Si «I’ve Got That Tune», en partie grâce à une célèbre publicité pour une voiture, a ouvert les oreilles du grand public sur le trio de DJs français le plus créatif du moment, il n’est que l’arbre qui cache une forêt de productions abstract hip-hop de haute volée, aux confins de la World-Music, du Hip-Hop instrumental et du Baile-Funk. Chinese Man façonne le son d’une génération qui a autant assimilé la culture Rock que les flows urbains ou les beats électroniques, et nous en parle ici, à la fin d’une tournée couronnée de succès et à l’aube d’une nouvelle ère de conquêtes sonores…
Vous arrivez sur la fin d’une longue tournée, est-ce que vous pouvez déjà tirer un premier bilan de celle-ci?
High Ku: Des bilans on en tire tous les soirs, c’est notre côté perfectionniste! (rires) Disons qu’on a surtout amélioré le live, le fonctionnement de l’équipe, le fonctionnement technique sur les tournées pendant cette tournée là. Les conclusions qu’on peut en tirer, c’est que c’est bien et que ça vaut le coup de se faire chier. On a eu le chance de défendre notre projet comme peu de groupes ont la chance de le faire, devant des salles quasiment toujours pleines…
Sly: Ouais on n’a pas eu beaucoup de problèmes… par contre je pense que émotionnellement il nous faudra un peu de temps pour tirer un bilan, car c’est passé super vite.
Ze Mateo: On n’arrête pas de se dire que c’est passé super vite en fait. Depuis deux ou trois ans, le temps passe extrèmement vite. Du coup ça c’est un bilan qui est un peu dur! Mais ça sera de toute façon positif.
Avant…
Il y a des dates qui vous ont un peu plus marqué que d’autres?
S: Forcément, les dates qu’on a fait à l’étranger, loin de chez nous.
Ze Mateo: En général, ce sont les dates où on prend un peu le temps, où tu peux vivre un peu plus le truc et te dire que c’est bien de vivre ça quand même.
HK: Et les gros évènements aussi, par exemple le Garo’Rock en début de tournée qui a été déterminant pour la suite car il ne fallait pas qu’on se manque, et c’était la première fois que l’on faisait notre live comme il faut. Il y a eu quelques moments assez fous, des scènes gratuites sur Paris par exemple, avec beaucoup de monde… la première fois que tu dépasses les 5000 personnes, ça fait bizarre quand même. Notre premier Zenith à Strasbourg aussi…
S: Euh c’était pas notre Zenith hein! C’était la première fois qu’on jouait dans un Zenith, c’est pas pareil! (rires)
ZM: Ouais on a pris un petit jeune pour faire nos premières parties, comment il s’appelle déjà? Johnny quelque chose… (rires)
Quelle suite allez-vous donner à cette tournée?
S: Bah déjà un petit break d’un bon mois. Et après ça sera du studio, pour le premier vrai album, en tout cas qui sera conçu comme un album sur la durée, avec un effort de cohésion entre tous les morceaux. On est en plein dedans déjà là, donc on va finaliser tout ça pour que ça sorte au printemps prochain, en avril.
ZM: Ca reste du Chinese Man, quand même.
S: Ouais les gens ne seront pas perdus. Après il y aura des sonorités et des tempos que l’on n’a pas utilisé jusqu’à présent, et forcément là on a été influencé par la tournée, ce que l’on a entendu, des rencontres… ça transparaitra surement dedans. Après c’est dur pour nous de dire ce qui fera la différence.
Au niveau du style, on vous définit comme un groupe d’Abstract Hip-Hop, est-ce que c’est un terme dans lequel vous vous reconnaissez?
HK: Plus que dans la dénomination « Electro » déjà. Après nous on aime bien Hip-Hop alternatif car c’est large et ça permet d’englober pas mal de choses, et Hip-Hop instrumental, car c’est la base du projet, même si on est un peu plus amené à travailler avec des Mcs.
Dans votre son il se dégage une forte atmosphère cinématographique, pas seulement dans le son lui-même ou les samples, mais aussi au niveau des structures et du ressenti global… on sait que c’est un domaine qui vous intéresse, est-ce que vous avez des projets dans ce sens?
S: Bah pour les BOs, on n’a pas encore eu vraiment de propositions, mais concernant la vidéos, on travaille avec Fred et Annabelle, qui sont nos vidéastes et qui font de l’animation, de la vidéo, plein de choses. Je pense que le prochain projet, ce sera un court-métrage, mais pour le moment il n’y a rien de prévu.
HK: Il y aura peut-être une surprise à la rentrée, mais on va attendre que ça se concrétise.
Sly: Ouais le cinéma, c’est quelque chose qui fait partie du patrimoine de Chinese Man, car depuis le début on travaille la vidéo, le graphisme, ça fait vraiment partie de notre culture.
HK: Le fait de faire de l’instrumental, ça laisse la place à l’image, il y a un lien fort entre les deux. Dès que tu fais de l’instrumental, tu es amené à travailler sur du film ou des choses comme ça, et aussi dans la manière de concevoir les morceaux, quand comme nous tu insères des dialogues de films. Par exemple, pour le morceau « Searching For The Space Monkey », la trame du morceau est orchestrée autour des différentes voix que l’on a pris du film « Fight Club ». Ça nous permet de composer un peu autrement, et de rythmer autrement le morceau que par la structure couplet-refrain traditionnelle.
ZM: Non, en hardware, on n’utilise que des synthés, pas de séquenceurs, et des platines aussi. Au niveau synthés, on utilise des Virus, Nordlead et Korg à modélisation analogique.
S: Par contre, on n’utilise pas du tout de midi. On travaille uniquement sur de l’audio qu’on rentre dans les machines, comme si on samplait.
Chinese Man se décline sous deux aspects, un DJ-Set et un Live-Set. Avec quoi vous prenez le plus votre pied sur scène, finalement?
S: Alors moi avec le DJ set, je ne m’amuse pas beaucoup, vu que je ne le fais pas! (rires) Si en fait je me marre bien car je danse pendant ce temps là!
HK: Je pense que le Live lasse beaucoup moins vite que le DJ-Set, mais c’est toujours kiffant de retourner faire du DJ-Set.
ZM: Ce qu’il faut préciser, c’est que le DJ-Set c’est une playlist que l’on prépare à quatre platines pour une tournée de 20 dates de Dj-Set par exemple, et que l’on fait un tout petit peu évoluer mais pas beaucoup car le set est percutant et puissant tel qu’il est. Donc on le garde tel quel tout au long de la tournée et du coup on se lasse plus vite car ce sont des morceaux qui ne changent pas, alors que le live, tu le réorchestres un peu tous les soirs; ça sera les mêmes morceaux, mais les scratches seront différents, ainsi que les effets, les montées…
HK: Et ce qui est bien avec le live c’est que tu es toujours en train de faire un truc, car le DJ-Set ça reste de la sélection. D’autre part, c’est beaucoup plus confortable de faire du live, au niveau des conditions, de l’accueil, de l’aspect technique… et physiquement aussi, c’est finalement moins fatiguant, car un DJ-Set peut aller jusqu’à deux heures, alors qu’un live ira rarement au-delà d’une heure et demi.
ZM: Après moi je veux continuer à faire du DJ-Set pour me faire plaisir, de manière plus spontanée, faire de la sélection pure et m’éclater, c’est aussi un peu un retour à notre rôle de base de DJ.
S: Dubious d’Indonésie, Rollin Rockers de San Francisco…
HK: On s’est beaucoup posé la question pour le nouvel album, car on a plus de possibilités et de moyens pour avoir plein de gens, et en fait ça ne correspond pas à notre manière de faire. Vu que l’on fait des morceaux particuliers, on a beaucoup besoin de bosser avec la personne, de l’intégrer à la conception du morceau… Et il y a aussi l’envie de faire découvrir des gens via ce nouvel album plutôt que reprendre des gens connus pour assurer la promo de cet album.
ZM: Oui et puis ce sont aussi des gens avec qui on a des affinités, c’est sur ça aussi que repose le projet. Moi je mets beaucoup d’énergie là-dedans et il faut que l’on fasse les choses par plaisir pour que ça marche. Souvent il y a du plaisir quand tu as rencontré la personne et qu’il y a des affinités musicales et professionnelles, mais aussi humaines. Alors que si tu demandes à quelqu’un dont tu aimes bien la voix, c’est une demande, qui ne rentre pas dans le cadre d’une rencontre, tu peux même le faire à distance, ce n’est pas du tout la même chose, j’y trouve beaucoup moins d’intérêt.
S: En tout cas pour l’instant on n’a pas fait de morceaux où on s’est dit qu’il fallait qu’on appelle telle ou telle personne pour être dessus.
HK: Et puis le top c’est d’être en studio avec les gars et leur donner une direction sur les morceaux, et là j’espère que sur cet album on aura vraiment le temps de le faire.
ZM: Dans l’idée le fait de ne pas être dans un rapport constant de composition pour des featurings mais que ça reste rare, ça nous permet de rendre exclusif le choix de l’artiste avec qui on va travailler, et du coup ça nous permet de prendre le temps de travailler avec lui, de lui expliquer ce qu’on attend de lui. C’est un peu ce qui s’est passé avec Dubious, qui débarquaient d’Indonésie et qu’on a fait venir sur un plateau à l’Elysée Montmartre, avec qui on a de réelles affinités.
HK: L’un des trucs importants dans Chinese Man c’est que l’on ne veut pas mettre un MC dans tous les morceaux et du coup se contenter de faire un truc en 8 temps car il faut que ca colle avec le chant…
ZM: C’est un peu le problème que l’on a rencontré au début, car les morceaux on les fait comme on les sent, et s’il fait 4 ou 5 minutes, et bien il reste comme ça, alors que si tu rentres dans les trucs radio-édités, ce qui est souvent le cas quand tu fais des featurings, il y a des contraintes de temps qui sont vraiment trop chiantes et limitatives…
Pour terminer, vous êtes un des groupes de Hip-Hop qui attire un public le plus large possible, venant d’horizons musicaux très différents. Comment expliquez-vous cela?
HK: Parce que le public qu’on considère comme Hip-Hop en France, ce n’est pas un vrai public Hip-Hop, mais un public formaté radio et qui mange ce qu’on lui donne. Je pense qu’au fond, notamment dans le Rock, le public a des portes d’entrée sur le Hip-Hop, avec notamment Cypress Hill ou les Beastie Boys, par exemple, et le public Rock est un bon public, plus ouvert. Moi qui vient du Rap, qui ai passé sept ans dans ce monde, j’étais très content de passer à un autre public. Je ne parle pas du public Hip-Hop old-school avec une culture, mais plutôt du public qui se revendique Hip-Hop et qui va aux concerts R’n B-Hip Hop et tous ces trucs là…
ZM: C’est aussi parce que les choix de samples que l’on fait sont assez variés, et du coup ça touche plus de monde. On n’est pas cantonné à un rythme Hip-Hop, mais on s’est permis de faire des trucs plus Afro, plus Baile-Funk,…
S: Ouais ma mère c’est ce qu’elle préfère le côté Baile-Funk!
ZM: (rires) Ouais voilà, c’est pour ça qu’on arrive à toucher un public plus large, c’est que tu pourras trouver autant des riffs de guitares dans les prods de Sly que des trucs Afro ou autre, même si on reste toujours dans le cadre Hip-Hop alternatif.
HK: C’est aussi parce qu’on est une génération qui a grandi avec un pied dans le Hip-Hop, l’autre dans le Rock, tout ça en faisant des teufs electro… Donc au final, on fait le son que notre génération a assimilé. On ne visait pas une niche en particulier mais plutôt ceux qui étaient au milieu de tout.
ZM : Puis y a le fait d’être aussi de la culture des vinyles, qui sont plutôt des trucs de seconde main. Moi en premier, j’ai récupéré les vinyles de mes parents, j’ai écouté ce qu’ils ont écouté, et quand j’ai pu les glisser dans ma musique je l’ai fait, et c’est ce qui fait aujourd’hui la richesse de ce que je suis et de notre musique. C’est ce qui est marrant d’ailleurs avec le vinyle, c’est le fait qu’il perdure à travers les époques, alors que c’est le plus vieux support existant. Mais l’objet en lui-même, avec la pochette, reste alors que le reste disparaît.
S: Putain c’est vachement émouvant ce que tu dis!
ZM: Ouais je sais. (rires)
Un grand merci à High Ku, Ze Mateo et Sly pour leur disponibilité et leur accueil chaleureux, ainsi qu’à Clélia (Promo/Chinese Man Records) et l’association Artsonic qui nous ont permis de réaliser cette interview dans de bonnes conditions.
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.
Après…