute des gens pour partir en tournée! On vit ensemble toutes les étapes de la compo. Là par exemple, je parle plus que Jean-Michel car c’est moi qui m’y colle souvent pour les interviews, qui écrit les textes et tout… si tu veux m’interrompre, tu peux, hein! (rires)
JML: Bah moi personnellement, à la basse, j’essaie d’amener un peu des choses qui sortent vraiment du standard métal, par mes influences, justement dont tu parlais tout à l’heure, Isis, Neurosis ou d’autres groupes comme ça plus progressifs, où justement les basses deviennent même un peu plus «pop» derrière des gros riffs… Mais c’est vrai que la compo se fait à quatre, après il y a deux frères dans le groupe, donc déjà il y a une énergie importante!
JD: On pose un peu les bases avec Mario, et après Jean-Michel apporte sa touche sur les morceaux, c’est comme s’il rajoutait de la couleur ou de l’émotion. On est très très focalisés sur les structures, on a beaucoup d’impulsion quand on se met à jouer mon frère et moi, on n’a pas besoin de se parler., ça jaillit. Et quand on joue à quatre, on se sert de cette impulsion entre Mario et moi, et tout le monde met son truc dans la soupe, et on mélange.
Le dernier coup de coeur musical des membres de Gojira, c’est quoi?
JML: Alors moi j’ai découvert récemment un groupe, qui a déjà sorti deux albums et qui s’appelle Ghost Brigade, un groupe finlandais post-rock, postcore, avec des touches métal, et ça m’a vraiment touché.
JD: Moi j’écoute énormément le dernier album de Massive Attack, je me shoote carrément à ça. Finalement je n’écoute pas beaucoup de métal, j’écoute beaucoup Radiohead, Portishead, beaucoup de groupes anglais, pour moi l’Angleterre recèle des trésors musicaux… ce qu’il se fait de mieux actuellement.
On voit le format vinyl réapparaitre ces derniers temps, qu’est-ce que ça vous inspire?
JML: C’est un bel objet, le son est différent, il y a un peu de plus de profondeur dans le son du vinyl.
JD: C’est vrai qu’au niveau du son, il y a quelque chose qui a été perdu quand le vinyl a disparu.
JML: J’ai des vieux vinyls à la maison, comme le …And Justice For All de Metallica, quand je les réécoute, ils n’ont pas du tout le même son que l’album remasterisé, et je préfère vraiment le vinyl!
JD: Quand le CD est apparu, il y a des fréquences qui ont disparu parce qu’on ne les percevait pas, mais on a vraiment perdu en qualité d’écoute. Et avec le MP3, c’est encore pire, c’est du délire, j’écoute certains trucs en MP3 et je me dis qu’il faut vraiment que je trouve le CD car le son n’est pas du tout pareil… donc oui le retour du vinyl, c’est plutôt bien!
Une dernière petite question, ta collaboration avec The Cavalera Conspiracy, ça en est où et ça va où?
JD: Je ne sais pas où ça va, mais ça y va sans moi en tout cas! (rires) C’était une super expérience de bosser avec les frères Cavalera, moi mon contrat c’était juste de faire l’album avec eux. Ils m’ont quand même invité pour que je vienne avec eux sur la tournée, ils m’ont dit «T’es sûr, tu ne veux pas venir avec nous sur la tournée?» Et je leur ai dit «Je veux venir avec vous sur la tournée, mais je ne peux pas!» J’aurais voulu me dédoubler si ça avait été possible, ça aurait été une super expérience, mais voilà. J’étais honoré d’être sur cet album, mais là ils vont faire un deuxième album avec le bassiste de la tournée, donc moi je ne fais plus partie du projet. Voilà!
Un grand merci à Jo Duplantier et Jean-Michel Labadie pour leur disponibilité et leur gentillesse pour répondre à nos questions juste après leur concert!
Merci à Emma (tour manager de Gojira) ainsi qu’aux organisateurs du Cabaret Vert qui nous ont permis de réaliser cette interview.
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.net