L’album est sorti il y a de nombreux mois déjà, en mai 2010 dans sa version collector à quinze titres. Peu importe. On s’en fout même, carrément, il faut le dire. Car Vladimir Bozar ne colle pas au vent du temps, ne colle pas à une mode quelconque et joue sa musique sans se poser de questions, en s’amusant des genres, en remixant le tout à son goût. Alors même fin janvier 2011, laissons nous nous glisser entre les lignes métal et bossa et siffloter du Sheraf Orkestar.
« RRS Master » annonce la couleur : cet Orkestar a choisi pour grand frère un certain Mister Bungle, mélangeant tout ce qui se présente sous sa main. Tout cela se fait avec une sorte de bonne humeur addictive et fiche le sourire sur le visage pour longtemps, la durée qu’il faut à Universal Sprache (« Langue universelle » en allemand) pour s’écouler.
Pourtant, il est généralement déroutant de passer d’un riff de guitare lourd, lorgnant clairement et expressément vers le métal, à un passage tzigane, pour prendre l’exemple le plus courant. Mais Vladimir Bozar fait cela avec une pêche, une conviction tellement forte, sans aucun doute aussi une once de talent pour harmoniser (si, si) le tout, que l’auditeur est pris dans le rythme. Rapidement, le déconcertement devient « attendu ». C’est cet effet qui donne envie de passer, encore une fois, un morceau ou un autre.
Prenons l’exemple de « Panzoni Pasta », accompagné de « Todomak ». Le deuxième est une sorte de messe, où le discours serait tiré des premiers couplets du premier et réciproquement. Dès la troisième piste de l’album. Autant le dire, ça coupe le souffle, ça intrigue. Puis « Panzoni Pasta » revisite ces paroles quasi-publicitaires sous toutes les coutures. L’humour est omniprésent (les « la la la » accompagnant « ma vie est affreuse »). Le morceau devient irrésistible. On en veut encore et encore, que la déprime, le manque d’amis ou une envie d’hara-kiri se fassent sentir ou non : « Panzoni Pasta » est un plat de pâtes où toutes les sauces auraient été mélangées.
Bref, on secoue la tête quelques secondes sur des beats qu’Atari Teenage Riot n’aurait pas reniés, avant d’avoir affaire à Gonzales (la souris des dessins animés) ou du petit 8 bits pour dix secondes. Le rock à billy (sur la bien nommée « Rockabiloose ») fleurte avec les musiques des films de Scorcese. Les chants eux-même mènent parfois la danse et s’adaptent à toute situation.
C’est le plus incroyable. Jamais, rien, ne semble être trop difficile ou trop lointain de l’univers de cette bande. Ils font tout avec brio, ils feraient acheter des pâtes à un allergique au blé. Ils feraient écouter du métal à quelqu’un rébarbatif à cette idée d’habitude. L’univers de Vladimir Bozar pioche, pioche, pioche encore… pour mieux s’évader. Avec classe. Attention, cela ne veut pas dire que le Sheraf Orkestar se contente de faire du yo-yo musical qui secoue les tympans. Ils savent également, parfois, se montrer très linéaire (et très efficace) dans un genre précis, comme avec la magnifique balade italianisante « Meglio Stasera ».
S’il fallait résumer cela en une phrase définitive, ce serait que Vladimir Bozar rend presque fou. Avec bonheur, il s’agit d’oublier la raison à l’entrée et de se laisser divaguer. C’est exactement ce dont on reprendrait plus souvent, à y repenser. Toi qui lit, saute le pas dans le non-sens musical (le disque aurait tout aussi bien pu porter le patronyme « Sinnloses Musik ») tellement bien fait qu’il paraît naturel ; même si tu tombes sur cette chronique en 2012, en 2018, en 2020… Il n’est jamais trop tard pour devenir un imbécile heureux.
.: Tracklist :.
01. RSS Master
02. Super Myhtoman
03. Todomak
04. Panzoni Pasta
05. Hector Ou La Défaite de Martin Shin
06. Guignette
07. Le Grand Rabbi (ou la revanche d’un juif japonais)
08. Meglio Stasera
09. Rockabiloose
10. Gonzales
11. Toulofi Colum
12. Cartus
13. Ocham
14. GBS
15. Thermostat 7
