Malestroit, petit bourg aux étroites rues pavées, est connu comme la « perle de l'Ouest », avec son port de plaisance qui accueille à la fois l'Oust et le canal de Nantes à Brest. Comme tout bon festival occidental, le Pont du Rock apprécie ce côté oxymorique de la forte densité soudaine (entre 7000 et 10000 personnes par soir) au milieu de petits villages. Cela fait désormais vingt-et-un ans et vingt éditions que le festival y sévit. Pour cet anniversaire, vingt groupes triés sur le volet ont été conviés. Le festival évite ainsi l'indigestion, reste à taille « humaine », mais compte bien marquer les esprits et passer le cap de la majorité absolue avec brio.
Le premier groupe à ouvrir le bal, le vendredi soir, est le gagnant du tremplin, les locaux de The Brownson Jacks. Leur set ne se révèle pas franchement enthousiasmant, car trop répétitif, trop déséquilibré entre le rap et le funk. En bref, il leur manque encore quelque chose. De la conviction, particulièrement, comme le flow du chanteur tend à le confirmer. Mais ils bénéficient du doute de la jeunesse de leur formation (moins de dix concerts à leur actif). Il faut dire aussi qu'à côté, c'est le strict opposé pour Civet, qui ne se pose pas une seule question. Les quatre punk-rockeuses envoient la sauce sans attendre, s'adaptent avec brio aux coupures de courant (le grand mal de la petite scène pour ce premier soir). Leur set est certes un peu lassant à la longue, mais on reste admiratif de leur fougue (et leur joli minois peut-être ?). C'est simple mais c'est efficace. On en demande pas plus. Peu avant, Pony Pony Run Run a offert des mélodies aux relents d'un Phoenix qui serait peu inspiré, ce qui sera suffisant pour satisfaire les plus jeunes présents sur le site et venus avant tout pour eux. Grâce aux Nantais, Au Pont du Rock peut au moins s'offrir une image doucement surréaliste : quelques punks, éméchés mais à la crête fluo en évidence, s'émoustillant au son de « Hey You ». Allez, simplement pour cela, ils méritent de figurer dans les bons souvenirs.
Toutefois, toutes ces premières prestations s'effaceront bien vite. L'événement de cette année est à venir : Bad Religion, pour une des trop rares dates cet été en France. Bien avant la fin de Civet, une majeure partie du public se presse déjà pour avoir une place agréable face à la grande scène. L'arrivée sur scène des américains marque le début d'une certaine folie. L'enchaînement de tubes, bonne humeur sur scène et dans le public contribuent à faire passer ce moment du statut d'événement à celui de mémorable. Les mélodies du combo resteront solidement gravées pour le reste de la soirée. Tant pis pour Inspector Cluzo et Shaka Ponk (pas déméritant), la soirée se résume désormais au fredonnement de « Punk-Rock Song » et « Los Angeles Is Burning ». Il est tellement rare de voir un concert de ce niveau, de cette intensité en festival d'été, que bouder son plaisir aurait été idiot.
Le lendemain, il faut bien s'y résoudre pourtant, car il y a un programme costaud à avaler. Il va falloir oublier Bad Religion pour laisser une chance à Gaëtan Roussel, Archive, Ebony Bones, Izia… La soirée s'annonce très homogène et elle le sera. Aucun concert ne se révèlera franchement au-dessus des autres.. sauf la petite surprise, un peu attendue pour les plus initiés, signée GaBlé. Le passage de ces normands sera un petit délice de construction fantaisiste et de bricolages improbables. Même pas peur de la scène, ils y jouent en toute simplicité, avec les éléments habituels dont la mise en pièce d'un cageot. Si la communication avec le public n'est pas évidente, malheureusement, la musique suffit à adoucir le ressentiment de ne pas pouvoir exprimer son enthousiasme et son amour pour « Purée hip hop » ou « Walking ».
Le groupe le plus attendu de la soirée, Archive, tombe dans leur foulée. On se dit que tant mieux, ça ne peut être qu'une apothéose. Mais, s'ils ne seront pas décevants, il ne feront pas non plus quelque chose de fabuleux, la faute à une moitié de concert difficile à passer. Ils sont pourtant partis sur leurs grands chevaux, appuyés par des vidéos en arrière-plan… Mais étrangement, ces vidéos disparaissent pendant un long moment, justement assez faible. Les morceaux se ressemblent, l'ennui frappe à la porte. La fin du concert sauve la mise, avec un enchaînement enfin judicieux dont « Bullets » est le point d'orgue.
Quand au reste de la soirée, il a permis de se faire quelques confirmations. Tout d'abord, Plasticines ne soutient vraiment pas la comparaison avec Civet. Gaëtan Roussel, pour son aventure solo, mérite vraiment l'attention. Il se fait plaisir sur scène et ses morceaux deviennent plus intéressants encore avec le temps. C'est une valeur sûre actuellement, qu'il vaut peut-être mieux voir dans une ambiance intimiste ceci dit. Ebony Bones est véritablement déchaînée, opte pour des tenues toujours plus incongrues et mélange redoutablement la world music et l'énergie punk-rock, ce dont on ne se plaindra pas. Izia progresse à vue d'oeil et sans cesse depuis un an, mais avec une affection toutefois pour le sur-fait : avoir de l'énergie, c'est bien, avoir trop d'énergie, ça agace. Carmen Maria Vega est drôle à insulter la partie du public bourrée et à réquisitionner le reste pour exprimer son ras-le-bol dans un « ta gueule » impeccable. C'est cru, c'est entier, c'est cool.
Avec ces deux soirées, déjà, le Pont du Rock montre qu'il en a dans le ventre. Sa vingt-et-unième année est une franche réussite et ne sera très certainement pas la dernière. D'autant qu'à côté d'une programmation qui arrive à faire entendre une offre légèrement décalé à de nombreux autres festivals (de Bretagne et hors Bretagne), l'organisation est parfaitement rodée. Il n'y a pas grand chose à redire sur le service des boissons, de la nourriture, sur le camping au milieu des terrains de foot et sur un site suffisamment grand pour éviter de se marcher sur les pieds. Vingt-deux ans n'est pas une date symbolique ? Ce n'est pas le genre de détail qui empêchera de retourner à Malestroit. C'est le plaisir qui commande.