Vous avez déjà eu l’occasion de voir un duo londonien détruire un club ? Non ? Alors c’est que votre route n’a jamais croisé celle d’AutoKratz, surtout quand, pour couronner le tout, le duo anglais s’offre les services de TWR72 pour les accompagner sur le champs de bataille. Rencontre avec Russell Crank, moitié du duo.
Ce soir à l’Ubu de Rennes, on ne peut que constater que la bataille sera bien orchestrée.
À l’honneur pour cette toute première soirée Club Trax, c’est le tout jeune label Bad Life, dirigé d’une main de maître par les deux anglais d’AutoKratz Russell Crank et David Cox, qui pose ses valises à Rennes au milieu de la tournée européenne Bad Life Tour et qui a choisi pour dignes représentants le duo des patrons et TWR72. En guise d’apéritif, les boss du labelnous servent un dj set d’une heure. Rien de tel pour mettre le public en jambe qu’un mix techno à la limite de la house qui ouvre le bal à merveille. C’est avec l’arrivée de TWR72 que l’on passe aux choses sérieuses. On découvre ce qu’est ce nouveau genre appelé « future techno », avec un dj set punchy qui commence à faire suer l’Ubu. Mais c’est au nouveau live d’AutoKratz que revient l’honneur d’achever les genoux des Rennais avec un set techno qu’on espère vraiment être « future », avec des morceaux punchy et « attacky » que les deux compères enchainent sans relâche, laissant dangereusement le dancefloor suant et électrique. Alors que TWR72 reprend les rennes pour achever Rennes, nous avons rencontré Russell Crank, moitié chevelue du duo AutoKratz.
À l’heure actuelle nous sommes à peu près au milieu de votre tournée Européenne Bad Life Tour, êtes-vous contents de la réception qu’a reçu cette tournée, et plus particulièrement votre nouveau live ?
Effectivement, nous sommes à peu près au milieu de cette tournée européenne, on a déjà fait six dates et il en reste pas mal à venir en Mai. Je suis très heureux de la façon dont le live est reçu malgré le fait que nous avons laissé tomber pas mal des morceaux que nous avons joué pendant longtemps, certains des morceaux qui ont probablement fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Enfin, ce n’est pas vraiment que nous les avons laissé tombé, c’est plutôt que nous sommes passés à autre chose, la scène entière aussi est passée à autre chose et c’est pour cela que la musique que nous faisons aujourd’hui est différente. Et malgré ce changement je suis vraiment content de la façon dont notre tournée est reçue. Au final je ne sais pas si les gens aiment Bad Life ou si l’engouement est plutôt pour ce nouveau genre d’électro, que nous appelons « future techno », qui est vraiment avant-gardiste et dans lequel nous ne retrouvons pas les sonorités ni les progressions habituelles. Pas mal de jeunes producteurs se démarquent sur cette scène. Tu sais, quand on a commencé, la scène venait juste de se créer et les gens commençaient à écouter de la musique électronique. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération d’artistes comme TWR72, Attaque ou NT89 qui font ce qui est pour moi actuellement la musique électronique la plus intéressante.
Vous faites ce soir un live à deux, mais vous avez pourtant tourné avec plus de musiciens, pourquoi ne pas avoir choisi une formation live plus nombreuse sur votre tournée actuelle ?
J’ai vraiment beaucoup aimé faire une tournée avec un groupe complet, dans lequel il y avait moi à la basse, nous avions quelqu’un d’autre au synthé, Dave (autre membre du duo ndlr) chantait et jouait de la guitare et Robin jouait de la batterie. C’était vraiment super et fonctionnait parfaitement bien mais je ne pense pas que la musique que nous faisons aujourd’hui s’adapte vraiment à cette configuration. Les deux albums précédents fonctionnaient parfaitement pour une tournée avec un groupe complet mais la musique qu’on fait aujourd’hui est plus « attacky » et ne convient plus trop au groupe. J’ai vraiment aimé faire une tournée, avec tous ces gens sur la route, au final cela apporte quelque chose à notre son mais je pense qu’aujourd’hui le son que nous avons est différent.
Cela fait presque un an que votre album Self Help for Beginners est sorti, est-ce que tu peux nous en parler ?
Un an déjà ? Woaw, je me fais vieux, il va falloir que je fasse gaffe à ne pas choper des rides (rires). J’aime vraiment Self Help for Beginner. Cela recoupe un peu la question précédente en ce sens que ça a pris tellement de nous, ça a été un an de travail non-stop pour créer cet album, alors qu’avant, c’était différent. Quand tu fais juste des singles électro-club, une fois que le morceau est fini, tu le sors, et tu passes à autre chose, alors qu’un album comme celui-ci demande beaucoup plus de travail. Mais nous l’avons terminé d’une façon vraiment cool, puisque, comme tu le sais nous avons fait un morceau avec Peter Hook de New Order, et Peter est venu jouer avec nous pendant notre concert au Summer Sonic, au Japon, et il y avait genre 10.000 personnes dans ce gros festival, et c’était un super bouquet final pour la tournée de Self Help for Beginners. Après tout c’était vraiment l’album qu’on voulait faire, après avoir été dans un groupe qui faisait des bangers pour le dancefloor nous avons sorti cet album qui aurait pu être détesté par nos fans, ils auraient pu nous rejeter, mais au final il a été super bien reçu et nous avons fini par revenir à nos origines et à refaire de la musique de club.
Donc en parlant de cet album, c’est le premier à sortir sur votre propre label Bad Life, peux-tu nous présenter un peu ce label, avez-vous une ligne directrice particulière pour les sorties ou doit-on s’attendre à un futur melting-pot musical ?
Je pense que la véritable ligne directrice est qu’il ne faut pas que nous ayons de ligne directrice. Tu sais, je ne veux pas devenir un label qui fait juste de l’électro, juste de la techno ou juste de la « future techno ». Les labels que je trouve vraiment intéressants sont les labels… comment dire ça sans risquer la controverse… qui ne sont pas ceux du type de tous les labels modernes, au contraire ce sont les labels du type Factory ou Mute, avec des gens qui ont réussi à transcender un certain son et un certain style pour devenir quelque chose de plus. Bon, pour le moment nous ne sortons que des bangers (rires), mais par exemple nous travaillons avec le groupe Dems, qui fait quelque chose de très différent, très avant-gardiste, avec de la pop, de l’électro, le tout avec de magnifiques choeurs. J’espère qu’on signera plus d’artistes alternatifs. Je cherche désespérément un groupe de rock’n’roll qui collerait à l’identité Bad Life, et bien que je ne l’ai pas encore trouvé je ne renonce pas à l’idée de le signer un jour. C’est ce que Warp a réussi à faire, ils ont les artistes d’électro les plus intéressants de la scène et en même temps ils signent des groupes comme Maximo Park, qui est un groupe d’indie-pop anglais, tout en restant un des labels les plus cools du moment. Mais malgré tout, ça reste cohérent que ce label qui signe tant de fantastiques artistes électroniques signe aussi ce groupe, parce que même si c’est une formation d’indie-pop il y a toujours quelque chose qui fait qu’ils sont différents. Au fond je pense que c’est ce que je recherche pour Bad Life, même si nous n’avons pas encore trouvé ce groupe.
Kitsuné s’est pas mal concentré dernièrement sur des sorties plutôt pop et rock à l’inverse de Bad Life dont les sorties sont plus dans la trempe de l’électro-club, aviez-vous envie de vous détacher via une nouvelle identité musicale grâce à ce label ?
Oui je pense qu’il y a un peu de ça. Enfin, j’aime beaucoup les gars de chez Kitsuné et tout ce qu’ils font. Mais vers la fin, l’impression qu’on avait, c’est un peu celle que tu as quand tu pars faire une longue ballade à travers un champ et qu’à la fin tu te rends compte que tu es tout seul. C’est un peu ce qui est arrivé avec Kitsuné, enfin qu’on me comprenne bien j’adore ce qu’ils font, ils ont des supers groupes mais on était un peu ce qu’on appelle en anglais le « black sheep of the family », je ne sais pas si vous avez cette expression en français
Si si, le vilain petit canard, « the black little duck ».
(Rires) Ça devrait être le titre de l’interview. Au final on était le vilain petit canard, notre musique ne correspondait plus à ce que faisait Kitsuné vers la fin. AutoKratz est brut, ce n’est pas de la pop ou de l’électro propre. Tu sais, j’adore Primal Scream ou New Order, et c’est dans les traces de ce genre de groupes que je voudrais marcher, même si notre style n’est pas le même. Au début nous correspondions mieux à ce qu’ils faisaient, mais vers la fin nous ne collions plus à l’identité de Kitsuné. Et c’est pour ça que Bad Life est né, parce que nous voulions regrouper la musique qui nous emballait.
Votre album Self Help for Beginners a des sonorités plus pop et rock et vos derniers EPs sont plus centrés sur des sonorités club, un changement aussi tranché était-il un choix délibéré ?
Je pense que oui. L’album nous avait pris énormément de nous-même. Et au final nous avons commencé par faire des morceaux club, c’est de là qu’AutoKratz vient, et même si nous avons pris énormément de plaisir à faire l’album au bout du compte AutoKratz est un groupe club et nous voulions revenir à cette musique que nous écoutions chez nous. Après l’album, nous avons mis de côté tous nos disques d’indie-rock pour découvrir des choses comme Attaque, NT89 et on s’est dit « woaw, c’est un nouveau style d’électro, ce n’est pas l’électro avec laquelle nous avons grandi et que nous avons développé en tant que groupe. Ce n’est plus l’électro de la scène française comme le fait Ed Banger ou Kitsuné ou même d’ailleurs comme Boys Noize. » Nous avions trouvé quelque chose de nouveau, un nouveau genre que nous adorions.
Vous vous êtes produits dans nombreux festivals à travers le monde, mais on remarque que le Bad Life Tour passe dans pas mal de clubs, comme ce soir à l’Ubu par exemple, est-ce que la nouvelle orientation plus électro et techno, orientées plus club, de vos dernières sorties Bad life #1 et #2, reflète une envie de revenir vers la scène club ?
Je jouerais vraiment n’importe où, peu importe si c’est un festival ou un club. Je comprends la question mais je ne pense pas que les deux se doivent d’être mutuellement exclusifs. Il y a un bon nombre de fantastiques festivals de musique électronique. L’année dernière on a adoré jouer un set ultra « banging » au Melt Festival à 3.30 du matin. Donc peut-être que cette année nous ne serons pas en tournée, enfin ce n’est pas dans cette direction que je nous vois aller. Nous adorons les clubs, et c’est peut-être pour ça que notre son actuel convient si bien aux clubs, mais nous adorons toujours jouer dans des festivals. Un de mes meilleurs souvenirs est d’avoir joué au Lowlands il y a à peu près quatre ans, alors qu’on était encore tout jeune, sur une scène sous un énorme tunnel au milieu d’un champs, et c’était vraiment une des expériences les plus incroyables de toute ma vie, avec 2.000 personnes serrées dans ce tunnel qui ont été totalement malades du début à la fin du set. J’espère ne jamais avoir à arrêter de faire ça. Je ne voudrais jamais avoir à arrêter ça.
Vous avez fait des featurings avec Peter Hook sur votre dernier album, envisagez-vous de refaire des collaborations de ce type ?
Pourquoi pas. Enfin je pense que cela risque de prendre du temps avant que l’on refasse un album indie. On adore trop faire de l’électro-club en ce moment. Comme je disais tout à l’heure j’ai adoré travailler avec Peter Hook, et jouer avec une de vos idoles devant 10.000 personnes à Tokyo est probablement le meilleur moment de toute ma vie. Donc, je ne ferme pas la porte, si Mark E. Smith de The Fall m’appelle demain pour me dire « je veux faire une voix pour toi » ou si Neil Young, qui doit bosser sur un nouvel album en ce moment, veut que je fasse une slide-guitare, je dirais oui.
Et pour finir, peux-tu nous conseiller des groupes à surveiller pour l’année 2012 ?
C’est évident que je vais te répondre qu’il faut surveiller les artistes qui sont sur Bad Life. Attaque, forcément, j’adore sa musique et je l’adore lui en tant que personne. Je dirais, un autre groupe anglais qui s’appelle NightSymmetry, ce qu’ils font est incroyable, il y a des sonorités qui rappellent ce que font NT89, Attaque ou TWR72 mais avec quelque chose qui sonne comme les anciens Chemical Brothers, ce qui est bien. Il y a aussi D/R/U/G/S, qui font quelque chose de plus subtil, plus mélodique, plus beau. Dems, sur Bad Life. Attends je vais t’en trouver un autre. Mon album de l’année, pour l’instant, c’est celui de Django Django, qui sonne comme les Beatles qui seraient remis au goût du jour.
Propos recueillis par Colin Fay pour vacarm.net
Crédit photos : ©Jonathan Morel